Actualit�s : Contribution
HOMMAGE A ABOUBAKR BELKAID
28 septembre 1995 - 28 septembre 2005


Le mercredi 28 septembre 2005 viendra nous rappeler l�effroyable journ�e du 28 septembre 1995, celle o� la barbarie islamiste porta un coup fatal � feu Aboubakr Belka�d. C��tait au �square de la mort� (Port-Sa�d) au moment o� il s�appr�tait � monter dans son v�hicule apr�s avoir assist� � une r�union organis�e par les anciens militants de la F�d�ration de France, ses compagnons de lutte.

Nous f�mes nombreux � vouloir croire � une erreur ... Ce ne pouvait pas �tre lui ... Lui, le grand, lui l�irrempla�able. H�las brutale, implacable, la nouvelle, la triste nouvelle, s�imposa � nous. Aboubakr Belka�d l�homme du dialogue vrai qui avait une vision lucide sans morosit� d�une Alg�rie moderne, ouverte, plurielle, le grand Rassembleur comme plus jamais il n�en existera, le R�publicain, tombait � son tour en cette matin�e du 28 septembre 1995. A la b�te immonde, il opposa sa d�termination, ses convictions d�authentique d�mocrate, sa grande culture, son savoir et son courage. Circulant librement en tous lieux, sans gardes du corps et sans v�hicule blind�, c��tait toujours lui qu�on voyait en t�te des marches condamnant la violence islamiste aux c�t�s de messieurs Sa�d Sadi, R�da Malek, Hachemi Ch�rif, Abdelhak Benhamouda. C��tait au temps des ann�es infernales lorsque certains opt�rent pour le silence ou l�exil et que d�autres justifi�rent l�abomination islamiste par leur �quitue- qui ?� et tomb�rent sous le charme de la b�te � Rome ou ailleurs. Feu Aboubakr Belka�d r�pondit pr�sent comme il l�avait naturellement fait quelques ann�es auparavant. Quand ses amis parlaient de danger, de risques, il avait cette r�ponse demeur�e c�l�bre : �Si les terroristes veulent m�assassiner ils savent o� me trouver�. Il serait vain de rechercher un quelconque fatalisme dans ces paroles. Le monument au sens le plus noble qu��tait feu Aboubakr Belka�d a laiss� ce pr�cieux testament : �Les seules batailles que l�on perd sont celles que l�on n�engage pas�. R�sistant oui. R�sign� jamais. En me permettant d��voquer la m�moire de ce grand homme, je suis consciente que je l�ai certainement moins bien connu que ses compagnons de lutte, ses amis et ses proches. Lui rendre hommage en cette triste et douloureuse dixi�me ann�e de son assassinat, signifie pour moi lui redire merci pour sa disponibilit�, sa g�n�rosit� naturelle et sa capacit� in�gal�e de convaincre les plus sceptiques. Lui dire merci de m�avoir appris que la politique, �art du possible� pouvait n�anmoins garder un visage humain. Il est vrai qu�avec lui politique ne rimait pas avec strapontins, postes et avantages. Elle signifiait id�es fortes et convictions. Ce n�est pas la seule raison de cet hommage. Au moment o� paix et r�conciliation nationale ont pour noms patronymiques impunit� des assassins et injustice faite aux victimes, le devoir de m�moire s�impose � tous ceux qui ne veulent pas que la duplicit� devienne vertu. Par temps de �paix�, nos morts sont devenus d�cid�ment fort encombrants. D�autant plus embarrassants lorsqu�ils osent � l�instar de feu Aboubakr Belka�d troubler la f�te du 29 septembre. Qui sait ? Certains ont pu penser qu�il aurait pu mourir le 30 septembre, le 1er octobre, mais pas le 28, la veille dit-on, �d�une f�te grandiose pour la nation�. Feu Aboubakr Belka�d a-t-il seulement choisi de mourir le 28 septembre 1995 ? A-t-il choisi de mourir assassin� ? Savait-il qu�il rencontrerait ce jour-l� ses tueurs ? Ces derniers ne seront jamais poursuivis, jug�s et condamn�s en vertu d�un d�cret pr�sidentiel prescrivant �l�extinction des poursuites� ayant pour cons�quence directe l�oubli officiel de leurs crimes ou amnistie. Pour autant, nul ne pourra esp�rer nous confisquer nos m�moires, notre unique