Panorama : LETTRE DE PROVINCE
Le grand �ge du commandeur


Par Boubakeur Hamidechi
“La vieillesse est un naufrage” se d�solait de Gaulle lorsqu’il �voquait les errements du mar�chal P�tain. Ayant rejoint en �ge le chef du gouvernement de Vichy — pr�cis�ment 88 ans en 1945 —, notre commandeur Ben Bella serait-il � son tour victime d’un d�ficit de lucidit� politique et de discernement �thique ?
Car, en s’impliquant dans un marketing politicien, dont l’objet manque assur�ment de noblesse, il apporte sa caution morale � un processus pour le moins inopportun dans le temps. Par ailleurs, ce fonds de commerce de l’amnistie que l’on s’efforcera de justifier par des credos hautement symboliques du genre “reconqu�te de la paix des cœurs et de l’unit� nationale”, n’ignore-t-il pas ind�cemment l’esprit de justice auquel des pans entiers de la soci�t� demeurent attach�s. C’est bien de cela qu’il s’agit et la raison pour laquelle l’on s’interroge sur le r�le que l’on veut faire jouer � l’ex-pr�sident. Mais, puisque nul ne doute de son d�sint�ressement ni le soup�onne de quelques ambitions d’arri�re-saisons, alors il ne restera � expliquer son engagement que par l’�mouvante na�vet� de la vieillesse et la grande fatigue intellectuelle qui la caract�rise. En prenant soin d’�viter les parall�les malveillants, parce que rien de comparable n’existe dans leur trajectoire respective, il reste cependant frappant de relever que chez ces octog�naires embl�matiques (grands patriotes devant l’Eternel), les convictions cr�pusculaires sont �tonnamment marqu�es par un singulier “exc�s” de sagesse. La paix, la paix d�clin�e sur tous les modes, devient alors un leit motiv ind�passable, et pour le compte duquel tout devient contingent, c’est-�-dire sacrifiable. Ainsi, cette hypertrophie du concept de la r�conciliation les installe dans une certitude discutable qui les laisse croire que la grandeur des nations peut parfois s’accommoder de quelques capitulations. Si pour l’histoire, le “naufrag�” d’une certaine France connut le destin que l’on sait, dans les temps pr�sents d’une certaine Alg�rie, notre respectable “historique” s’appr�te, � son tour, � surfer sur de vagues postulats pacificateurs. P�lerin de la r�demption nationale par l’oubli, n’a-t-il pas r�duit l’indicible douleur des familles des victimes du terrorisme � des vagissements secondaires. Or, cette propension � minoriser les m�faits du pass� ne donne pas pour autant suppl�ment de morale � l’entreprise en question. Et puisque nous ne sortons pas du domaine de l’�thique et de ses valeurs, pourquoi donc la p�dagogie politique doit-elle, pour sa part, �vacuer de son marchandage la profession de foi de toute bonne justice ? Car elle devra bien justifier sur le terrain une si “urgente” n�cessit� d’amnistier et de l’argumenter par la haute conscience qu’elle se donne � l’accomplir. Monsieur Ben Bella, dont la probit� est au-dessus de tous les doutes, ne serait-il finalement que l’incarnation de cette “conscience” qui manquerait aux th�ories politiques du projet ? Car, comme on le sait, les politiciens ne sont consciencieux que dans l’ach�vement � faire aboutir les strat�gies, sans trop se soucier de la morale de l’Etat et des �thiques de la soci�t�. Avec la franchise que lui conf�re son grand �ge et la libert� de l’homme loin de la m�l�e, ce pr�sident d’honneur de la campagne, n’a-t-il pas reconnu “qu’on ne lui disait pas tout”. Qu’est-ce � dire par ce “tout”, si ce n’est que dans la sph�re politique l’on se pr�occupe dans la discr�tion totale � fabriquer le bon emballage. Sachant que l’unanimit� esp�r�e n’est pas acquise, du moins dans les discussions, il leur para�t n�cessaire de baliser finement les th�mes explicatifs afin de brider les d�bats sensibles, dont l’islamisme arm� est la pierre d’achoppement. En effet, le passage d’une loi sur la r�conciliation � une autre sur l’amnistie g�n�rale vise � solder un lourd pass� mais en laissant au bord de la route l’exigence de la justice. Ainsi, pr�textant qu’une prescription suffit � une communaut� nationale pour retrouver ses rep�res et son unit�, l’on envoie au pilon le devoir de v�rit� et le droit de t�moigner. Il ne faudra pas s’�tonner de voir, bient�t, entrer en sc�ne les griots des comit�s de soutien ad hoc, avec leurs transes d’une danse de Saint- Guy autour du f�tiche de la paix. Prenant