Panorama : LETTRE DE PROVINCE
29/09 : naissance du za�misme
Par Boubakeur Hamidechi


Malgr� ses envol�es lyriques qui lui tiennent habituellement de rh�torique politique et en d�pit des flatteries populistes qui lui servent, par m�tier de tribun, � solliciter les clameurs, le chef de l�Etat n�est pas apparu � son avantage lors de sa �tourn�e des popotes�. De province en province, durant un mois et neuf meetings, il se r�v�la h�sitant, ennuyeux et parfois incoh�rent.
Bref, il n��claira jamais sa campagne, comme l�on s�y attendait. La charte dont il revendique la paternit� et � partir de laquelle il voudra relancer sa fonction, marqu�e par l�usure, semble lui jouer un vilain tour, en termes d�image notamment. M�me si l�issue de la �consultation� ne fait pas de doute et que dans son entourage l�on ne travaille qu�� l�am�lioration du score officiel, le fait qu�il l�accapare comme une affaire personnelle et exclusive, l�expose logiquement � un certain scepticisme d�s l�instant o� il se r�v�la un pi�tre avocat. Plus tard, les politologues sans complaisance sauront replacer avec plus d�objectivit� cette initiative dans la trajectoire de l�homme. C'est-�-dire qu�ils pourront expliquer en quoi le r�f�rendum de 2005 lui a �t� utile dans la relance d�un mandat qui s�essouffle, ou a contrario, comment il a mis � nu ses mauvais calculs et d�voila ses limites. L�on peut imaginer, d�ores et d�j�, que c�est � travers ce prisme que le petit monde politique voudra comprendre les intentions futures du chef de l�Etat, et partant, ce qu�il en restera des libert�s politiques sous sa pr�sidence. C�est qu�apr�s sept bonnes ann�es de r�gne et malgr� une conjoncture financi�re favorable, les caract�ristiques anciennes de la crise sont toujours l�, sans que l�on sache o� va le pays. Plus grave encore, l�incomparable aisance de l�Etat semble servir � rien. A cela vient s�ajouter le sentiment que le pouvoir aggrave ces vell�it�s �conomiques et sociales d�un insupportable despotisme rampant vis-�-vis des acteurs politiques. Ceux qui, jusqu�� cette campagne, ne partageaient pas ces col�res, se rendent � l��vidence et n�h�sitent plus � croire que dans ce refus � laisser les partisans du non � s�exprimer, se joue le dernier avatar avant les grands verrouillages. Par ailleurs, cette interdiction n�a pas �chapp� � certaines personnalit�s, proches pourtant de la th�se en d�bat, qui en d�plor�rent le fait accompli et le qualifi�rent d�inclination quasi dictatoriale. Est-ce donc excessif de supposer que le 29/09, au lieu d�accoucher de la paix promise, sera avant tout la date de naissance d�une nouvelle philosophie du pouvoir qui aura pour nom �le bouteflikisme�, si tant est, que celui-ci s�accommoda jusque-l� des r�gles et de l�environnement politique qui pr�exist�rent � son arriv�e ? Six ann�es de maturation et de nettoyage par le vide semblent le convaincre que le temps est venu pour imposer � la r�publique de nouvelles r�gles. Pour se faire une id�e sommaire, ne suffit-il pas de survoler le champ politique et constater les d�g�ts ? Car l�ensemble des vecteurs porteurs des libert�s publiques sont pass�s au laminage et qu�il ne reste, ici et l�, que de fantomatiques appareils d�opposition qui ne s�expriment qu�� travers des communiqu�s, et parfois quelques �crits vigoureusement critiques mais � l�audience toute relative. La r�pression molle qui, jusquel�, m�nage les apparences, pourra bient�t se changer en op�ration de �normalisation� g�n�ralis�e apr�s ce fameux 29 septembre ; et cela par le biais d�un durcissement des lois sur la presse et les partis. Dans le m�me esprit et avec les m�mes intentions qui dict�rent la n�cessit� d�organiser un r�f�rendum en septembre 1999, celui de cette fin de semaine servira d�abord la cause du pouvoir. Celle de b�tonner plus lourdement encore la l�gitimit� de la fonction pr�sidentielle afin de lui permettre toutes les remises en question possibles. La r�forme de la Constitution est justement de celle-l� qui devra se r�aliser dans l�unanimit� sinon dans la soumission ou l�intimidation. La limitation des mandats et le principe de l�alternance seront les aspects sensibles sur lesquels vont plancher les r�dacteurs mandat�s � cette besogne. Cependant, pour parvenir � un pareil �d�tournement� de l�esprit de la Constitution, l�unique moyen consiste � renforcer l�influence des vigiles politiques que sont les partis FLN et RND, puis � les envoyer faire le guet jusque dans le Parlement. Parall�lement, il faudra poursuivre le travail de diabolisation de la presse �incommode�, en caricaturant son r�le jusqu�� en faire un abc�s de fixation et pousser ces journaux � la d�fensive. A ce sujet, l�op�ration d�intimidation s�est amplifi�e au lendemain du 8 avril 2004 avec la multiplication des proc�s en diffamation et surtout l�ignoble condamnation de Mohamed Benchicou. Depuis, la presse n�aspire plus � d�montrer par la critique les tares du syst�me, ni � traquer les abus politiques du r�gime en place. A leur tour, les courants politiques, dont c�est pourtant la vocation, ne pr�tendent plus � l��laboration d�un projet alternatif et sa d�fense en tant qu�identit�. A quelques deux exceptions (MDS et FFS), la plupart ont d�j� renonc� � ce contre-culture politique pour aller souvent vers la collaboration. Ce qu�ils justifient par la notion