arme contre l�impunit� organis�e et d�cr�t�e. Nul ne parviendra � nous convaincre qu�il n�existe aucune diff�rence entre la barbarie islamiste et un accident de circulation. Comment pourrait-on croire un instant que l�on puisse pardonner l�assassinat de feu Aboubakr Belka�d, lui qui savait insuffler l��nergie et le courage � tous ceux qui refus�rent la �Dawla islamya� ? Profonde et ind�l�bile blessure pour sa famille, cruelle perte pour le camp des r�publicains, ses semblables, ses amis. Je me souviens de son soutien ind�fectible au sein du gouvernement de M. Sid- Ahmed Ghozali apr�s ma d�claration faite � une journaliste tunisienne en mars 1992 � propos du code de la famille dont je disais qu�il pouvait �tre r�vis� � tout moment. Somm�e de faire un d�menti � la presse nationale ( Alger R�publicain et Le Matin), feu Aboubakr Belka�d me d�conseille vivement de m�ex�cuter : �M�me si le gouvernement d�clare que le code de la famille n�est pas inscrit dans son programme, il est excellent pour l�avanc�e du processus d�mocratique que les islamistes sachent que le code de la famille ne soit pas oubli�. N�endosse pas la responsabilit� d�un d�saveu que l�Histoire ne te pardonnera pas.� Je n�ai jamais eu � le regretter. Dois-je ajouter qu�au moment o� certains coll�gues me reproch�rent d�avoir parl� au nom du gouvernement, feu Aboubakr Belka�d fut le seul � me soutenir dans ma temp�te gouvernementale ? C�est encore lui qui milita pour que f�t abrog�e la disposition qui permettait � l��poux de voter aux lieu et place de sa femme (article 54 alin�a 2 - loi �lectorale). Lorsqu�un d�put� lui confia le 12 octobre 1991 qu�il n��tait pas contre l�annulation de l�article 54 alin�a 2, mais qu�il aurait �t� contraint de se raser les moustaches, feu Aboubakr Belka�d lui r�pondit avec son humour habituel : �A nouvelle loi, nouvelle mine !� Je doute que son interlocuteur ait saisi le sens de cette boutade surtout lorsque feu Aboubakr Belka�d ajouta : �Que vaut donc une paire de moustaches compar�e au progr�s ?� Lendemain des �lections l�gislatives de d�cembre 1991 : la question qu�il feint de poser est en r�alit� une solution. �Le tout est de savoir si nous devons organiser un second tour�, dit-il. Qu�aurait-il donc pens�, s�il avait entendu des voix s��lever pour qualifier aujourd�hui l�arr�t salutaire du processus �lectoral de �violence� ? Sans doute aurait-il dit que l�impunit� a besoin d�arguties et de faux alibis. Sous d�autres cieux, les hommes de la stature de feu Aboubakr Belka�d auraient eu droit � un m�morial sur les murs duquel auraient �t� grav�s en lettres d�or son nom et ceux des victimes du terrorisme islamiste. Toutes les victimes du terrorisme. Par temps de �r�conciliation�, dans notre pays, on exige des morts qu�ils ne soient plus d�rangeants, de leurs proches de se taire en acceptant de se fondre dans la �trag�die nationale�. Celleci d�finit le bourreau et la victime comme semblables qui doivent obligatoirement se r�concilier. Refuser ce mariage contre nature, c�est s�exposer � l�insulte, c�est �tre un adepte de la violence, un narco-trafiquant (comprendra qui pourra ?), un fou, un antinationaliste� Qu�aurait donc pens� feu Aboubakr Belka�d lui qui incarnait la tol�rance de ce choix qui n�en est pas un : la paix ou l�opprobre ? Certains ont m�me sugg�r� que soient sanctionn�s les opposants � la �charte pour la paix�, ceux-l� sont appel�s �islamistes mod�r�s� pour dire faiseurs d�opinions et producteurs d�id�es dans le processus de la violence. Haineux, intol�rants, peut�tre vont-ils d�p�cher leurs amis �gorgeurs pour �touffer les voix discordantes ? Fid�les � leur charte de Fr�res musulmans, ils persistent et signent : �Ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous�, nous ne serons jamais avec eux et nous serons toujours contre