Panorama : �LETTRE DE PROVINCE
La derni�re r�v�rence d’un certain f�minisme
Par Boubakeur Hamidechi


Il les a exhort�s � se mettre � la politique afin de devenir visibles. Il est vrai qu’il y a de nos jours, plus que de l’archa�sme injurieux � cr�er un “minist�re du tricot” selon la misogynie ravageuse d’un DE GAULLE, juste pour faire entrer au gouvernement une femme. Notre pr�sident, qui se d�sole que les Alg�riennes s’int�ressent si peu � la chose publique et inclinent rarement � faire du militantisme, n’exprime-t-il pas � son tour une vieille id�e re�ue ? Cette assertion, de moins en moins justifi�e, est soulign�e quand il se laisse aller en dissertant sur la politique en tant qu’art !

Un “don” que seuls quelques �lus — au masculin �videmment — exercent… L’invitation qui leur est adress�e d’investir ce sanctuaire machiste laisse notamment entendre que l’�mancipation des femmes passe exclusivement par elles et qu’elles ne doivent rien attendre d’un vis-�-vis s�culairement discriminateur. In fine, le chef de l’�tat admet aux d�pens de sa haute charge, qu’il ne peut lui-m�me aller au-del� de ce que propose la nouvelle mouture de ce code. Son propos a indiscutablement le m�rite de rappeler le carcan constitutionnel et de faire un clin d’œil � celles qui sont d��ues, leur sugg�rant � demi-mot de s’investir dans la politique si elles souhaitent r�ussir une r�volution des mœurs. Elles seules, seraient par cons�quent en mesure de changer leur condition et balayer vingt si�cles de pr�jug�s. Faire de la politique pour acc�der aux premiers cercles de la d�cision n’est pourtant pas affaire de don, d’aptitudes ou l’on ne sait quelles pr�dispositions mentales. Pour une femme, un tel engagement rel�ve du parcours du combattant avec bien plus d’impasses, de chausse-trappes que de voies balis�es. Un champ de mines o� il y a plus � perdre ses convictions qu’� gagner en notori�t�. C’est que la femme en politique demeure encore un surnum�raire aux c�t�s de l’effectif qui compte et se compte. Autrement dit, o� et comment doivent-elles exprimer d’abord la singularit� de leur lutte et en m�me temps faire siennes les pr�occupations g�n�rales ? Mais aupr�s des partis, leur dira-t-on ! Illusion que ces appareils dont les pr�occupations sont d’un tout autre ordre que celui de d�voiler l’infamie de certaines lois et d’en exiger leurs annulations. Et ce n’est pas la solitaire Louisa Hanoune dont le destin est subitement devenu fabuleux gr�ce aux louanges du pr�sident qui les r�conciliera avec toutes ces chapelles qui tiennent leur combat pour douteux, quand elles ne vont pas � la soupe du r�gime. Cette femme port�e sur les fonts baptismaux de l’exemplarit� et de l’excellence en politique est devenu, � travers les propos tenus, l’alibi de tous des griefs dont on les accable. Leur “nullit�” est dessin�e en creux dans sa “r�ussite”. Mais pourquoi donc occulte-t-on le fait qu’�tre femme qui a choisi de ne se battre que pour sa dignit� est autrement plus p�rilleux que de d�noncer des privatisations ou d�fendre la fonction publique ? Les droits politiques dont on se gausse � sati�t�, ah ! le droit de voter – ne leur ont pas pour autant donn� les pouvoirs politiques esp�r�s. Ils sont m�me parvenus � diluer la sp�cificit� d’une lutte dans les th�mes g�n�riques : ceux des droits de l’homme ou de la d�fense de l’enfance. Le pluralisme ne diff�ra gu�re de l’ancien r�gime du parti unique en d�couplant des pr�tentieux programmes d’action la probl�matique du code de la famille, du reste des vœux pieux. Tout au plus, le r�tablissement des libert�s publiques � partir de 1989, leur permit de s’organiser en associations � connotations f�ministes avec ce que celles-ci supposent comme folklore et finalement de ghettos aux influences toutes relatives. Le combat attendu vira vite aux actions de bienfaisance et les battantes en vues, en dames de charit� ou en entremetteuses politiques. Pour n’avoir pas su peser � l’int�rieur des enjeux, elles finirent par n’�tre que des microcosmes � l’existence quasi-confidentielle. Toutes leurs marches ou leurs sit-in, leurs p�titions ou leurs manifestes furent r�cup�r�es et leur contenu �dulcor�. Le pouvoir d’�tat ayant besoin de se faire une “religion” sur la question mais aussi des alli�es r�cup�ra bon nombre d’entre elles. Aussi bien la nomenklatura au pouvoir que les formations politiques trait�rent ce grave probl�me de soci�t� sous l’angle de l’instrumentation des relais et du funambulisme s�mantique. Jamais au grand jamais, ils ne renonc�rent au canevas de la mouture de 1984 arguant de la fiabilit� de ses r�f�rences. C’est de ce d�calage entre l’attente d’une abrogation et le r�formisme par petites touches, que na�tra chez la plupart des militantes ce sentiment d’avoir �t� fourvoy�es. Leur m�contentement s’adressait �galement � celles d’entre elles qui, de l’int�rieur des rouages du pouvoir, approuv�rent du bout des l�vres, mais approuv�rent quand m�me les “avanc�s” contenues dans la future loi. Au nom du r�alisme, elles ne r�clamaient depuis longtemps que la disparition de certaines dispositions sans pour autant que l’esprit du texte soit modifi�. Chez celles-ci, le discours id�aliste sur l’�galit� a fait place � une d�marche politicienne qui satisfasse plut�t leur “employeur” imitant en cela leurs homologues masculins