Kabylie Story : Akbou, la plume de Taos
Par Arezki Metref


Traverser la for�t de Yakouren en �coutant Radio Soummam �mettant � partir de Vgayet, c’est parcourir un trait d’union. Point de singes sautillant dans les arbres. Nos anc�tres se terrent quelque part, en attendant que la temp�te passe. Trop froid pour s’amuser � faire des grimaces en se balan�ant aux branches. Si Marzouk s’est r�solu � emprunter cette route pour rallier l’autre versant du Djurdjura, c’est parce que tous les cols sont ferm�s. Mais est-ce vraiment mieux ? Le pare-brise est de plus en plus obstru�.
Les essuie-glaces peinent � se mouvoir. Le ciel n’est plus qu’une b�ance grise, stri�e de flocons blancs. Sur la route, les paquets de neige recouvrent le bitume � le rendre invisible. Une main est en train d’�taler la laine d’un burnous blanc sur la terre. Adekar, ce sont quelques maisons qui montrent un bout de toit � travers le rideau monochrome. Dans un virage, un fourgon est en travers de la route. La progression devient dangereuse. ��a ira mieux en descendant�, me rassure Merzouk. Apr�s Adekar, nous entamons, en effet, l’atterrissage. La route est plus d�gag�e au fur et � mesure que nous perdons de l’altitude. Apr�s des virages d�sesp�r�ment r�p�t�s, Akbou appara�t au pied du mont Gueldaman. Il faut remonter pour trouver le centreville, un entrecroisement de rues trac�es � la r�gle sur une assiette plane, au-dessus de laquelle Ighram se d�ploie comme un chapelet de maisons en �quilibre sur les flancs surmont�s par des pics. Dans la brume, les quelques lumi�res attard�es dans les hublots des villages c�lestes scintillent comme des lucioles. Il pleut sur Akbou. Taos Mahmoud, la premi�re femme journaliste du cru, m’attend sur l’esplanade de la mairie. Elle est debout sous un parapluie, au milieu du branle-bas qui agite le si�ge de la municipalit�. �Viens vite, on va assister � la cl�ture de la f�te des olives�, dit-elle. La salle de r�unions de la mairie est plong�e dans une semi-obscurit� h�riss�e de formes humaines entass�es sur des si�ges. A la tribune, un homme teste le micro. On se d�gotte une place. L’orateur, autour duquel d’autres orateurs attendent leur tour pour prendre la parole, remercie comme il se doit l’ensemble des participants � la neuvi�me �dition de cette rencontre des ol�iculteurs de la vall�e. Il d�plore cependant qu’aucun de ces officiels, qui se pressaient � la f�te de la datte, n’ait daign� les honorer de sa pr�sence. �Peut-�tre parce que l’olive est noire alors que la datte ne l’est pas�, ironise-t-il. Il vante la qualit� de l’huile de la vall�e. Plus tard, abondant dans le m�me sens, un octog�naire, bon pied bon œil, m’apprendra que Roosevelt se faisait offrir tous les ans 50 litres d’huile d’olive de la Soummam par un colon de Maillot. L’orateur s’insurge contre cette faute de style qui consiste � couper l’huile d’olive avec de l’huile de colza. �M�langer l’huile kabyle avec de l’huile sans go�t, c’est enlever � la premi�re son nom�. Il s’interroge enfin sur les raisons pour lesquelles les petits ol�iculteurs, comme la vall�e en compte � l’envi, ne re�oivent aucune protection dans la concurrence que leur fait l’importation d’huile d’olive d’Espagne. A Akbou m�me, on consomme andalou plut�t que local. D’autres discours s’encha�nent. On distribue, pour finir, des certificats de participation. Taos en re�oit un. Elle le m�rite. En sa qualit� de �locali�re�, il lui importe de faire conna�tre ce qui se fait de bien dans sa ville natale. Un homme, qui semble porter sur ses �paules toutes les inqui�tudes du monde, tient � nous inviter, Merzouk et moi, � nous joindre aux autres convives pour partager le d�jeuner. La gargote s’appelle Tekka. On s’y rend en traversant une rue d�fonc�e. La mezzanine est un boyau sombre. On y acc�de par un escalier en bois. Un rai de lumi�re entrant par l’unique fen�tre de la pi�ce trace comme une ligne de partage entre deux rang�es de tables. Autour de ces tables, il y a des hommes. Rien que des hommes. La seule femme ici, c’est Taos : �J’ai fini par me faire respecter comme correspondante de presse.