Panorama : Du bon usage de la prescription
Par Ammar Belhimer


La constitution alg�rienne a instaur�, au moyen de l’article 66, une sorte de “d�lation noble” qui fait obligation au citoyen de veiller � la pr�servation de l’int�r�t g�n�ral et de participer � la r�pression des actes susceptibles d’y porter atteinte. De la m�me mani�re, l’article 32 du code de proc�dure p�nale �nonce que “toute autorit� constitu�e, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un d�lit est tenu d’en donner avis sans d�lai au minist�re public et de lui transmettre tous les renseignements, proc�s- verbaux et actes qui y sont relatifs”. En droit commun, les choses paraissent d’une �vidence partag�e de tous et personne ne rechigne � h�ter la mise au placard du danger public.
Lorsque le propos se rapporte � la d�linquance �conomique, la r�action n’est pas tout aussi �vidente. Les services du commerce, les douanes, les banques, les imp�ts, le Tr�sor et d’autres encore agissent conform�ment � des directives dont la tendance g�n�rale est de faire passer les activit�s �conomiques des t�n�bres de l’informel et du non-droit vers les espaces l�gaux d’exercice de ces m�mes activit�s. Avant d’aller plus loin et de pr�ter quelque attention malveillante � notre propos, on se rassurera sur le peu de gravit� de notre sort national en sachant que, globalement, le montant des flux financiers transitant par les paradis fiscaux est estim� � 55%. C’est la preuve que l’�conomie “noire” a pris partout le pas sur l’�conomie l�gale et le signe que l’�conomie contemporaine est plut�t grise. Comme en toute transition marqu�e par un fort taux de d�sœuvrement, de ch�mage et de paup�risation, le march� informel reste largement tol�r� et la concurrence d�loyale chronique qu’il livre � ses rivaux fait l’objet d’un traitement long destin� � l’ins�rer dans le cadre de la l�galit�, notamment par la simplification des proc�dures d’octroi du registre du commerce et d’autres facilitations qui rel�vent davantage de la ruse. Le proc�s-verbal de la bipartite gouvernement-patronat de jeudi dernier nous donne � ce propos une illustration parfaite des mesures prescrites pour lui “am�nager des espaces appropri�s” tout en poursuivant sa traque commerciale, fiscale et douani�re. C’est le prix � payer pour asseoir le contr�le et les instruments de r�gulation de l’Etat lorsque l’acc�s au cr�dit et les autres soutiens � l’investissement font d�faut ou n’incitent pas � agir dans la l�galit�. L’amnistie g�n�rale, y compris fiscale, dont il est aujourd’hui question dans certains cercles, n’a pas lieu de figurer au menu de la r�conciliation qui s’annonce pour cette premi�re raison connue de tous : elle est d�j� largement, voire enti�rement consomm�e par la prescription. En mati�re de commerce ext�rieur, l’article 266 du code des douanes absout l’infraction susceptible d’entacher une op�ration douteuse trois ann�es apr�s la date de sa d�claration. Il en est de m�me en mati�re d’infractions � la l�gislation et � la r�glementation des changes et des mouvements de capitaux de et vers l’�tranger. Leur r�pression n’est pas aussi syst�matique qu’on l’esp�re parce que l’article 8 du code de proc�dure p�nale pr�te � �quivoque et peut faire office de machine � laver le crime pour les ronds de cuir tra�nards qui hibernent derri�re certains bureaux feutr�s. Cette disposition �nonce ce qui suit : “En mati�re de d�lit, la prescription de l’action publique est de trois ann�es r�volues. Elle s’accomplit selon les distinctions sp�cifiques � l’article 7”. Or, que dit l’article 7 ? Tout simplement qu’en mati�re de crime, l’acte de poursuite interrompt la prescription et l’�tend � dix ann�es (elle reste de trois ans en mati�re de d�lit). Nous sommes l� au cœur de l’�pineuse question de l’impunit� du fait du laisser-aller, de la n�gligence et/ou, pourquoi pas, d’une subtile gestion du temps pour passer l’�ponge sur les droits, les taxes et le devoir de rapatriement requis par la loi. En droit �conomique, la date � partir de laquelle