eux. Parce que le souvenir de feu Aboubakr Belka�d et de toutes les autres victimes nous rappellera chaque jour, chaque nuit, qu�en costume alpaga ou en qamis, l�islamisme est le m�me au Maghreb, en Europe ou aux Etats-Unis. D�une main, il brandit sa haine et son intol�rance, de l�autre ses couteaux et ses balles pour tuer. La seule r�pentance que je lui connaisse est celle de cet ��mir� sanguinaire qui relatait sans le moindre cillement, comment il tranchait la gorge de ses victimes : �Je tire sa t�te vers l�arri�re et tranche sa gorge (un policier). Les plis gras de son col sont remont�s jusqu�aux joues comme un col roul�. Ou encore : �J�ai pench� le buste de la femme sur la table comme sur un billot. En trois coups de hache, sa t�te fut tranch�e. Je l�ai pos�e sur les cartes coll�es par l��pais liquide et en fourra une dans la bouche� (la victime �tait cartomancienne). (Extraits parus dans Demain l�Alg�rie tir�s de l�ouvrage de Patrick Forestier Confessions d�un �mir du GIA). C�est � ces tueurs et � d�autres que sera accord�e l�impunit�. L�assassinat de feu Aboubakr Belka�d ne sera pas ch�ti�. D�autant que lui et tous ses compagnons cibl�s personnellement n�ont pas eu la bonne id�e d��tre massacr�s. Aucun souci, aucun regret. Les massacreurs ne seront jamais jug�s et ne seront jamais condamn�s. Ils auront juste le mal de savourer le plaisir du travail bien fait. Comment pourrait-on penser un seul instant que la m�re, le p�re dont le fils, ou la fille ont �t� enlev�s par les GIA et sont port�s disparus jusqu�� ce jour puissent pardonner ? Je n�oublierai jamais un de mes professeurs d�histoire au lyc�e dont les parents avaient �t� d�port�s � Auschwitz en 1943. Il m�avait dit un jour : �Je n�ai pas de photos. Je n�ai pas de tombe o� me recueillir. Je sais seulement qu�ils ont disparu.� Un autre visage jaillit de ma m�moire. Celui de l��pouse de Maurice Audin, mon professeur de math�matiques au lyc�e Pasteur. Je n�oublierai jamais son regard triste. Ce regard qui semblait dire : �Je ne peux pas ne plus penser � ce que je n�ai plus, oublier et pardonner�, pardonner quoi ? Comment pourrait-on penser un seul instant que nous pardonnerons les horreurs commises contre nos proches, nos amis, contre les femmes viol�es, les nourrissons d�capit�s, les membres de la communaut� chr�tienne, nos amis ? Et il �tait bienvenu que Monseigneur Tessier, le courageux p�re Tessier, qui n�a jamais d�sert� le pays au nom de la solidarit� et de sa profonde g�n�rosit�, dise que �le pardon est un acte personnel qui suppose que les agresseurs reconnaissent leurs fautes� (APS 8 septembre 2005). Tout processus de paix commence en effet par la reconnaissance du bourreau comme tel et de la victime comme victime. Sans ce pr�alable, toute paix est vou�e � l��chec parce que l�Histoire finit toujours par nous rattraper au moment le plus inattendu. Qu�aurait pens� feu Aboubakr Belka�d s�il avait vu les uns et les autres jeter du sel sur des plaies ouvertes au nom d�une campagne �lectorale ? Une de plus. Ne nous a-t-on pas dit que le peuple �souverain� devait accueillir ceux qui, hier, ont revendiqu� le carnage du boulevard Amirouche en janvier 1995 et justifi� l�assassinat d�intellectuels avec du lait et des dattes ? Pour ma part, je sugg�re l�ouverture du salon pr�sidentiel � l�a�roport Houari- Boumediene. Que l�on n�oublie surtout pas dans l�organisation de l�accueil de pr�voir que la personne qui offrira le verre de lait sera le p�re qui m�avait dit, la gorge nou�e, avoir reconnu sa fille d�chiquet�e par la bombe au m�daillon qu�elle portait au cou. C��tait le 30 janvier 1995. Mieux encore ! Il para�t que le tueur et le tu� sont en enfer parce qu�il y a eu une guerre entre musulmans. La r�conciliation entre les vivants serait-elle ardue ou serait-elle d�j� finie