� Elle raconte. Au d�but, c’est-�dire il y a sept ou huit ans, les hommes ne comprenaient pas qu’une femme se m�le � eux dans des r�unions publiques. Puis, les choses se sont mises � se d�contracter au point o� les œill�res on �t� remis�es aux vestiaires. Maintenant, on parle � Taos non point comme � une femme, mais comme � un journaliste. Taos est n�e � Idjdar�ne, un quartier populaire d’Akbou. Elle fr�quente le lyc�e Hafsa, r�cemment rebaptis�, � l’instigation du mouvement des aarhsn Mohamed Haroun, du nom d’un militant de la cause berb�re des ann�es 1970, embastill� � Lamb�se. Elle enseigne le fran�ais depuis des ann�es, ce qui lui vaut de conna�tre une bonne partie des jeunes de la ville. En d�veloppant les r�seaux de correspondants locaux, n�cessaires en particulier en Kabylie, la presse ind�pendante a surtout puis� dans le corps enseignant. Taos a toujours eu un penchant pour l’�criture. Hobby ? Plus, mieux... D’instinct, elle per�oit l’acte d’�crire comme une th�rapie � une timidit� maladive. C’est le surpresseur qui va faire monter � la surface tout ce qui est enfoui… Sauter le pas vers le journalisme est le compromis entre cet �lan litt�raire brid� par toutes sortes de difficult�s et le silence pur et simple. Dans sa pratique de journaliste, on sent, du reste, une femme de lettres qui sommeille. Elle se trahit tout autant par un style gorg� de lyrisme que par le choix des sujets. La gen�se des choses l’int�resse de la m�me mani�re que le fait d’actualit�. Akbou, la ville coloniale, a �t� fond�e autour de 1871. C’�tait l’ann�e de cette guerre qui a fait balancer l’Alsace et la Lorraine c�t� allemand. Ce n’est donc pas surprenant que les colons qui s’installent sur les terres de la tribu des Illoula, spoli�s de leurs biens pour cause de participation � l’insurrection d’El Mokrani, donnent le nom de Metz � la ville qu’ils fondent. Ce nom n’aura qu’un temps. Akbou revient au galop. Dans cette vall�e de la Soummam o� les terres sont relativement g�n�reuses, Akbou forme alors une synth�se entre les pesanteurs sociologiques des montagnards et les audaces citadines. Akbou, ce n’est d�j� plus la montagne, mais est-ce encore la ville ? La question, ancienne, a encore de l’avenir devant elle. Taos continue : �Pendant le Printemps noir, c’�tait le calvaire�, dit-elle. Les gendarmes tirent avec la m�me d�sinvolture qu’ailleurs, en Kabylie. Ils font six morts parmi les jeunes et plusieurs bless�s � vie. Saisis de col�re devant cette injustice, les jeunes cassent tout ce qui symbolise cette autorit� dont la seule comp�tence r�side visiblement dans la promptitude � r�primer. Mais ils �pargnent la mairie. �Elle est � nous�, disent les aarchs. La ville �merge � peine de ce cauchemar. Il faut apprendre � vivre dans cette p�riode post-traumatique. Taos observe des choses impensables il y a quelques ann�es. �Nos jeunes filles entrent � pr�sent dans les cybercaf�s et m�me dans les pizzerias �. Les uns comme les autres font flor�s. Une vraie r�volution ! La maison de jeunes s’appelle Abderahmane-Far�s, du nom du pr�sident de l’Ex�cutif provisoire issu des accords d’Evian, originaire d’Amalou. On prend la route nationale 26. On longe le Piton, ce pain de sucre sur lequel un monument fun�raire se dresse comme une �nigme. �Elle fait r�ver historiens et arch�ologues �trangers�, dit Taos. A partir de la voiture, elle me montre des mausol�es sur des �minences. �Dans les bourgades kabyles, les villageois s'affilient � un tr�s lointain anc�tre � la vie tr�s riche en bonnes actions et qui , selon les croyances, continue � veiller sur �ses enfants�, �ternellement �. Par ici, il y a m�me des villages dont le saint est une sainte. La voiture file en contrebas d’Akbou. D’ici, on voit bien la ville s’�largir � de nouveaux quartiers, chaotiques. Ces villas – � d�faut d’autres appellations – si caract�ristiques de l’Alg�rie du rond � b�ton, ont l’air de se bousculer jusque dans la montagne. Taos dit : �En la regardant, si simple et majestueuse � la fois dans sa splendeur, je me r�p�te tout bas puis tout haut : paix sur ma ville�.
Dans notre prochaine �dition, Tazmalt, la ferme Ouyahia.



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