Panorama : A FONDS PERDUS
L��conomie reprend ses droits
Par Ammar Belhimer
ammarbelhimer@hotmail.com


On croyait les mati�res premi�res d�finitivement rel�gu�es au rang de parent pauvre d'une reconfiguration �conomique qui fait la part belle � l'uranium, au silicium et autres m�taux pr�cieux qui alimentent l'essor foudroyant des technologies de l'information et de la communication. La nature semble vouloir reprendre subitement ses droits. En effet, le commerce international des ressources naturelles ne cesse d'�tonner.
Depuis le d�but de l'ann�e 2006, la plupart des grands indicateurs sont au plus haut depuis les ann�es 1970; ils sont m�me � des niveaux cinq fois plus �lev�s que les minima de 1986 qui n'avaient pas �pargn� � l'or noir � et plong� notre jeune �conomie dans sa premi�re crise. Philippe Chalmin, professeur � l'universit� Paris-Dauphine et inspirateur du Cyclope, une incontournable r�f�rence en langue fran�aise sur les march�s mondiaux depuis deux d�cennies (ce qui en fait la bible des mati�res premi�res) vient de publier la vingti�me �dition de ce livre : 750 pages riches d'analyses sign�es des sp�cialistes les plus r�put�s dans leurs domaines respectifs. Les faits et les chiffres se succ�dent nombreux, dressant un portrait on ne peut plus complet de ce qui constitue, de nos jours, � la fois le noyau et la cause efficiente de l'�conomie mondiale : les march�s. Un travail titanesque d'une actualit� br�lante : expos�s des courants de liquidit�s comme ils n'en avaient jamais connu, les march�s des mati�res premi�res sont aujourd'hui projet�s sur les devants de la sc�ne financi�re. Dans son entr�e en mati�re, l'�crivain et acad�micien Erik Orsenna, se propose, fort opportun�ment, de �nous rappeler que derri�re les Services, que derri�re la Banque, l'Assurance, le Conseil, que derri�re le Virtuel, le R�el existe, avec ses fossiles, c'est-�-dire ses raret�s, m�res de graves tensions � venir�. Le fait nouveau, et majeur, de cette vingti�me livraison est, justement, de saisir les turbulentes �volutions des march�s du r�el. Un domaine dans lequel le chemin parcouru d�tonne par l'ampleur des bouleversements : � La premi�re �dition de Cyclope, en 1986, est celle du contrechoc p�trolier, de la perte du contr�le du march� par l'Opep et de l'effondrement des cours du p�trole � moins de 10 dollars le baril � la fin de 1986. L'auteur de ces lignes se souvient d'un colloque organis� � Kuala Lumpur en juillet 1986 et qui faisait le point sur le d�sarroi de nombre de pays producteurs face au d�clin des cours. � Le temps du baril � 10 dollars est loin derri�re; il tourne aujourd'hui autour des 70. L'or est � plus de 500 dollars l'once, le cuivre atteint des records historiques � 5 000 dollars la tonne, entra�nant dans son sillage le zinc, l'aluminium et quasiment tous les m�taux non ferreux. Si pour le cuivre, l'�volution des cours s'apparente visiblement � une bulle sp�culative entretenue par des fonds d'investissement qui ne sont pas de grands sp�cialistes, les autres m�taux - notamment l'aluminium - ne sont pas dans une situation "d�raisonnable" ou d'une exub�rance �ph�m�re. La flamb�e est g�n�rale. Tout cela en si peu de temps. Vingt ans seulement. La preuve que, � l'or�e du troisi�me mill�naire, les choses n'�voluent pas de fa�on lin�aire, mais plut�t par �-coups. Le bond est, tout � la fois, inattendu, brutal, global et, apparemment, durable. � D�s 1999, gr�ce � l'action de l'Opep, qui r�duit sa production, le p�trole rebondit et, malgr� une rechute � la fin de 2001, n'a cess� de s'appr�cier depuis. Pour les autres commodit�s, la reprise est plus tardive : un point bas est encore atteint en octobre 2001 sur fond de r�cession �conomique �, �crit Philippe Chalmin dans la pr�face du Cyclope. Il semble que la page des mati�res premi�res � vil prix soit tourn�e pour une longue p�riode. � La reprise n'en est que plus violente et spectaculaire, provoqu�e notamment par l'importance et la brutalit� des achats chinois : en t�moigne l'indice du fret maritime sec (le Baltic), qui est multipli� par sept entre la fin de 2001 et le d�but de 2004. Les unes apr�s les autres, toutes les commodit�s sont concern�es, de l'acier au caoutchouc, des m�taux non ferreux au sucre, les seules exceptions �tant quelques produits agricoles temp�r�s et tropicaux �, ajoute M. Chalmin. Nous sommes bel et bien � l'heure de ce que les experts qualifient d'apoth�ose : � D�but 2006, la plupart des grands indicateurs, comme celui que calculent Rexecode et Cyclope, �taient au plus haut depuis les ann�es 1970 � des niveaux cinq fois plus �lev�s que les minima de 1986 pour les indices incluant l'�nergie, deux fois plus �lev�s si l'on exclut le p�trole. � Les march�s de d�riv�s des mati�res premi�res explosent litt�ralement. Quelle explication peut-on en donner et que faut-il en attendre ? La tentation est forte d'assimiler la nouvelle tendance � la �bulle sp�culative � qui a accompagn� l'av�nement d'Internet � la fin du si�cle dernier et � � l'exub�rance irrationnelle des march�s � � laquelle elle a donn� lieu, pour reprendre une