Panorama : A FONDS PERDUS
Une hirondelle ne fait pas le printemps
Par Ammar Belhimerammarbelhi
ammarbelhimer@hotmail.com


La presse ne s'int�resse g�n�ralement pas aux trains qui arrivent � l'heure. Elle leur pr�f�re les accidents et les catastrophes ferroviaires, tout comme le magistrat ou l'officier de police sont tout naturellement plus enclins � s'int�resser aux criminels qu'aux bons p�res de famille. Il en est de m�me en �conomie : en g�n�ral, on r�serve les gros titres aux faillites, aux crises ; bref, aux �checs.
Et lorsque les crises perdurent, les faillites s'encha�nent et les �checs se r�p�tent � volont�, on scrute alors, en qu�te de �scoop�, la moindre embellie, la moindre �claircie dans le ciel gris. Justement, � propos d'embellie, nous en avons une cette semaine. Le dernier bulletin d'information de la Banque mondiale, tomb� dans notre courriel jeudi dernier, nous pr�dit, � moyen terme, une premi�re mauvaise nouvelle � le ralentissement de l'�conomie mondiale devrait permettre un certain fl�chissement des prix, aux alentours de 56 dollars le baril en moyenne en 2006 et de 52 dollars en 2007 � vite rattrap�e par cette projection optimiste : �Parmi les pays en d�veloppement de la r�gion exportateurs de p�trole, les vastes projets de gaz de In-Salah et de In-Amenas, en Alg�rie, devraient engendrer un fort accroissement des approvisionnements en 2006 et 2007�. Et comme une bonne nouvelle n'arrive jamais seule et ob�it souvent � la loi des s�ries, la m�me source nous indique que �la loi sur les hydrocarbures rendra le secteur plus transparent pour les entreprises �trang�res, tandis que les chances d'adoption du deuxi�me programme de redressement �conomique du pays se sont am�lior�es�. Une telle �sentence� est doublement rassurante : d'abord parce qu'elle corrobore en tous points les appr�ciations que nous avions port�es en leur temps, ici m�me, sur ces textes, alors � l'�tat de projets ; ensuite parce qu'elle nous soulage quelque peu de la d�t�rioration du climat des investissements, en raison de la corruption, et de l'indice de d�veloppement humain, du fait, notamment, du peu de scrupules que prennent nos gouvernants � fouler � leurs pieds les droits de l'homme et les libert�s publiques. N�anmoins, cette heureuse perspective ne peut en aucun cas �tre un objet de jubilation et ne doit pas faire illusion, parce que cette croissance concerne un secteur � forte intensit� de capital, donc peu cr�ateur d'emplois, qui est le seul � fonctionner correctement sous le contr�le de compagnies multinationales (elles on inject� pr�s d'un milliard de dollars tous les deux ans depuis 1996), et qui assure 97% des exportations depuis 1998. Aussi, avertit la Banque Mondiale, �dans le cas des pays exportateurs de p�trole, un sujet de pr�occupation est que la dynamique des r�formes ne soit ralentie par la manne p�troli�re. Celle-ci doit �tre consid�r�e comme temporaire et doit servir � financer les r�formes structurelles n�cessaires, faute de quoi, elle finira par rendre les pays exportateurs de p�trole encore plus tributaires de ce produit et par r�duire leurs perspectives de croissance futures. �De plus, si des investissements destin�s au renforcement des capacit�s dans les secteurs de l'infrastructure, de l'�ducation et des soins de sant� procureront probablement des b�n�fices � long terme, il faut veiller � ne pas cr�er � terme des droits acquis qui ne pourraient pas �tre respect�s une fois que les recettes diminueraient.� Faisant �cho au satisfecit de la BIRD, ce 21 novembre, M. Rodrigo Derato, directeur g�n�ral du Fonds mon�taire international, rendit publique une d�claration dans laquelle il r�clama un plus fort taux de croissance pour absorber le ch�mage qu'il a �valu� � 18% de la population active, tout en ressassant le sempiternel discours sur la restauration des grands �quilibres macro�conomiques comme vecteur d'acc�l�ration de la croissance et des r�formes. Or, cela n'est jamais aussi m�canique. En tant que porte-drapeau du �consensus de Washington�, les deux honorables institutions de Bretton-Woods attendent que l'Alg�rie r�ussisse aujourd'hui trois entreprises : primo, qu'elle r�duise sa d�pendance du p�trole ; secundo, qu'elle assainisse le climat des affaires et qu'elle poursuive le d�sengagement de l'Etat et, tertio, qu'elle am�liore le rendement de ses services publics. Plus facile � dire qu�� faire : comment infl�chir la courbe ascendante de la d�pendance de la croissance par rapport � la manne p�troli�re ? En am�liorant �l'efficacit� de l'interm�diation de ces recettes par le gouvernement�, r�pond la Banque mondiale. A l'image d'un drogu� ou d'un alcoolique, il s'agit ici de rompre une d�pendance qui, � terme, s'av�rera mortelle. Or, les gisements de productivit� qui pouvaient asseoir une telle transition n'arrivent pas � voir le jour en raison de contraintes politiques tenant, principalement, � la difficult� pour une bourgeoisie productiviste de prendre le dessous sur les franges bureaucratiques et pr�datrices de la bureaucratie d'Etat dans la constitution des fortunes qui, pour l'essentiel, prennent des formes ant�diluviennes du capital. Le deuxi�me d�fi consiste � am�liorer le climat des affaires et � r�duire la participation de l'�tat � la fourniture des biens et des services. Il s'agit, ici, d'exploiter au moins la position g�ostrat�gique d'un pays-sous-continent disposant d'un capital humain peu valoris�. Un nouveau droit des investissements assis sur une