Panorama : CHRONIQUE DES TEMPS SORDIDES
Bouchaoui revient cette semaine
Par Ma�mar FARAH farahmaamar@yahoo.fr


Il y a trente ann�es de cela, nous d�couvrions ce pays continent qu�est la Chine. C��tait � l�occasion d�une tr�s longue visite du ministre de l�Agriculture de l��poque � feu Tayebi Larbi � � la t�te d�une forte d�l�gation de la CNRA (Commission de la R�volution agraire). Le hasard a voulu que cette visite d�un mois co�ncide avec un �v�nement historique qui a mis fin � plusieurs ann�es de guerre au Vi�tnam.

La veille de ce premier mai 1975, la grande nouvelle tombait sur les t�lescripteurs du monde entier : le dernier soldat am�ricain quittait Saigon, dans la pr�cipitation et la honte. Dans un geste que je n�arrive toujours pas � expliquer, nous sommes sortis du grand h�tel international de P�kin pour aller en groupe vers l�ambassade vietnamienne, scandant le slogan national de cette �poque : �Eh Mamia ! Thaoura Ziraiya !� Pr�c�d�s par des cadres sup�rieurs du minist�re de l�Agriculture, nous marchions d�un pas alerte, en rangs serr�s, pour aller dire � nos fr�res vietnamiens notre joie immense et notre satisfaction de les voir sortir vainqueurs du long et �puisant combat h�ro�quement men� contre l�imp�rialisme et ses valets du Sud. Leurs luttes et leurs sacrifices �taient venus � bout de la premi�re puissance militaire du monde. Nous �tions heureux et fiers car le vent qui faisait claquer les fanions de la f�te des travailleurs au-dessus de nos t�tes semait un peu partout les graines d�un espoir d�mesur�. C��tait le mois de mai et c��tait les ann�es soixante-dix ! En son beau milieu, cette d�cennie mythique nous renvoyait, � des milliers de kilom�tres d�Alger, une image conforme � nos r�ves les plus fous. Les peuples prenaient leur revanche. L�ordre imp�rialiste subissait un coup s�v�re qui allait le terrasser pour quelques ann�es. Nous avions raison d�y croire ! Et si le monde a mal tourn� plus tard, si nous avons recul�, si le monstre a repris du poil de la b�te pour revenir jouer sa triste rengaine en Irak, soyons assur�s que l�issue de la bataille sera la m�me, car la victoire est toujours du c�t� des justes. Voil� trente ann�es, nous f�tions la victoire des peuples sur l�imp�rialisme, � notre mani�re, � la mani�re des Alg�riens, dans une ville �trang�re situ�e au bout du monde. Les passants hagards qui nous suivaient d�un regard incr�dule et sympathique attendront les ordres du Parti communiste chinois pour r�agir et certains d�entre eux iront garnir les tribunes d�un quelconque gala de solidarit� avec le peuple triomphant du Vi�tnam et ils applaudiront quand on leur dira d�applaudir. Nous n�avions re�u l�ordre de personne. Nous n�avions m�me pas consult� le ministre ou l�ambassadeur, et celui qui ouvrait la marche n��tait autre que M. Mohamed Abdelaziz, secr�taire g�n�ral de la CNRA ! En ces temps-l�, le monde tournait plus lentement. Plus s�rement aussi. Nous �tions jeunes et la vie �tait belle. Mais elle ne pouvait �tre belle si elle ne souriait qu�� une minorit�. Elle n�avait aucun sens cette vie bienheureuse r�serv�e � quelques privil�gi�s. Elle ne pouvait �tre belle que si elle �tendait son manteau protecteur sur la majorit�, la grande race des fr�res� Voil� pourquoi la victoire du petit soldat vietnamien contre la super-puissante arm�e am�ricaine �tait le triomphe de tous les peuples �pris de libert�. Voil� pourquoi nous �tions press�s d�en finir avec la mis�re, l�injustice, l�oppression et l�in�galit�. Cette r�volution agraire tant d�cri�e aujourd�hui repr�sentait pour notre g�n�ration la cause noble par excellence. Apr�s le douloureux �pisode colonial, elle permettait enfin � la campagne alg�rienne de renouer avec les traditions de solidarit� et d�entraide. Le d�veloppement du monde rural, la r�appropriation par les paysans et les travailleurs de la terre de leurs moyens de production, une plus juste r�partition des revenus de l�agriculture, une meilleure organisation des rapports de production, l�am�lioration des conditions de vie de ces masses rest�es en marge du progr�s ; voil� un beau challenge � relever pour toute une g�n�ration qui voulait apporter sa pierre � l��difice b�ti par les