de compromis alors que l��change de concessions est fonci�rement in�gal. Presse et partis, pouss�s � la d�fensive, se contentent de la critique factuelle et se d�tournent du d�bat de fond. A ce changement de fusil d��paule, chacun a une explication. Pour les journaux, la pr�sidentielle de 2004 aurait laiss� des traces et fait des d�g�ts dans les esprits, au point de susciter des mea-culpa. C�est-�-dire qu�ils auraient admis que leur gestion de la pr�sidentielle fut calamiteuse tant par le parti-pris que par le lynchage du pr�sident sortant. D�rapages journalistiques, �carts d�ontologiques, etc. tous les aveux concouraient � l�autoculpabilisation. Or, ils eurent tort de c�der au sentiment qu�ils avaient failli, alors qu�ils eurent toutes les raisons d�agir ainsi et d��crire comme ils l�ont fait � l��poque. La colossale corruption de l�administration et les moyens monumentaux d�tourn�s au profit d�un seul candidat rendaient in�gale et injuste cette �lection majeure. Que fallait-il par cons�quent faire, sinon d�noncer ce hold-up politique et en m�me temps accorder quelques int�r�ts aux autres candidats ? Autrement dit, c�est par salubrit� d�mocratique que ces journaux ont choisi de montrer violemment la concussion. Et si, avec le recul, l�on doit �voquer � nouveau les d�rives sales de cette pr�sidentielle, ce n�est pas en d�signant la presse, mais tout l�appareil d�Etat aux ordres d�s le premier jour. Quant aux partis, s�ils en sont r�duits � composer pour leur survie c�est parce qu�il y a bien longtemps qu�ils ont perdu leur base et furent abus�s par le leadership, au moment o� il leur fallait aller vers les grandes fusions. Leur faillite historique, qui n�est pas seulement imputable � l�actuel pouvoir, a m�me fini par leur ali�ner l�opinion et en d�mon�tiser leur pr�sence. Cela ne pouvait que r�jouir le pouvoir qui, par une m�prisante fin de non-recevoir, vient de leur interdire d�animer une contre-campagne. L�existence donc de partis d�vitalis�s et d�une presse contrainte � la prudence facilite d�sormais � Bouteflika la mise en route de son troisi�me plan de carri�re. Celui dont on peut imaginer qu�il s�inspirera bien plus des mod�les orientaux propices � la long�vit� que de ceux des d�mocraties avanc�es o� l�alternance est un principe intangible. A quelques jours du �grand soir�, pronostiquer l�apocalypse d�mocratique est certes pr�somptueux, sauf que notre ciel politique ne nous laisse aucune raison d�esp�rer qu�il peut �tre autrement, car tout concourt � la mont�e du p�ril anti-d�mocratique. Ce 29/09 (� la mani�re du �11/09� am�ricain), va clore la parenth�se ouverte il y a une quinzaine d�ann�es. Le petit vent de libert� qui a souffl�, en d�pit de la mort qui rodait, risque de retomber comme un rideau � la fin d�un spectacle. Avec un scrutin qui pr�tend parachever la paix sociale, se pr�pare en toile de fond l�av�nement du za�misme ! Jusque-l�, ce pays se contentait d�un pr�sident �lu (bien ou mal, cela importe peu), demain il va m�riter un �guide�. Les oracles multiplient les augures et les flagorneurs de tous poils en font d�j� l�annonce. � �Il est un don du ciel� ; haranguait le griot Dja�boub, ministre de son Etat. � �Il est d�une inspiration divine�, surench�rit Belkhadem, chef de parti par la gr�ce d�un putsch. Enfin ceux parmi eux, dont la rudesse de garde- chiourme les emp�che d�avoir des accents mystiques gratifient de menaces l��lecteur. Comme il se doit, ils ont d�cr�t� que derri�re chaque �non� sorti des urnes, se cache un antipatriote. Mais malgr� cet empressement � l�all�geance propre aux caciques et leurs gesticulations, la petite musique du doute persiste dans l�opinion. M�me le za�m laisse �chapper quelques doutes, comme cette sibylline �confidence� � Batna quand il admit craindre de ne pas se faire �comprendre�. Ou encore � Constantine, lorsqu�il laisse entendre que cette charte n��tait pas infaillible et qu�elle n�avait rien d�un dogme. En d�sacralisant sa d�marche, il vise � contre-balancer l�effet d�testable cr�� par la ferveur courtisane surtout aupr�s des esprits cart�siens. Mais il vient de le faire un peu tard pour escompter effacer les traces d�une surench�re douteuse. L�image �corn�e qu�il laissera apr�s ce r�f�rendum n�est pas pr�s de s�effacer. Pour n�avoir pas su moduler ses intransigeances en imposant � la classe politique une triple censure (r�daction unilat�rale du projet, campagne unilat�rale et outrances verbales), il aura fait la preuve qu�il s�achemine vers une conception archa�que du pouvoir. Quand il mart�le pour les besoins de la cause de la charte qu�il exclut tout retour � la situation de 1990 que ne dit-il pas clairement qu�il veut retourner plus haut dans le pass� ? Un retour au �centralisme�, certes sans parti unique, mais avec une variante d�officines jouant, soit alternativement soit solidairement le m�me r�le d��cran ou de relais. Le �bouteflekisme� futur prosp�rera gr�ce � ce fumier de carri�ristes dont le reniement est le cadet de leur scrupule. Entre vaincre par de faux scrutins ou bien convaincre par la vertu du d�bat, lui a fait le choix que l�on conna�t dor�navant. �Le 29/09� ne prendra personne par surprise et nul ne peut dire le lendemain du jour fatal qu�il s�est r�veill� avec la gueule de bois�.
B. H.

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