Panorama : A FONDS PERDUS
Un Nobel pour l'altruisme et la coh�sion sociale
Par Ammar Belhimer
ambelhimer@hotmail.com


Edmund S. Phelps vient d'obtenir le prix Nobel d'�conomie 2006 pour ses travaux sur la politique de macro�conomie. Notamment ses recherches qui ont permis d'�approfondir notre compr�hension des relations des effets � court et long terme d'une politique �conomique �, a indiqu� l'acad�mie royale su�doise des sciences dans ses attendus.

Le Nobel vient de r�compenser quarante ans d'un travail assidu dont le volet le plus f�cond est probablement la th�orie du taux naturel de ch�mage par laquelle il soutient magistralement qu'une faible inflation aujourd'hui permet d'envisager une faible inflation dans l'avenir, et donc d'influencer les futures politiques des d�cideurs. Sa rencontre avec Amartya Sen, John Rawls, Kenneth Arrow � Stanford, au tournant des ann�es 1960 et 1970, ranima sa fibre philosophique. Il eut des �changes intellectuels extr�mement riches et fr�quents avec John Rawls, ce qui le conduisit � r�diger plusieurs essais sur la th�orie de la justice �conomique, et d'�diter un livre qui fait toujours r�f�rence sur le sujet en 1974. C'est pourquoi, estime encore le Comit� Nobel, les contributions de Phelps, �ont eu un impact d�cisif aussi bien sur la recherche en �conomie que sur la politique�. Remettant en question, d�s les ann�es 60, l'hypoth�se selon laquelle la politique �conomique pouvait viser soit un faible taux d'inflation, soit un faible taux de ch�mage et qu'il �tait impossible de concilier ces deux objectifs, Phelps pr�conise que les acteurs �conomiques (employeurs et salari�s) int�grent dans le processus de fixation des prix ou de n�gociations salariales leur appr�ciation de l'inflation future, ce qui a pour cons�quence d'influencer cette inflation. L'inflation ne d�pend pas seulement du ch�mage mais aussi des attentes des entreprises et des employ�s sur l'augmentation des prix et des salaires. De m�me que le taux de ch�mage � long terme n'est pas une fatalit�. Phelps estime notamment que le ch�mage conduit � la d�pr�ciation du capital humain et que les ch�meurs de longue dur�e sont discrimin�s. Dans une chronique parue il y a peu dans le quotidien parisien Le Monde sous le titre �Comment r�cup�rer les exclus du travail�, il n'h�site pas � �crire : �Pour les d�fenseurs d'une plus grande flexibilit� du march� du travail, subventionner les patrons pour qu'ils embauchent des jeunes est une erreur. Ils estiment que si les employeurs peuvent licencier plus facilement, ils embaucheront plus facilement. Mais ce point de vue ne prend pas en compte le fait qu'un march� du travail d�r�glement� ne supprimera pas le ch�mage et ne transformera pas les travailleurs sans qualification et sans grande efficacit� en salari�s hautement productifs et bien pay�s.�* Nous sommes alors en pleine contestation de la formule fran�aise Contrat premi�re embauche, CPE, massivement d�savou� par les jeunes. Phelps est sensible � la d�tresse des sans-emploi parce qu'il y voit un facteur de d�linquance, de d�sint�gration et d'explosion. Une menace pour le syst�me. A la question �Comment te vois-tu dans dix ans ?�, un jeune des banlieues fran�aises r�pondait � une journaliste de l'�mission associative Saga-cit�s qui passe sur France 3 : �Je ne me vois m�me pas � la fin de la semaine.