belle expression de l'ancien patron de la Federal r�serve, M. Grenspan. On sait ce qu'il en a r�sult� : un long krach boursier initi� en mars 2000 qui n'a pas de pr�c�dent dans l'histoire �conomique contemporaine puisqu'il s'est sold� par la perte de pas moins de 4500 milliards de dollars �vapor�s sous forme de d�pr�ciation aussi subite qu'inattendue des actions des� soci�t�s point com � cot�es en bourse. On ne peut pr�dire le m�me sort aux march�s des mati�res premi�res parce qu'elles ob�issent � une autre logique, inscrite sur le long terme, en fonction de ce que les experts appellent � les fondamentaux � et qui ne sont rien d'autre que les termes r�els de l'offre et de la demande de produits tr�s physiques. Principale explication : la demande chinoise. P�kin �qui depuis trente ans roule � plus de 10 % de croissance par an, du jamais vu dans l'histoire de l'�conomie, est le principal �l�ment explicatif de ce choc des mati�res premi�res�. Cyclope �tablit une projection d'apparence pessimiste : � Nous sommes, en 2006, en haut de cycle. Le mouvement actuel pourrait durer deux � trois ann�es suppl�mentaires, mais il faut ensuite s'attendre � un retournement sous le poids des investissements en cours. Ce raisonnement vaut en particulier dans le domaine minier et industriel. Car, pour l'�nergie et l'agriculture se posera chaque jour un peu plus la question de la raret� dans un environnement �cologique et climatique en nette d�gradation. � Plus pr�s de nous dans le temps, le rapport Cyclope projette un �sc�nario 2006 marqu� par la poursuite des tensions sur les march�s des commodit�s dont les niveaux resteraient � peu pr�s �quivalents � ceux de 2005�. Donc �lev�s. D'autant que la Chine, l'Inde et les Etats-Unis ne donnent gu�re de signes de faiblesse. Loin de l�. Et c'est pourquoi, l'indice global des commodit�s, tous produits confondus, devrait encore progresser de 10 % en 2006, contre 28,5 % en 2005. Une lecture superficielle de ces projections peut faire croire que le Tiers- Monde est tir� d'affaire et que c'en est fini de ses �pid�mies, de ses famines et de ses guerres civiles. Les grands pays ��mergents� (comme le Br�sil ou, dans une moindre mesure, le Chili) ou les pays en transition (comme la Russie) doivent continuer � tirer profit de cette �volution. En r�ponse aux plus hauts responsables de l'UE qui ont multipli� les appels � des relations fond�es sur "les r�gles du march�", "l'ouverture", "la transparence" et la "r�ciprocit�", insistant sur "l'interd�pendance" des deux puissances, le pr�sident Poutine r�pondait r�cemment, au cours d'une conf�rence de presse cl�turant le 17e sommet UE-Russie : "Si nos partenaires attendent de nous une quelconque exclusivit� sur les ressources, que nous ayons une politique enti�rement lib�rale d'extraction et de transport, la question qui se pose est de savoir ce que nous pouvons recevoir en �change". Et d'ajouter : "Un acc�s aux ressources et au transport ? O� sont vos champs gaziers ?", a-t-il demand� � l'adresse des Europ�ens. "Si vous n'avez pas cela, et vous ne l'avez pas, alors nous attendons de vous une compensation", a-t-il conclu. Comme d'autres pays, de plus en plus nombreux, de la r�gion, le Br�sil, le Chili, la Bolivie ou le Venezuela sont mieux que jamais outill�s pour en tirer profit : ils ont s�rieusement remis de l'ordre dans leurs affaires int�rieures, en acc�dant notamment au jeu d�mocratique par la grande porte et sont, de ce simple fait, largement �ligibles � la bonne gouvernance, la rigueur �conomique et la justice sociale. Peu de dirigeants du Tiers-Monde ne veulent ou ne peuvent malheureusement pas tenir le discours de Poutine ou, encore moins, ouvrir leurs �critures comptables au regard de la rue. L'avenir est donc moins rose pour les �vrais pays du Tiers-Monde, ceux dont les recettes d'exportation d�pendent de deux ou trois produits�, du fait d'une redistribution in�galitaire de la rente. Pour ceux-l�, les revenus des mati�res premi�res rel�vent encore de la mal�diction, donnant lieu � des guerres, sournoises ou d�clar�es, mais toutes aussi sanguinaires, entre � seigneurs de la guerre � que ni le d�part de Mobutu, ni celui de Bokassa, ne semblent avoir remis� aux placards. Sous les tropiques, les Tontons macoutes ont la peau dure. En Alg�rie, le secteur des mines et carri�res a rapport� � l'Etat des recettes de l'ordre de 2,2 milliards de dollars, pour des investissements, plut�t symboliques, de 50 millions de dollars l'an dernier. Outre le partenariat prometteur entre ENOR et le groupe australien GLM pour l'exploitation des sites de Tirek et de Amesmessa pour une teneur respective en or de 17 et 14 gr la tonne, on y trouve Mittal Steel (le mal aim� de la sid�rurgie europ�enne), LNM, Orascom (pour la cimenterie de M'Sila), le groupe Taur�s Gold Mines (Australie), Zakhem du Liban, BPG Corp (Espagne), Western Mediterraneen. Tous ces op�rateurs agissent en partenariat avec des entreprises publiques pour l'exploitation des gisements de phosphate, de zinc, d'or et d'engrais...
A. B.

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