Panorama : A FONDS PERDUS
Bienvenue en Alg�rie, M. Wolfowitz
Par Ammar Belhimer
ammarbelhimer@hotmail.com


La r�gulation socio-�conomique �pr�bendi�re� commune aux formations mono-exportatrices, dont la n�tre, souffre d'un premier mal structurel : la corruption. Et aucune recette �conomique ne peut les sortir durablement de leur condition �d'exportatrices de richesses et d'importatrices de pauvret�", pour reprendre une expression d�sormais consacr�e de l'ancien Premier ministre Ahmed Benbitour, si une action r�solue, profonde et durable n'est pas entreprise contre ce mal.
Il faut dire que l'aide multinationale que centralise la Banque mondiale rev�t un caract�re vital pour certains Etats. Pour l'ann�e �coul�e, par exemple, elle empruntait trois gros canaux : 9,5 milliards de dollars pour les pr�ts tr�s concessionnels de l'Association internationale pour le d�veloppement (moiti� pour l'Afrique) ; 6,5 milliards en faveur du secteur priv� � travers l'International Finance Corporation, et 14,2 milliards pour les cr�dits de la Banque internationale pour la reconstruction. Premi�re victime de la corruption : la Banque mondiale elle-m�me. Depuis 1999, elle a relev� 2 000 fraudes sur ses programmes et a sanctionn� 330 personnes ou entreprises. Du coup, le pr�sident de la Banque mondiale, Paul Wolfowitz, nomm� par George W. Bush il y a quinze mois (le monde n'est pas � son premier paradoxe), qui avait fait de la lutte contre la corruption, plut�t d'ailleurs contre la "mauvaise gouvernance", sa priorit�, avait �t� contraint de mod�rer ses ardeurs face � l'alliance des Europ�ens � notamment les plus corrupteurs d'entre eux � et de nombreux pays en d�veloppement, notamment parmi les plus corrompus. Il faut, au passage, prendre garde ici de ne pas suivre les anciennes lignes de d�marcation. �Les Indicateurs mondiaux de la gouvernance�, une �tude �labor�e sous la responsabilit� de Daniel Kaufmann, directeur de la gouvernance globale � la Banque, montrent que la Slov�nie, le Chili, le Botswana et l'Estonie font mieux en mati�re de respect du droit et de pr�vention de la corruption que des pays industrialis�s comme la Gr�ce et l'Italie, pourtant peu m�diatis�s sur ce plan pr�cis. Nos partenaires �conomiques semblent diverger sur les moyens de le combattre. La r�union annuelle de Banque mondiale, tenue � Singapour courant septembre, a �t� l'occasion d'une pol�mique instructive autour de la question du conditionnement de l'aide. Les Europ�ens pour qui l'essentiel est de faire profiter les populations pauvres, m�me si les dirigeants sont plus ou moins pourris, ont fini par avoir le dernier mot. "La mission de la banque est d'abord de r�duire la pauvret�", ont-ils d�fendu sans autre pr�cision. Sous-entendu : sans avoir � combattre la corruption. Il est vrai que, comme en t�moigne l'exp�rience alg�rienne, dans le sch�ma n�o-colonial europ�en, les binationaux demeurent le meilleur gardien d'int�r�ts en perdition. La fermet� de Paul Wolfowitz n'aura pas suffi � raffermir la ligne de l'institution et � les y soumettre. Pourtant, rien � l'ouverture de ses travaux n'augurait une issue aussi timor�e � l'endroit d'un fl�au aussi mortel que la famine ou les grandes �pid�mies � parce qu'il emp�che justement les populations de profiter des rem�des qui leurs sont destin�es. N�o-conservateur ou pas, faucon ou pas, M. Wolfowitz aura eu raison de dire dans son discours de bienvenue : "L'assistance que nous apportons doit �tre utilis�e pour les objectifs que nous visons. Et les objectifs que nous visons sont d'envoyer des enfants � l'�cole, d'aider les m�res � gagner leur vie, de cr�er des emplois pour les gens pauvres, pas de voir nos ressources siphonn�es par des personnes corrompues et avides." Ces propos rappellent, � la lettre pr�s, ceux de David Nussbaum, directeur ex�cutif de Transparency International, moins enclin au compromis, pour qui �la corruption n'est pas une catastrophe naturelle : c'est un pillage froid et calcul� de nombreuses opportunit�s pour les hommes, femmes et enfants qui sont le moins � m�me de se prot�ger.