Panorama : KIOSQUE ARABE
Restez couvert, Monsieur le Ministre !
Par Ahmed HALLI
halliahmed@hotmail.com


Farouk Hosni est depuis pr�s de vingt ans l'inamovible ministre de la Culture de l'Egypte. Quoique servant de paravent bon chic bon genre � un r�gime autoritaire et r�pressif, Farouk Hosni est (�tait) un ami des arts et des lettres respect�. C'est un peu gr�ce � lui que les cr�ateurs �gyptiens les plus hardis ont pu s'exprimer, aussi bien en litt�rature qu'au cin�ma. Homme de culture reconnu aussi bien dans son pays qu'� l'�tranger, Farouk Hosni est sans doute le seul ministre de Moubarak � avoir �chapp� au d�sastre collectif.
Pourtant, en septembre 2005, il a failli �tre emport� par les retomb�es de l'incendie d'un th��tre � Beni-Souif. Le th��tre de la ville avait accidentellement br�l�, lors d'une repr�sentation. Une quarantaine de personnes, parmi lesquelles des com�diens et des critiques, avaient trouv� la mort dans l'incendie. Apr�s le drame qui avait soulev� un grand �moi dans le pays, la responsabilit� de Farouk Hosni avait �t� mise en cause. Des intellectuels progressistes comme l'�crivain Djamal Ghitani avaient d�nonc� sa gestion et demand� qu'il soit d�mis de ses fonctions. Il avait alors pr�f�r� d�missionner plut�t que de continuer � subir des attaques injustifi�es � cause d'un accident impr�visible. Moubarak avait cependant refus� de se s�parer de sa caution intellectuelle et Farouk Hosni avait �t� maintenu � son poste. Cette fois-ci les choses risquent de tourner autrement. Farouk Hosni s'est attaqu� la semaine derni�re � un morceau de tissu �rig� en totem, le hidjab. Dans une d�claration au quotidien Al-Masri Al-Youmdu jeudi 16 novembre, Farouk Hosni a os� ce qu�aucun ministre du Machrek ou du Maghreb n'a pu seulement imaginer. Il s'est attaqu� au sacro-saint hidjab affirmant qu'il repr�sentait "un retour en arri�re, une r�gression". "On ne doit pas cacher une chevelure de femme belle comme une rose, a-t-il dit avant de noter que "la religion, aujourd'hui, est r�duite aux signes ext�rieurs alors que la relation de foi entre Dieu et sa cr�ature n'a rien � voir avec l'habit". "La pudeur de la femme est une question de conviction interne, elle ne r�side pas dans son apparence ext�rieure, a ajout� Farouk Hosni. Il faut que l'Egypte redevienne belle comme elle l'�tait et qu'elle cesse d'imiter les Arabes qui consid�raient, � une certaine �poque, l'Egypte comme une partie de l'Europe". Et d'ajouter : "Nous avons v�cu avec nos m�res qui nous ont �lev�s et �duqu�s tout en allant � l'universit� ou au travail sans hidjab. Pourquoi revenons-nous aujourd'hui en arri�re? Des crimes se commettent aujourd'hui au nom du hidjab et du niqab. Le monde va de l'avant et nous ne progresserons pas tant que nous continuerons � penser de fa�on r�trograde et � aller �couter des fetwas de cheikhs � "trois millimes". Nous avons m�me perdu ces voix m�lodieuses qui appelaient � la pri�re dans les mosqu�es. Nous entendons aujourd'hui des voix qui sont parmi les plus horribles qui soient". Farouk Hosni a, d'autre part, rappel� que lors de sa visite r�cente au Qatar et � Bahre�n, il a pu noter que les Etats arabes faisaient des progr�s en mati�re d'organisation, de propret�. "M�me les femmes commencent � d�couvrir leurs visages, alors que nous revenons en arri�re et que nous les dissimulons. Un Etat comme Singapour commence � rivaliser avec la Chine et avec l'Inde. Cet Etat n'a pourtant que cent ans d'existence. Pendant ce temps, nous restons sur place bien que nous ayons une civilisation qui remonte � cinq mille ans". Farouk Hosni a, enfin, enfonc� le clou en affirmant que le minist�re de la Culture et ses repr�sentants devaient �tre le rempart principal contre la propagation de ces id�es. Imm�diatement, les "trompettes de J�richo" de l'establishment islamiste ont r�sonn� sous les murs du minist�re de la Culture. La meute, emmen�e par la cha�ne