Panorama : ICI MIEUX QUE L�-BAS
D�glingue
Par Arezki Metref
arezkimetref@yahoo.fr


Ta patrie, �nourrici�re� comme dirait l�autre, a les apparences de la machine bien huil�e, partant au quart de tour. Mais seulement les apparences. Elle ressemble en fait � un tas de neige. Vu de dehors, c�est blanc, d�un blanc proche de la perfection. Mais � l�int�rieur, la neige se transforme en eau noire et boueuse.

Ce d�doublement s�accompagne d�un autre d�doublement, celui du langage. Rarement un pays aura ressembl� � ta patrie : on la couvre de baisers humides et sonores et on lui plante la dague entre les omoplates. On lui fait, d�un c�t�, de br�lantes d�clarations d�amour patriotique. De l�autre, on la pille, d�poss�de sans vergogne. On la louange sans retenue et on la d�sosse comme une vieille bagnole abandonn�e. A chaque coin de rue, tu rencontres ces h�rauts de l�exaltation patriotique qui te prouveront sans tarder que nul ne saurait aimer le pays comme eux et te montreront, au passage et pour le prix d�une consultation simple, comment tu dois l�aimer, cette D�glingue. Car tout se joue sur ce va-et-vient entre l�apparence et la chose. Les apparences, d�abord. Regarde. Il y a les routes, mais elles sont trou�es de nids de poule pire que du bon gruy�re. Quand tu en prends un � une vitesse raisonnable, tu en as au bas mot pour le double r�telier chez le vulcanisateur quand ce n�est pas un double s�jour aux urgences avec vue panoramique sur le purgatoire. Mais ce n�est pas grave, c�est �a la patrie, et tu l�aimes ta D�glingue. Il y a l��clairage public qui, parfois, diffuse une belle lumi�re orang�e, superbe dans l�air translucide de la nuit d��t�. Mais il ne fonctionne pas parce que les lampadaires, un petit malin les a d�racin�s pour les planter dans son jardin comme des nains du m�me nom qui auraient grandi trop vite. Mais m�me dans l�obscurit� la plus �paisse, tu es guid� par ce rai d�amour de la patrie car tu l�aimes, hein !, cette D�glingue ! Il y a des robinets dans les maisons mais l�eau n�est pas toujours courante car, dit l�entra�neur du sporting local, elle ne s�entra�ne pas assez pour pouvoir courir. Alors le robinet sert de d�cor. Oui, c�est beau un robinet, surtout lorsqu�il est sec. L�eau, ce n�est pas bon pour les robinets, �a ronge le m�tal, petit � petit, perfidement, tra�treusement. �a s�appelle de l��tiolement ; c�est une maladie ravageuse. D�ailleurs, le m�decin de la famille robineti�re pr�f�re agir � titre pr�ventif. Si l�eau n�est pas courante, c�est pour prot�ger les robinets. Il faut y voir une mesure de sant� publique. Gosier sec et mains sales, au sens propre du terme bien s�r, tu bois ce mot comme du petit-lait. Tu l�aimes bien le petit-lait de la patrie, hein ? Il y a le t�l�phone, mais il ne sert � rien depuis l�invasion des portables p�lerins. Cette race de sauterelles, qui a des antennes l�g�rement plus petites que les criquets que nous connaissons bien � la D�glingue, prolif�rent plus vite que les cafards. Une des races de portables atteint, dit-on, d�j� cinq millions d�individus. Les autres courent apr�s, parce que le g�teau a encore beaucoup de miettes. Il gr�sille, le t�l�phone. Il a moins de champ que de man�uvres. On te l�arrache des mains pour t�all�ger de tes soucis de fret. On te le ratatine, le t�l�phone. On en vole, ach�te, vend comme s�il s�agissait d�un bien de premi�re n�cessit�. Pourtant, on a bien v�cu avant l�apparition de cet �trange animal. Aujourd�hui, tu te vois sans portable ? Non, pas possible. Le CAC 40 s�effondrerait sur le coccyx, le Brent chuterait � Rotterdam, Vesoul ne serait plus Vesoul, un foyer de tension prendrait comme un feu de for�t illico presto sur la face cach�e de la terre. Non, il te faut ce portable. Il y a un gouvernement, des ministres, des d�put�s et depuis qu�il y a le portable, c�est encore plus t�l�phon� qu�� l��poque du fixe, o� il fallait �tre le jumeau du copain au ministre des PTT pour �tre branch�. T�l�phon� ? Oui, c�est parce que �a l�est � l�envi qu�il y a autant de portables dans la nature. La communication t�l�phonique redevient ce qu�elle n�aurait jamais cess� d��tre pour la politique : �Qui est � l�appareil ? C�est l�appareil lui-m�me �. Il y a les plages mais elles sont bond�es et pollu�es. D�ailleurs, les h�rauts de l�exaltation patriotique de tout � l�heure pr�f�rent ne pas ajouter � la surpopulation et la pollution : ils vont voir ailleurs ! Tu trouves tout sur le march� mais peu de patriotes peuvent se le payer, ce tout, et dans ton �lan patriotique sonore et humide, tu te demandes : de l��galit� devant la p�nurie et l�in�galit� devant l�abondance, qu�est-ce qui est le mieux ? Mais, non, ce n�est pas la question ! Il n�y a m�me pas de question. Il y a juste ce tas de neige et cet emprunt � Talleyrand : �Un pays qui manque de richesse est un pays pauvre. Un pays qui manque de patriotisme est un pauvre pays�.
A. M.

PS d�ici : On se serait attendu � une plus grande mobilisation apr�s l�assassinat de nos deux diplomates en Irak. Ce sont deux compatriotes qui repr�sentaient l�Alg�rie. Mais non, on pr�f�re �piloguer sur ce qui se passe dans d�autres pays et regarder ailleurs.
PS de l�-bas : De gauche � droite, de bas en haut, � moins que tout cela soit configur� dans l�autre sens, la France s�est mobilis�e pour que Danone ne tombe pas dans l�escarcelle am�ricaine. On ne c�de pas comme �a quelque chose qui appartient au patrimoine. Exc�s de patriotisme ? T�as qu�� faire pareil pour tes hydrocarbures !

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