rompus � la discipline n�cessaire � toute carri�re. En somme, avec elles, l’on collabore au nom d’une cause et l’on finit par admettre l’inverse. Ce n’est par cons�quent pas de ce type de militantisme de carri�riste dont a besoin la cause des femmes mais d’une autre fa�on de faire la politique aussi bien � l’oppos� des modes en vigueur qu’en rupture avec la na�vet� des “basbleus” qui peuplent encore les associations. Dans cet ordre d’id�es, la porte-parole du PT ne d�roge pas aux standards communs sauf qu’elle est une femme. Par exemple, sur son apparent d�saccord, l’on rel�vera que sa r�serve principale tient au fait qu’il n’y ait pas de d�bat parlementaire au moment o� les juristes avis�s insistent sur le fond en rappelant que c’est la Constitution dans son article sur la religion d’�tat qui alimentera longtemps encore, l’esprit de ce code. Tant que la Constitution n’aura pas �t� expurg�e de toute r�f�rence cultuelle, ce dossier ne fera pas beaucoup de progr�s. Aujourd’hui, poursuivre ce combat sans exiger le transfert de la religion de la sph�re publique � la sph�re priv�e n’a plus de sens. Sur cet aspect, l’opinion n’a pas encore entendu Mme Hanoune trancher courageusement. Cette r�volution � laquelle les mentalit�s politiques sont impr�par�es peut par contre fournir d’autres pistes pour r�activer leur cause en ne s’attardant pas inutilement sur les iniquit�s de ce code. Il s’agit des in�galit�s criantes qui marquent l’acc�s � l’ascenseur social. C’est-�-dire, la promotion par le m�rite et la comp�tence aux hauts fonctions de l’�tat. Avec plus de 60 % de dipl�m�es de l’universit�, les femmes sont pourtant rarement pr�sentes dans les strates d�cisionnelles. Cet arbitraire sexiste que rien ne justifie et ce d�ficit pr�judiciable aux femmes permet de d�montrer que la v�ritable invisibilit� de l’Alg�rienne ne r�side pas dans cette pr�tendue infirmit� “cong�nitale” � assumer de lourdes responsabilit�s. Il faut dor�navant l’expliquer par la persistance d’un vieux fonds de pr�jug�s qui impr�gne la culture de l’�tat propre � la g�n�ration de l’ind�pendance et pas seulement elle — les id�ologies conservatrices �tant aujourd’hui leurs alli�es, ont bonne presse et grande influence. Si nos institutions ne comptent que trois ou quatre ministres femmes, le Parlement seulement une dizaine et la haute administration � peine une douzaine, on doit cette sous-repr�sentation d’abord � l’imperfection du jugement politique et non � la m�diocrit� de nos dames. Le chef de l’�tat exaltant les grandes qualit�s de cette leader de parti, contribue en m�me temps � rabaisser ses sœurs en insinuant que le pays souffre de la raret� des comp�tences f�minines. Quand bien m�me il est prudent de mettre son propos sur le compte des effets de tribune et qu’il ne pense rien de tout cela, la formule a d� s�rement faire mouche aupr�s des nombreuses universitaires de grande qualit�. Au-del� de la pol�mique autour du cadre juridique pour se faire reconna�tre dans le couple et la famille, l’Alg�rienne p�tit plus gravement encore d’une sorte de numerus clausus qui la refoule de la notori�t� et la prive de la reconnaissance sociale. Tous ces domaines ouverts en th�orie � la comp�tition, mais inaccessibles � elles, ne sont pourtant pas tributaires d’aucun “IJTIHAD” alors qu’ils demeurent des chasses gard�es des hommes en attendant que des bonnes volont�s politiques se manifestent. En effet, rien ne s’oppose � ce que l’on inocule de fortes doses de discrimination positive en l�gif�rant, comme cela se fait ailleurs, sur l’obligation des quotas afin de permettre � cette �lite au f�minin d’occuper proportionnellement des postes de responsabilit�. Quant au souci de l’excellence qui dissimule mal nos propres �checs, seuls le bon sens et l’apprentissage y pourvoirons. L’�ternel f�minin, dont toutes les soci�t�s n’ont pas fini d’explorer les poches d’injustices et d’am�liorer la condition, interpelle doublement cette terre d’islam et de pauvret�. Malgr� la complexit� de notre �quation, les injustices singuli�res sont souvent plus intol�rables que les d�tresses communes. Ce sont elles qu’il faut corriger en urgence pour pr�tendre ensuite � r�genter la communaut�. D�s l’instant o� un pouvoir entreprend de briser ces fatalit�s ancestrales, il ne peut que s’exon�rer positivement de toutes les erreurs qui le guettent. Il est certain que la condition f�minine est une in�puisable th�se qui continuera � diviser, � f�cher et � rassembler aussi… Pour conclure, autant se contenter de “l’imp�rissable” formule d’une f�ministe fran�aise tr�s en vue au milieu du si�cle dernier et qui disait : “le probl�me des femmes sera r�solu le jour o� l’on verra une femme m�diocre � un poste important.” Et d’ajouter en guise de mise en garde : “La f�minit� n’est pas une incomp�tence. Elle n’est pas non plus une comp�tence”…( 1) Que doivent penser nos princes de cette “Parit�” qui leur rappelle que les hommes n’ont jamais eu de probl�mes semblables � r�soudre puisque souvent, certains m�diocres parmi eux ont occup� des postes importants ! L’humilit� commence avec cet aveu. BH

(1)… Formule rapport�e par Jean Daniel du Nouvel Observateur et cit�e par Christine Ockrent dans son livre consacr� � Fran�oise Giroud : “Une ambition fran�aise”.

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