qatarie Al-Jazira s'est d�cha�n�e contre Farouk Hosni. La t�l�vision satellitaire a interrog� les "bons" clients de la rue �gyptienne, huit hommes et une femme en hidjab, l'�galit� parfaite. Tous ont chant� la vertu irrempla�able du hidjab. Dans toute la ville du Caire, les cam�ras de la cha�ne n'ont pas trouv� un seul "�chantillon" populaire pour soutenir Farouk Hosni. Des voix se sont fait entendre au Parlement et chez les Fr�res musulmans pour d�noncer cette atteinte intol�rable au dogme proclam�. L'un des porte-voix de la mouvance islamiste a d�clar� que le ministre de la Culture devait d�missionner puisqu'il s'oppose au voile que portent la majorit� des Egyptiennes. Jusqu'ici, Farouk Hosni n'a pas exprim� son intention de d�missionner mais s'est dit pr�t � se soumettre � un vote de confiance du Parlement. Devant la virulence des r�actions, il a cependant temp�r� ses propos en pr�cisant qu'il respectait les femmes voil�es. Il a donn� pour preuve le fait que de nombreuses femmes en hidjab �taient employ�es dans son minist�re et �taient trait�es sur un pied d'�galit� avec les autres. Celui qui risque d'�tre d'un moment � l'autre, un ex-ministre de la Culture a fait un nouveau pas en arri�re. Il n'a fait qu'exprimer son opinion personnelle et il n'a pas fait de commentaire sur le caract�re religieux ou non du hidjab. Cette fois-ci Farouk Hosni n'affronte pas une mobilisation d'intellectuels indign�s par l'incendie meurtrier d'un th��tre. Il a affaire � une oligarchie qui resserre sa mainmise sur la soci�t� et n'entend pas rouvrir des portes scell�es � jamais. Toutefois, les partisans de Farouk Hosni persistent et signent. Les propos de Hosni sur le voile "sont une preuve de courage", affirme l'�crivaine Iqbal Baraka, farouche opposante au hidjab. "Il a le droit d'exprimer son opinion et nul n'a le droit de l'attaquer pour cette raison, dit-elle. Le hidjab est un retour � l'obscurantisme et un signe d'arri�ration intellectuelle", a-t-elle ajout�. De son c�t�, l'�crivain Youssef Al-Qa'id exprime la m�me opinion et se dit en plein accord avec les propose du ministre �gyptien de la Culture. "Le hidjab est une graine plant�e par le d�funt pr�sident Anouar Sadate dans les ann�es soixante-dix du si�cle dernier, selon Al-Qa'id. Le danger n'est pas dans le bout de tissu qu'est le hidjab mais dans le voile mental que s'imposent certaines femmes aujourd'hui. Le hidjab est sur le point de diviser la soci�t� en deux de sorte que la femme qui ne le porte pas est consid�r�e comme chr�tienne jusqu'� preuve du contraire. Et Youssef Al-Qa'id de citer en exemple le cas de sa propre fille qui ne porte pas le voile et qui est souvent en butte � des questions sur sa religion. "Les canons de l'Islam sont au nombre de cinq et le hidjab n'y figure pas. Il a �t� impos� aux �pouses du Proph�te et aux croyantes afin que les m�cr�ants ne les reconnaissent pas", souligne encore l'�crivain. M�me ton chez Oussama Anour Okacha : "L'Egypte vivait depuis la conqu�te musulmane un Islam mod�r� et tol�rant jusqu'� ce qu'� son invasion par les mouvances "djihadistes" et leurs tentatives de "wahhabiser" la culture �gyptienne et d'en effacer les rep�res." Pour sa part, le penseur Djamal Al- Bana se dit �tonn� par l'agitation cr��e autour des d�clarations de farouk Hosni. Il critique vertement ceux qui d�fendent le hidjab les accusant de vouloir "emprisonner l'Islam dans le hidjab et de confiner la religion dans un m�tre carr� de tissu". C'est sans doute � cause de ce m�tre carr� de tissu que l'Egypte risque de perdre un bon ministre de la Culture. S'il r�ussit � s'en sortir, Farouk Hosni devra r�apprendre les r�gles de long�vit� dans un gouvernement arabe d'aujourd'hui. Pour durer, un ministre doit sortir couvert, c'est-�-dire arborer la calotte du bon pratiquant et porter le b�illon invisible qui va avec.
A. H.

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