pour que l�on entende faire la paix entre les morts ? Feu Aboubakr Belka�d avec les terroristes Antar Zouabri, Gousmi, Djamel Zitouni ? Il vaut mieux en rire. Il vaut mieux en rire, car Dieu sera le seul � savoir faire le tri, la guerre n��tait pas entre musulmans. Elle �tait entre ceux qui n�ont pas fui leur pays durant les ann�es rouges, pr�f�rant au p�ril de leur vie d�fendre la R�publique et ceux qui ont tent� de l�enterrer. Elle �tait entre ceux qui tuaient, incendiaient, violaient et ceux qui savaient qu�ils pouvaient mourir et n�ont pas renonc� � leur combat. D�autres nous promettent un d�bat apr�s le 29 septembre pour situer les responsabilit�s et savoir qui �tait derri�re les GIA. Du d�j�-vu, du d�j�-entendu. Du r�chauff� ! Le qui-tue-qui revient ! Les jeunes appel�s, les officiers sup�rieurs de l�arm�e et autres forces de s�curit� vont en perdre le sommeil, et nous avec eux, n�est-ce pas ? Le d�lire g�n�ral sur la paix �tant bien organis�, il y a �galement les islamistes qui nous r�v�lent que le mot �r�conciliation� est cit� 180 fois dans le Coran. Ils feignent d�oublier que le talion (qi�as) est �voqu� lui aussi dans le Coran : �� vous qui croyez, la loi du talion vous est prescrite en cas de meurtre...� (sourate El Baqara (II) verset 178). Ce n�est pas la seule r�f�rence. Il n�est aucunement dans mes intentions de parler de loi de talion ou de vengeance. Ma seule pr�occupation est le Devoir de Justice seul � m�me d�apaiser nos c�urs, nos m�moires. Frustr�e de justice et confront�e comme tant d�autres � l�Impunit� d�cid�e en haut, je sais que celle-ci ne r�glera rien. Je sais qu�elle ravivera la haine. En cette dixi�me ann�e qui nous rappellera l�assassinat de feu Aboubakr Belka�d le 28 septembre 1995, il nous faudra demeurer convaincus que sa mort et celle des autres victimes du terrorisme islamiste ne seront jamais vaines. Le 29 septembre 2005, on nous assure d�un �oui� massif. L�on ne saurait en douter. On peut m�me ajouter les voix de ceux et celles qui ne se rendront pas aux urnes pour paraphraser le chroniqueur Chawki Amari d� El Watan, je dirai que les Alg�riens rousp�tent tout le temps et votent toujours oui. Le 29 septembre 2005 sera, dit-on, jour de grande f�te. Le 30 septembre, le ch�meur sera toujours ch�meur et dira : �J�ai pourtant vot� pour la paix.� Ceux qui d�sesp�rent d��tre log�s se r�veilleront sans logis le 30 septembre 2005 et diront : �J�ai pourtant vot� pour la paix et je n�ai toujours pas de logement.� L��pouse, la m�re, la fille, du code de la famille se r�veilleront le 30 septembre sous-citoyennes comme elles le sont depuis 1984 (code de la famille) et diront : �Rien n�a chang�.� Le 30 septembre, les victimes du terrorisme islamiste conscientes de leur devoir de m�moire ne braderont pas leurs morts et les bourreaux demeureront des bourreaux. Leurs chemins ne se croiseront jamais le 30 septembre 2005, les d�fenseurs acharn�s et z�l�s de la charte pour la paix attendront que le t�l�phone sonne. Lorsque l�attente deviendra intol�rable et que s�installera le d�pit, ils seront les meilleurs adversaires de la paix et diront : �Mes efforts, mon �nergie ne valaient-ils donc pas un strapontin de ministre ou de conseiller ?� Le 29 septembre non plus, il ne se passera rien. Le 30, pour la m�moire de Aboubakr Belka�d, pour la blessure de sa famille et celle de ses amis, je dis avec le po�te Tahar Djaout : �A vous qui refusez la r�signation, clamons haut et fort notre refus de hisser le pavillon du silence�.
L. A.

P.S. : Le 16 septembre 2005 deux bergers �taient �gorg�s, un gendarme tu� � Oued-Attia (Siouane). Oued- Attia c�est loin, personne ne conna�t les deux bergers. Un gendarme, c�est fait pour mourir. C�est cela la paix et la r�conciliation nationale.

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