administration r�duite, performante et int�gre est attendu pour le d�veloppement du secteur priv� naissant comme �l�ment essentiel d'une strat�gie de croissance durable et de cr�ation d'emplois. Certains obstacles continuent, aujourd'hui encore, d'entraver ce d�veloppement : le monopole de fait d�volu � certaines branches du secteur public sur l'activit� �conomique, l'inextricable dossier de l'immobilier industriel, les difficult�s d'acc�s au cr�dit, les lenteurs administratives, les dysfonctionnements entre le monde du travail et celui de la formation, la v�tust� des infrastructures, et l'inefficacit� du syst�me judiciaire. �Le troisi�me d�fi a trait � l'�largissement de l'acc�s aux services publics et � l'am�lioration de la qualit� de ces derniers�, prescrit la Banque mondiale. Qu'il s'agisse de la justice, de l'�ducation, de la sant�, la copie �Alg�rie� est bien au-dessous de la moyenne. L'�cole se contente d'occuper les enfants, les h�pitaux sont des structures �mouroirs� et les maladies chroniques et infectieuses r�apparaissent � grande �chelle, sur fond d'accentuation des in�galit�s sociales et de paup�risation absolue, alors que les programmes d'assistance sociale continuent � ob�ir � des m�canismes inadapt�s de ciblage et de suivi, et que les r�gimes d'assurance souffrent d'une contraction des contributions associ�e � une augmentation des prestations. Le constat que fait la Banque mondiale des incidences sociales des mesures d'ajustement externes op�r�es sous le contr�le �troit de sa s�ur siamoise, le Fonds mon�taire international, n'alt�re en rien les param�tres de mesure en vigueur. L'am�lioration macro�conomique tient � l'am�lioration de la balance des paiements et du budget, l'am�lioration des r�serves de change et la diminution du poids de la dette. En mati�re d'exc�dent de la balance des paiements et du budget, le solde budg�taire global a affich�, l'an dernier, un exc�dent substantiel s'�levant � 7,4 % du PIB, contre 4,6 % en 2003. D'apr�s les estimations pr�liminaires, les d�penses publiques ont baiss� � 46 % du PIB hors hydrocarbures, en raison d'une l�g�re diminution des d�penses courantes et d'une augmentation plus importante que pr�vu des recettes fiscales hors hydrocarbures. Le d�ficit primaire hors hydrocarbures s'est r�sorb� l�g�rement, se situant � 27 % du PIB hors hydrocarbures (par rapport � 30 % en 2003). Dans la loi budg�taire de 2005, les autorit�s ont pr�vu un plan d'assainissement des d�penses publiques, dont l'objectif est de ramener le d�ficit primaire hors hydrocarbures � des niveaux supportables et de s�parer les recettes volatiles des hydrocarbures des comptes hors hydrocarbures. En mati�re d'augmentation des r�serves de devises, l'am�lioration est �galement notable : nous sommes pass�s � 24 mois d'exportation en janvier 2003, contre moins d'un mois en 1990. Les r�serves de change brutes ont augment�, atteignant un montant estimatif de 43,1 milliards de dollars (soit environ deux ann�es de couverture des importations) fin d�cembre 2004. L'accroissement des niveaux de r�serves a permis d'envisager une nouvelle politique de gestion de la dette ax�e sur les remboursements anticip�s. Quant � la diminution du poids de la dette ext�rieure, elle s'appr�cie d'abord par la r�duction de son stock total qui a baiss� de 23,4 milliards de dollars en fin 2003 � environ 21 milliards en d�cembre 2004, tandis que le ratio de la dette ext�rieure au PIB a diminu�, passant de 34 % en 2003 � 26 % en 2004. Ce ratio �tait de 80% en 1990. Tout cela ne suffit pas pour assurer le d�veloppement, ni m�me la croissance. Tout d'abord, parce que la stabilisation ainsi retrouv�e est � caract�re d�flationniste : elle se fait principalement au d�triment de la monnaie locale et son fardeau p�se principalement sur les couches les plus d�favoris�es qui ont vu leur pouvoir d'achat se r�tr�cir davantage. De plus, rien n'est plus pr�caire qu'une telle stabilit� : le taux d'inflation a atteint 3,6 % en 2004, soit un niveau encore �lev� pour l'Alg�rie, dont le taux d'inflation moyen �tait de 2 % pendant la p�riode 2000-2003. Ensuite, parce que la passage des indicateurs au vert s'accompagne syst�matiquement d'une d�r�gulation chaotique et d'une privatisation co�teuse. Le malade est soulag�, mais le traitement prescrit est soit inappropri�, soit on�reux. Ghazi Hidouci, ancien ministre des Finances, et Omar Benderra, ancien P-DG du Cr�dit populaire d'Alg�rie, relevaient r�cemment * que les op�rations de liquidation des entreprises publiques entreprises ont co�t� 3 milliards de dollars entre 1995 et 1998 � six milliards de dollars si l'on consid�re une p�riode plus longue, depuis 1990. Les abandons opaques des actifs de pr�s de 800 entreprises publiques n'ont rapport� que 200 millions de dollars au Tr�sor, alors que le remboursement des dettes et le financement des prolongements sociaux de ces liquidations lui ont co�t� 3,5 milliards de dollars. Les m�mes sources d'expertise �valuent � 20 milliards de dollars les �assainissements� r�p�titifs. C'est comme si on mettait � niveau l'�conomie aux frais de la communaut� pour se l'approprier assainie et au moindre co�t, le reste des ressources �tant destin� � financer les infrastructures n�cessaires � une rentabilit� imm�diate lorsque la propri�t� changera de mains. Tout est dit.
A. M.
* Ghazi Hidouci - Omar Benderra : Alg�rie : �conomie, pr�dation et Etat policier, mai 2004, p.19.

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