� C'est dire qu'� l'�re de l'arrogance n�olib�rale, pour reprendre Shakespeare, pour des centaines de millions d'individus �l'Enfer n'existe pas. Tous les d�mons sont ici�. Dans une autre �tude publi�e par La Revue �conomique de l'OCDE( n� 31, 2000/II) sous le titre �L'importance de l'int�gration et le r�le que peuvent jouer les subventions � l'emploi�**, il passe au peigne fin les facteurs et les m�canismes responsables de la baisse de l'int�gration qu'il d�finit comme la r�sultante de deux conditions �indissociables et n�cessaires� : la possibilit� donn�e aux personnes d'�ge actif d'obtenir un emploi int�ressant au sein de l'�conomie formelle et permettant de gagner suffisamment d'argent pour �tre financi�rement autonomes. Cette int�gration est, � ses yeux, �un objectif � part enti�re pour la politique sociale�. Plus sp�cifiquement, il montre que l'octroi aux entreprises de subventions pour l'emploi de travailleurs � bas salaires contribue efficacement � am�liorer les deux composantes de l'int�gration � la r�mun�ration et l'emploi. Ces subventions permettent d'esp�rer des r�sultats plus satisfaisants que d'autres subventions ou programmes publics ayant un co�t identique. N�o-keyn�sien favorable � un certain degr� d'intervention des pouvoirs publics dans l'�conomie, et oppos� � la seule r�gulation par les march�s, M. Phelps a en outre montr� en quoi la politique �conomique avait un int�r�t. A ce propos, il �crit : �Une politique �conomique saine ne vise pas seulement � une croissance durable et � une augmentation du PNB, elle a un autre objectif important : veiller � ce que tous les membres de la soci�t� qui le peuvent soient autonomes et r�alisent leur potentiel. Une subvention convenable en faveur des emplois peu qualifi�s est un moyen �quitable et efficace pour y parvenir.� Assistanat, assistance, d�pendance, perte de motivation pour rechercher un emploi et marginalisation sont g�n�ralement associ�s aux subsides habituellement accord�s aux victimes du ch�mage. Dans un r�cent ouvrage tr�s remarqu�, Rewarding Work, Phelps prend le probl�me sous un autre angle. Plus que du pouvoir d'achat des plus d�favoris�s, il se pr�occupe d'abord de r�ins�rer les personnels les moins qualifi�s dans le monde du travail. Son leitmotiv : il faut sortir d'une culture de la d�pendance et donner � chacun les moyens de vivre et de se conduire en citoyen responsable. Pour cela, il propose une intervention massive de l'Etat pour inciter les entreprises � embaucher ces personnes peu qualifi�es. Partant de la m�me id�e (d�coupler le revenu tir� de l'activit� du revenu de subsistance), il modifie le circuit de l'argent. Pour lui, la formule �conomiquement efficace est de transiter par l'entreprise. C'est elle qui per�oit un cr�dit d'imp�t pour l'emploi de tout travailleur non qualifi�. Au passage, elle le r�troc�de au salari�, au centime pr�s, sur sa fiche de paie. Le salari� est ainsi pay� � la fois par son employeur et par la soci�t� en vertu d'un principe simple : une entreprise priv�e ne peut se permettre de r�mun�rer un salari� au-del� de sa valeur ajout�e ��conomique �, c'est-�-dire de sa productivit� �tablie et constat�e par le march� ; mais la soci�t� dans son ensemble a un int�r�t �vident � ce que le travail soit pay� � hauteur d'une valeur ajout�e �sociale� sup�rieure � la pr�c�dente. Celle-ci se nomme capacit� de se comporter en homme autonome, de subvenir � ses propres besoins et d'exercer ses responsabilit�s de chef de famille et de citoyen. L'enjeu, in fine, est la coh�sion sociale. Il reste � conna�tre la marge d'action et de responsabilit� dont dispose r�ellement chaque pouvoir politique dans un paysage �conomique irr�m�diablement pollu� par la sp�culation qui nourrit l'opulence d'une poign�e de nantis par le d�nuement de la grande masse. Le Nobel 2006 nous aura fait oublier cette am�re r�alit� le temps qu'une autre vell�it� altruiste vienne rappeler la d�tresse humaine � l'honorable acad�mie royale de Su�de. En attendant, on m�ditera cette pens�e de Pascal : �L'empire fond� sur l'opinion et l'imagination r�gne quelque temps, et cet empire est doux et volontaire ; celui de la force r�gne toujours.�
A. B.

* �Comment r�cup�rer les exclus du travail�, Le Monde du 12.05.06
** �L'importance de l'int�gration et le r�le que peuvent jouer les subventions � l'emploi�, in La Revue �conomique de l'OCDE, n� 31, 2000/II.

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