Kabylie Story : Tazmalt, la ferme Ouyahia
Par Arezki Metref


�Cette ann�e, la r�colte est m�diocre�, dit Ahmed Ouyahia en regardant les essaims d’�tourneaux ex�cuter des figures de ballet au-dessus d’une olivaie. �Celle de l’ann�e derni�re �tait, par contre, exceptionnelle�. L’homme a quarante-cinq ans. Il a le visage �maci�, le regard dubitatif du veilleur et la parole parcimonieuse.

Il �tait � Akbou, dans cette r�union des ol�iculteurs, o� nous lui demandons de nous faire visiter Tazmalt, sa ville natale. Il monte dans la voiture, avec ses deux enfants. Il explique : �C’est les vacances, je les emm�ne � la ferme � Tazmalt. Nous habitons en partie � Akbou�. Dans la voiture, Taos, la journaliste d’Akbou, qui nous accompagne, parle des mausol�es �pars sur toute la distance entre Akbou et Tazmalt. C’est comme un chemin jalonn� de pierres sacr�es. Nous sommes dans la vall�e de la Soummam. La route est droite, large. Nous traversons Ouzelagu�ne. Au milieu du village, une plaque indique Ifri. Depuis quelques ann�es, c’est le nom de cette source qui fournit l’eau min�rale que l’on sait. Mais c’est, surtout, ce hameau magique o� s’est tenu le fameux congr�s de la Soummam. J’ai visit�, il y a quelques ann�es, la maison foresti�re dans laquelle se sont retrouv�s les congressistes. J’ai grandi en face de la t�l�vision jubilatoire nous montrant les lambris du Club-des- Pins abritant les grands-messes du FLN en congr�s. J’en ai d�duit qu’un congr�s n’est viable que s’il atteignait son quorum de limousines et de costumes Zmalto ou, � un �chelon moindre, Sonitex unit� B�ja�a. Le vocable m�me de congr�s me semblait ne d�signer que cette sorte de surench�re dans l’emphase patriotique cravat�e dans un h�micycle o� la parole est d’argent. Et voil� que je d�couvre que des hommes ont d�jou� les mailles de l’arm�e fran�aise pour s’engouffrer, engonc�s dans des kachabias, dans un g�te rural afin de donner une colonne vert�brale � un grand corps d�sarticul� et un sens pr�cis � ce qui n’�tait qu’une approximation. C’est cela le congr�s de la Soummam : le risque, une colonne vert�brale et un sens. Ouzelagu�ne reste un village reclus dans l’anonymat, confit dans l’humilit�. Lorsque l’hiver le barbouille de grisaille et creuse dans le bitume des orni�res combl�es de boue, la plaque qui indique plus haut le mus�e consacr� au congr�s de la Soummam file comme une pens�e fugace. Dans la voiture, Ahmed Ouyahia parle de sa ferme. C’est une exploitation de 10 ha qui se trouve � l’entr�e de Tazmalt, au lieu-dit Hadj-Omar. Le lieu porte le nom du propre p�re du fermier. Nous prenons une route de terre, � droite. La voiture subit des cahots en surmontant des pro�minences boueuses. Nous arrivons au pied d’une colline. A main droite, la maison est sacr�ment entam�e par la v�tust�. Tout autour, les oliviers � un endroit, des arbres fruitiers � un autre. Ahmed Ouyahia me fait visiter son exploitation avec beaucoup d’enthousiasme. Il exprime ce besoin souvent ressenti par les gens qui travaillent beaucoup que l’on admire le fruit de leurs efforts. Ahmed Ouyahia ajoute � ce besoin tout humain celui de montrer que la maison est bien gard�e. En effet, il tient cette terre de son p�re qui la tenait lui-m�me du sien, Hadj- Mohand Sa�d Ouyahia, agriculteur et commer�ant, dont les chroniqueurs de la cit� riveraine de la Soummam ont conserv� le nom comme celui d’un insigne donateur pour la construction de la mosqu�e de Tazmalt. Ahmed Ouyahia, fier de ce prestige familial, insiste pour que je le note. Par h�ritage comme par vocation, le fermier �tait destin� � la ferme. Lorsque, apr�s l’�cole primaire de Tazmalt, Ahmed Ouyahia quitte le lyc�e d’Akbou, c’est pour se rendre � l’institut d’horticulture de A�n- Taya. Il en sort avec le grade de technicien en 1979. Il revient dans sa r�gion natale o� il travaille au domaine Ghazzou, une exploitation autog�r�e. Puis, il reprend la ferme familiale. En refermant cette parenth�se de quelques ann�es � Akbou, Ahmed Ouyahia reconna�t � peine Tazmalt. �Aujourd’hui, il y a beaucoup d’�trangers. Autrefois, tout le monde se connaissait�, dit-il. Nous d�ambulons � travers la ville. Il pleut. La rue Abderahmane-Mira, art�re principale, est couverte de parapluies. La foule est partout dans une ville d�bord�e. Le lyc�e Mohamed-Boudiaf est un imposant b�timent, � la marge de la ville. Un terrain vague. C’est le march� de Tazmalt. Il est doublement connu. D’abord parce qu’une bombe a �t� d�pos�e dans un regard en mai 2002. Ensuite parce que c’est �le deuxi�me plus grand march� d’Alg�rie apr�s celui de Bouma�ti�, dixit Ouyahia. Ahmed Ouyahia �tait � Tazmalt lors du Printemps noir. Il garde le souvenir d’une grande violence et d’une grande confusion. Mais il n’en dit pas plus. J’ai cherch� et voil� ce que j’ai trouv� dans une chronologie du Printemps noir. A la date du 25 avril 2001 : �A Tazmalt, la poste, les imp�ts et le si�ge de la Sonelgaz sont saccag�s et br�l�s. Les banques et le si�ge de la da�ra font l'objet d'actes de destruction. La route nationale est barricad�e.� J’ai trouv� aussi trace, chez beaucoup de t�moins, d’un grand attachement de Tazmalt � tamazight. Depuis 1980, chaque fois que �a bouge quelque part pour l’identit� amazighe, Tazmalt est l�, mobilis�e, se dressant dans une rare intransigeance. Un potentiel de jeunes comme une poudri�re, c’est la population de Tazmalt. On y sent planer cette �tincelle qui, d’un moment � l’autre, peut faire flamber le foyer. C’est d�j� arriv�. Ahmed Ouyahia nous fait faire un dernier tour. Puis, il descend. La visite est finie.

A.M.

Dans notre prochaine �dition : “Azzefoun, l’aarch de No�”





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