� D�sormais, la finance internationale a son Saint- Just. La devise pr�f�r�e de Wolfowitz est : �L'argent est indispensable, mais il doit aller dans la poche de ceux qui en ont besoin et non celle de fonctionnaires malhonn�tes. � Commentant les d�penses d'h�tel excessives du pr�sident congolais � New York durant l'assembl�e de l'ONU, il dira au New York Times : "C'est une injustice faite aux pays en d�veloppement et � leurs populations que de cacher ces probl�mes". Du coup, les programmes en faveur du Congo-Brazzaville ont connu des restrictions. La fermet� de Paul Wolfowitz est partag�e par Daniel Kaufmann, �conomiste de la Banque mondiale, dont les �tudes ont d�montr� qu'"en moyenne, les pays dot�s d'une bonne gouvernance croissent plus vite que les pays � mauvais gouvernement et que l'efficacit� des projets cofinanc�s par la Banque est tr�s affect�e dans les pays � gouvernance faible et � corruption �lev�e". Paul Wolfowitz a mis de l'eau dans son vin mais n'a pas jet� son verre. Le document, tr�s contest�, qu'il avait pr�par� sur �la strat�gie en mati�re de gouvernance et la lutte contre la corruption � et par ailleurs appel� �la charte �mains propres�, a finalement �t� adopt� � Singapour par le Comit� de d�veloppement de la Banque mondiale. Aussi, selon les ONG, le montant des pr�ts gel�s depuis quinze mois pour cause de suspicions diverses se chiffre � 1 milliard de dollars. Toujours � Singapour, un �minent groupe de leaders mondiaux d'opinion, comprenant, entre autres, Paul Volcker, pr�sident du Comit� d'enqu�te ind�pendant sur le programme �P�trole contre nourriture� des Nations unies, John Githongo, champion r�put� de la lutte contre la corruption au Kenya, Huguette Labelle, pr�sidente de Transparency International, ont soutenu, aux c�t�s d'autres personnalit�s de m�me gabarit, que l'on ne saurait r�duire la pauvret� sans r�duire la corruption. La corruption se d�veloppe dans des �r�seaux bien ancr�s� de bureaucrates, d'hommes politiques, de responsables de la s�curit� et d'hommes d'affaires-courtiers. Des dirigeants responsables et l'Etat de droit sont n�cessaires pour enrayer ce fl�au, a estim� John Githongo.La bonne gouvernance est d�finie au sein de la Banque par un ensemble de six crit�res : libert� d'expression, stabilit� politique, qualit� des services publics comme l'�ducation, capacit� de l'Etat � faire voter et appliquer les lois, respect des contrats et, enfin, niveau de corruption. La capacit� de l'Etat est primordiale, et dans cette capacit�, la corruption est la plus n�faste des maladies. Naturellement, la meilleure architecture �tatique est celle qui r�duit � minima les tentations auxquelles sont soumis les fonctionnaires par une r�gulation d�centralis�e, une surveillance ind�pendante, et d'autres m�canismes de contr�le et de contre-pouvoir. �La morale, dit Saint- Just, est plus forte que les tyrans.� Elle vient en effet de donner raison � Paul Wolfowitz. Tout �chec d'un programme d'ajustement ne vient donc pas d'une imperfection, suppos�e impossible, du �consensus de Washington�, mais d'un manque de vertu chez les dirigeants v�reux. C'est pourquoi, la bonne gouvernance n'est pas seulement une somme de recettes idoines, elle est la morale. �Chaque corruption morale est en m�me temps corruption politique, et r�ciproquement �, disait Albert Camus dans L'homme r�volt�. Il ne pouvait pas si bien dire. Comme pour l'Alg�rie, l'�chec de l'alternance d�mocratique r�side bien dans la d�mission, l'exclusion et la r�pression des �lites d�sormais aphones et amorphes pour le plus grand bonheur des islamistes et de la mafia. C'est l� que commence la corruption morale des nations et de leurs Etats.
A. B.

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