Actualit�s : LE REGARD DE MOHAMED BENCHICOU
Retournement de situation
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Ali Tounsi est un homme aussi comp�tent que cr�dible. En plus de diriger une vigilante police des fronti�res qui traque, avec un �gal bonheur, autant les contrebandiers que les journalistes d�test�s par le pouvoir et dont elle s�occupe � fabriquer des dossiers qui les jettent en prison, le puissant directeur g�n�ral de la S�ret� nationale dispose de la pr�rogative r�galienne de rassurer l�Alg�rien. Ce n�est pas peu.
Nos compatriotes ont besoin de savoir que la r�publique est toujours entre de bonnes mains, que les terroristes islamistes perdent leur temps et leurs munitions et que de Maghnia � Oujda, conform�ment � une formule monarchique, nos routes sont aussi d�gag�es que des chauss�es suisses apr�s le passage du chasse- neige. Aussi quand M. Tounsi, avec l�air grave que dictent les grandes circonstances, promet publiquement et solennellement � nos compatriotes que �la s�curit� sera renforc�e � Alger durant le Ramadhan�, sommes-nous devant un apaisant serment qui augure de calmes matin�es d�emplettes et d�insouciantes soir�es � faire la f�te. C�est � ces mots � l�efficacit� redoutable sur les �mes tortur�es que se reconna�t un grand commis de l�Etat. Car, c�est l�Etat qui parle ! Et pour ceux � qui cette frappante conclusion aurait �chapp�, M. Tounsi, tr�s � son aise, rappelle qu�il ne fait qu�ex�cuter la politique du gouvernement dont �la s�curit� est la priorit� et qui, juge-t-il utile d�ajouter, �n�a jamais marchand� sur les moyens�. Et c�est ici que le patron de la police a eu le vocable de trop. Sa d�claration publique intervenant au lendemain de la conf�rence de presse de Rabah Kebir qui a perfidement r�v�l� l�existence de pourparlers secrets avec les plus hauts dirigeants du pays, M. Tounsi aurait pu s�abstenir de citer, parmi les vertus que l�opinion reconna�t traditionnellement au pouvoir alg�rien, son aversion naturelle pour le marchandage. On soutiendra, cela dit, et avec quelque raison, qu�on ne peut exiger du chef de la police d�avoir autant de subtilit� dans la politique que de brio dans la protection des fronti�res. Il reste que ses propos ont quelque chose de troublant et d�embarrassant. Et le malaise tient en une seule question : pourquoi craindre toujours des attentats terroristes islamistes quand l�Etat a fait la concession majeure aux chefs de l�islamisme politique de rentrer d�exil, de s�exprimer et de revendiquer leur retour en politique ? On peut m�me d�cliner, pour le grand malheur de M. Tounsi, l�interrogation sous sa forme invers�e, ce qui la rend encore plus d�sagr�able : � quoi sert de dresser le tapis rouge � Rabah Kebir quand cela ne dispense m�me pas d�injecter 4000 policiers suppl�mentaires dans Alger pour la prot�ger du GSPC durant le Ramadhan ? La r�ponse, h�las pour nous tous, n�est pas seulement dans les classiques th�ories sur la combinaison entre islamisme arm� et islamisme politique. Cela rel�verait de ce d�bat n�buleux que d��ternels rh�teurs tr�s avertis, p�res spirituels du �qui-tue-qui ? � et ne d�sesp�rant pas de gagner le monde � leur insondable perspicacit�, ont vid� de tout son sens. La r�ponse, plus proche de nous et beaucoup moins sujette � controverses d�id�es, est dans l�inavouable bouleversement du sc�nario pr�vu par la charte qui s�op�re sous nos yeux et par lequel nos dirigeants ont permut�, sans le savoir, leur r�le avec les islamistes. En septembre 2005, le texte initial propos� au r�f�rendum avait certaines allures d�une armistice vot�e entre un vainqueur et un vaincu : c��tait l�Etat alg�rien qui signifiait aux islamistes l�octroi de leur libert� de mouvement en �change de l�abandon de toute ambition politique et de tout droit � l�expression. C�est par ces clauses aguichantes que fut emport�e l�adh�sion des cat�gories d�mocrates les plus cr�dules et les moins d�sint�ress�es. En septembre 2006, extraordinaire retournement de situation : ce sont les islamistes qui, par une infiltration lente et insidieuse � travers les br�ches de la charte, signifient � l�Etat alg�rien la possibilit� d�une tr�ve arm�e en �change d�un retour inconditionnel en politique et la r�cup�ration du terrain perdu depuis 1992. C�est ce que dit Rabah Kebir, avec le vocabulaire de la roublardise. C�est ce que dit Madani Mezrag en des termes plus arrogants. C�est ce qu�exigent les dirigeants de l�ex-FIS promus miraculeusement au rang de protagonistes politiques par la faute de la politique p�tainiste d�un r�gime trop faible, trop incoh�rent, trop vermoulu par la corruption, inapte � se hisser � la hauteur de quinze ann�es de r�sistance. Le pouvoir de Bouteflika est aujourd�hui nu devant la guerre. Un an � peine apr�s le r�f�rendum, il est r�duit � esp�rer des commanditaires du crime qu�ils d�sarment leurs propres hommes. C�est ce que reconna�t M. Tounsi, sto�que devant l�inavouable, quand il dit souhaiter des repentis qu�ils �lancent un appel � leurs anciens compagnons de maquis�. En contrepartie de quel autre renoncement la r�publique sollicite- t-elle aujourd�hui l�assistance de ses bourreaux ? Le chef de la police ne le dit pas, pas plus que son ministre de l�Int�rieur. Trois choses restent cependant certaines : le r�gime, dans sa posture actuelle, est oblig� de c�der d�autres espaces de pouvoir � l�islamisme, la nomination de Belkhadem n�ayant pas suffi ; le terrorisme ne baissera pas d�intensit� tant que ces espaces de pouvoir n�auront pas �t� r�cup�r�s par les dirigeants islamistes ; les chefs int�gristes, en relation avec la toile islamiste mondiale, ont un catalogue pr�cis de leurs revendications politiques. Le temps a recul� : nous voil� en d�cembre 1991 ! Nous allons devoir, de nouveau, assumer nos choix et le prix de nos espoirs.
M. B.

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