court la prescription vaut son pesant d’or. L’exemple fran�ais pr�sente un int�r�t particulier. En mati�re d’abus de biens sociaux — il consiste pour un dirigeant d’entreprise � disposer des ressources de l’entreprise pour un usage non conforme � son objet social — la loi pr�voit un d�lai de prescription de trois ans audel� duquel le d�lit ne peut plus �tre poursuivi. La Cour de cassation a cependant jug� que ce d�lai courrait seulement apr�s la d�couverte du d�lit .Simple question de bon sens : l’abus de biens sociaux imputable aux dirigeants est rarement connu imm�diatement apr�s qu’il ait �t� commis, mais ult�rieurement quand un cadre licenci� ou un partenaire qui n’a pas re�u sa part du g�teau devient bavard. Naturellement, une fois la prescription consomm�e, toute publication d’information et toute action judiciaire rel�vent de la com�die. Une note r�cente de la Banque d’Alg�rie destin�e aux �tablissements financiers interm�diaires agr��s recense et interdit de domiciliation bancaire et de transfert vers l’�tranger 13 op�rateurs �conomiques intervenant dans le domaine des d�chets ferreux et non ferreux pour des op�rations condamnables qui remontent... � 2001. A contrario, on saluera la c�l�rit� avec laquelle il a �t� r�cemment mis fin aux agissements contraires � la r�glementation des changes de deux autres op�rateurs de nationalit� syrienne, d�tenteurs d’un r�c�piss� de d�p�t et d’un registre du commerce de l’ann�e en cours. C’est la preuve que les choses peuvent bouger dans le bon sens, le m�rite revenant �videmment en la mati�re � la direction g�n�rale des changes de la Banque des banques. Il n’est jamais trop tard pour bien faire et il faut reconna�tre � l’ordonnance 03/01 du 19 f�vrier 2003 d’avoir fouett� le dispositif de lutte contre la fuite des capitaux qui reste bien �videmment l’un des moyens d’appauvrissement de la collectivit� nationale ; elle repr�sente un fl�au d’autant plus inacceptable qu’elle r�sulte soit de la corruption soit des infractions � la l�gislation des changes. Dans ces conditions, la c�l�rit� dans le traitement et le suivi des dossiers, l’int�grit� des fonctionnaires, l’accumulation du savoir-faire et la promotion des comp�tences sont autant de facteurs humains qui commandent la r�ussite de la traque du crime �conomique dans les d�lais impartis par la loi. Nous sommes ici au cœur de cette partie importante, souvent n�glig�e, de la richesse de l’administration, de ce qui repr�sente ses actifs immat�riels. De nombreuses administrations l’ont v�cue � leurs d�pens pour ne pas l’avoir mesur�e � temps, en particulier au cours des ann�es 1980, lorsque les fonctionnaires et les cadres les plus anciens ont �t� envoy�s massivement en pr�-retraite. Cette disparition rapide des agents exp�riment�s a souvent eu des cons�quences f�cheuses dans ses activit�s lourdes et sensibles pour le Tr�sor public. L’h�morragie est d’autant plus abondante que ces mises � la retraite viennent ajouter � l’exode forc� de dizaines de milliers de cadres et de dipl�m�s au cours de la “d�cennie rouge”. Les secteurs les plus touch�s par ces pertes de m�moire, comme la sant�, l’�ducation, les douanes, les grands minist�res ou la justice ressentent aujourd’hui le besoin de mieux conserver � l’avenir ce savoir-faire et ces connaissances tacites, de formaliser davantage les savoirs et le savoir-faire. Le r�alisme autorise � dire que le plus et le mieux qu’ait � gagner la collectivit� est de remettre � la t�che les hommes et les femmes charg�s du contr�le. Le temps requis pour confectionner des milliers de dossiers et de les soumettre au traitement d’une administration judiciaire d�j� surcharg�e, et souvent injustement accus�e de lenteurs, ce temps-l� peut profiter aux d�linquants nouvellement arriv�s dans le monde des affaires. Comme quoi on ne rattrape pas le temps perdu par la pr�cipitation. Un travail vite fait ou mal fait engendre parfois plus de co�ts qu’un travail pas fait du tout.
A. B.

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