en otage la conscience, ils finiront bien par lui faire ratifier un pacte douteux. Le travail de conditionnement d’une opinion fera accroire que le bien public se mesurera � l’aune de l’oubli total. A l’exemple de cette animatrice d’une association des victimes du terrorisme qui vole au secours de l’amn�sie du nom d’une fraternit� transcendentale ! “Les terroristes sont aussi nos enfants”, vient-elle de d�couvrir sans pour autant souligner que m�me la prog�niture la plus proche n’est pas exempte de punition. Tout est r�sum� dans ces petites �vidences amput�es de leurs cons�quences. Celles-ci participent � la cr�ation de conditions favorables � toutes les occultations. Parmi elles la renonciation � l’exigence d’une justice �quitable. Et pour cause, la refondation d’un Etat ne peut pas faire l’�conomie d’une saine distinction entre les bourreaux et les victimes. Le travers qu’il y a � solder aveugl�ment le pass� en faisant semblant que tout s’annule par son contraire est une perversit� de politiciens. Une injustice ne s’efface pas par la cl�mence tous azimuts. Elle ajoute du ressentiment au ressentiment. C’est a priori ce qu’il faut retenir de cette tentation amnistiante dont le nom de code cynique est “pertes et profits”. Elle ne sera en tout �tat de cause qu’une outrance de trop au r�publicanisme et un stigmate de plus dans le corps social. C’est � partir de cette conscience des m�faits que charrie une telle option qu’il faut aujourd’hui s’interroger. Faisant peu cas de la capacit� du temps � faire par lui-m�me son œuvre, l’amnistie, administr�e comme un traitement de cheval, ne pourra que servir des ambitions de pouvoir. L’histoire r�cente des peuples ayant connu de semblables fractures l’enseigne parfaitement. N’estce pas de l’Espagne que nous vient un mod�le d’une unit� nationale retrouv�e et d’un pass� assur� essentiellement mais seulement apr�s des d�cennies de statu quo ? L’ex-pr�sident dont l’image va �tre exploit�e comme celle d’une ic�ne a laiss� entendre qu’il n’avait connaissance que de donn�es fragmentaires du projet. Voil� qui est significatif de la difficult� en haut lieu � trouver la bonne formulation, celle qui n’effarouche gu�re tout en atteignant l’objectif principal : l’absolution de l’islamisme arm�. En s’habillant d’œcum�nisme, la version de ce pardon n’en sera profitable qu’aux GIA, GSPC et autre AIS. Ben Bella a justement lev� le voile sur les b�n�ficiaires r�els en accusant clairement le pouvoir d’Etat de n’avoir pas tenu ses promesses face � l’AIS. Terrifiante r�v�lation sur le rabaissement de la puissance publique obtemp�rant aux injonctions de ceux qui la combattirent. A ce sujet, faut-il rappeler que les pacifismes forcen�s finissent toujours par c�der sur tout. Et que, d’une mani�re ou d’une autre, ils participent au d�sarmement moral d’une communaut�. La morale de l’histoire de cette amnistie pilot�e par des int�r�ts politiques est qu’elle d�pouille, pr�cis�ment, les v�ritables d�positaires du pardon de ce droit de pr�emption de l’accorder ou non. Autrement dit, le recours abusif � la ficelle r�f�rendaire se retourne parfois contre le bon sens et la sagesse des nations. En effet, le droit �l�mentaire de se prononcer sur la question vitale qu’est le renoncement � la justice disqualifie le recours � la manipulation pl�biscitaire pour ne concerner que ceux qui furent victimes. En d�pit de ses respectables convictions, l’ancien pr�sident sait mieux que quiconque ce qu’il en co�te de mutiler par la chirurgie politique le t�moignage collectif. En somme, une guerre civile se solde d�finitivement dans les manuels d’histoire et jamais par le forceps des urnes. Elle est donc l’affaire des g�n�rations futures et surtout pas le domaine exclusif d’un pouvoir politique g�rant encore la tourmente. La paix est assur�ment une cause noble, mais � la condition qu’elle soit soustraite aux intrigues du monde politique. Monsieur Ben-Bella, qui, de bonne foi se pr�te � la d�fense d’un grand id�al, sait-il au moins qu’� l’arriv�e, c’est la justice qui sera mal pay�e en retour ? Lui qui campe sur les contreforts de l’�thique et en qui le pays reconna�t une conscience aigu� de la patrie devrait se souvenir en temps voulu que l’on n’enterre pas la hache de guerre avec la balance de la justice.
B. H.

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