a�n�s. Au-del� de ses r�sultats �conomiques qui furent tr�s modestes, pour ne pas dire carr�ment � l�oppos� des effets escompt�s, la R�volution agraire a permis de sortir des dizaines de milliers de familles de leurs gourbis mis�rables pour les propulser dans l��re de la modernit�. Ce n�est point de la d�magogie : toutes ces baraques br�l�es par leurs anciens occupants qui s�appr�taient � rejoindre leurs nouvelles maisons flambant neuf, ce n��tait pas du cin�ma ! Il serait injuste aujourd�hui d�effacer tout cela de la m�moire collective du peuple. Pour nous, jeunes cadres, travailleurs, �tudiants, la R�volution agraire offrait l�occasion d�apporter notre pierre � cette r�volution commenc�e avant nous par les moudjahidine de Novembre. Et qu�est-ce que cette grande t�che d��dification nationale si ce n�est l�un des objectifs pour lequel les paysans pauvres sont mont�s au maquis, l�id�al pour lequel les h�ros sont morts dans les djebels ! Ces intr�pides ne sont pas morts pour qu�une nouvelle race de colons, pire que la pr�c�dente, s�installe sur les meilleures terres du pays, chapard�es par une bande de ren�gats sans foi, ni loi ! R�veille-toi Bouchaoui pour voir ce qu�ils ont fait du domaine qui porte ton nom et de tous les autres ! R�veillez-vous, braves martyrs de la R�volution et revenez cette semaine pour sangloter et g�mir sur les lambeaux du foncier agricole, pill� par des malfrats devenus les pachas des temps sordides ! Si le pragmatisme politique et le r�alisme �conomique nous commandent aujourd�hui de voir le monde avec un �il plus lucide, il serait suicidaire et indigne de notre r�volution de nous jeter mains et pieds li�s dans la gueule du loup ! Non, le lib�ralisme outrancier n�est pas la solution � nos probl�mes. Au mieux, il ne r�gle rien, au pire, il pr�cipite des pans entiers de la soci�t� dans le d�nuement total. Incapable de construire des �conomies solides r�pondant aux besoins r�els des peuples, le lib�ralisme outrancier n�est utile et valable que pour ceux qui en commandent les leviers. Nos pays ne sont per�us que comme des d�bouch�s pour les produits de l�Occident et nos peuples deviennent de vulgaires additions de consommateurs. Quant aux mati�res premi�res, elles sont surexploit�es comme au temps indigne de la colonisation. Pour l�observateur averti qui se donne la peine de voir l�Alg�rie d�aujourd�hui avec des yeux clairvoyants, les r�sultats sont d�j� l�, implacables, incontournables : la mis�re a d�truit les derni�res illusions d�une �vie meilleure�. Non, ce n�est pas le capitalisme sauvage qui sauvera l��conomie alg�rienne� Et puis, franchement, pourquoi nos dirigeants qui semblent subjugu�s par la r�ussite et le savoir-faire chinois ne nous disent pas que les grandes soci�t�s qui font leur admiration � ces chantiers parfaits, ce rythme de travail remarquable, cette organisation sans faille � sont g�n�ralement des entreprises publiques. C�est l� le meilleur exemple d�une �conomie ma�tris�e par l�Etat et qui a su trouver, entre le capitalisme et le socialisme, le chemin qui sied le mieux aux int�r�ts chinois. Notre int�r�t � nous Alg�riens est de ne pas vendre en bloc nos unit�s �conomiques, de ne pas chercher le partenariat � tout prix, de ne pas brader les richesses de notre sous-sol, de ne pas �craser l�ouvrier� Il existe d�autres chemins, plus s�rs, plus dignes aussi. D�autres voies �clair�es par le phare lumineux de Novembre. Pour que le r�ve ne soit pas froidement abattu sur les routes secondaires du reniement ! M. F.

P. S. : Je n�ai rien d�un pr�dicateur et je n�ai pas les dons de madame Soleil, mais je sais que Le Matin repara�tra ! Ce journal des luttes ouvri�res et citoyennes ne mourra pas.

Il se repose dans la prairie des feuilles ravitaill�es par le suc de la terre nourrici�re. Une s�ve qui irrigue les r�ves pour les r�veiller un jour sous forme de mots, d�articles et de pages. Pour redonner des couleurs aux journ�es de Benchicou Mohamed qui s�installera alors sur le pont de son navire pour lancer : �Allez ! Bouclez-moi cette Une ! Un de plus, un de moins�� T�t ou tard, Le Matinrepara�tra ! Parce que nul ne peut tuer les id�es !

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