Actualit�s : SAGES-FEMMES EN ALGERIE Une profession en voie de disparition
M�chante, irritable, grincheuse, froide, stricte. Stigmatis�e, la sage-femme en Alg�rie ne r�colte, ces derni�res ann�es, que ces qualificatifs. Et pourtant, elle est le maillon fort et incontournable de la sant� publique devant effectuer de multiples t�ches. C�est parce qu�oubli�e et marginalis�e et que cette �esp�ce� est en voie de disparition. Beaucoup d�entre elles ont �migr� sous d�autres cieux, d�autres changent de sp�cialit� et pr�s de la moiti� vont partir en retraite. Quelques-unes encore n�ont pas encore coup� le cordon ombilical.
Dossier r�alis� par Meriem Ouyahia
Plus de 25 consultations par jour
Elles seront 10 000 sages-femmes � porter secours � des millions de
b�b�s et de mamans sur le territoire national en 2007. Et elles ne
d�passent actuellement pas les 9 000. D�risoire face � une demande
accrue en divers soins. Face � une demande de plus en plus pressante, les
sages-femmes sont oblig�es d�effectuer pr�s de 300 consultations par
mois. Ce qui fait une moyenne de 25 consultations par jour. Dans la
nomenclature des actes de la sage-femme, il est inscrit, entre autres, la
surveillance de la grossesse, diagnostic, psychoprophylactique de l�accouchement
normal, surveillance et pratique de l�accouchement, surveillance
post-natal, prescription et application d�une contraception, vaccination
de la population dont elle a la charge, surveillance de la croissance
staturo-ponderale du nourrisson jusqu�� l��ge pr�scolaire. �En fin
de journ�e, nous sommes fatigu�es, lasses, � bout de nerfs � cause du
rythme effr�n� que nous devons assumer sans sourciller. C�est ce qui
fait que nous sommes irritables�, t�moigne une sage-femme travaillant
dans un centre de protection maternelle et infantile (PMI) de la capitale.
Et d�ajouter : �Notre plaisir est de voir des bouts de chou grandir,
leur prodiguer les soins mais pas � la cha�ne et sans reconnaissance. �
En fait, les sages-femmes se consid�rent comme la main-d'�uvre
�chinoise� du corps m�dical. A bas prix, avec un salaire de base de 11
000 DA, elles doivent prendre en charge plusieurs t�ches et multiplier
les heures suppl�mentaires sans �tre pay�es en retour. En 2001, le
ministre de la Sant� a tent� de rem�dier � cette situation sans grands
succ�s. Dans une note du 8 septembre 2001, adress�e aux directeurs de
sant� et de la population de wilaya et les directeurs g�n�raux des CHU
pour ex�cution, il est not� : �La sage-femme constitue un maillon
essentiel dans la cha�ne des intervenants de la sant� publique et son
r�le est primordial dans la mise en �uvre des programmes nationaux,
visant notamment la lutte contre la mortalit� et la morbidit�
infantiles. La mobilisation des sages-femmes autour des objectifs de
relance des activit�s de PMI et de sant� reproductive, fix�s pour le
court terme, exige l�am�lioration de leurs conditions de travail et
notamment, la mise en �uvre d�un plan de carri�re, en application de
la r�glementation en vigueur. Or, il m�a �t� donn� de constater que
les dispositions pr�vues par le d�cret du 27 avril 1999 ne sont pas
toujours appliqu�es dans les d�lais requis.� Le manque d�effectifs
dans les rangs des sages-femmes est, en fait, d� � ces facteurs. �Les
jeunes �tudiantes changent de fili�re d�s qu�elles le peuvent en
repassant le baccalaur�at ou en changeant de fili�re pour �viter de se
retrouver dans le m�me marasme. D�autres anciennes, font des
sp�cialit�s pour changer de profession et d�autres ont carr�ment
�migr� o� notre comp�tence est reconnue � sa juste valeur�, note une
sage-femme � la retraite. Pour la premi�re fois, le ministre de la
Sant�, Amar Tou, a demand� la formation de plus de 460 sages-femmes. D�ici-l�,
r�pondre convenablement � toutes les demandes ne sera pas ais�.
Mortalit� infantile en augmentation
En 2005, estim� globalement � 30,4 pour mille, le taux de
mortalit� infantile a connu une stagnation par rapport � 2004. Le nombre
de d�c�s de moins d�un an a augment�. Il est pass� de 20 300 en 2004
� 21 300 d�c�s infantiles en 2005, selon l�Office national des
statistiques. Dans les statistiques sanitaires, la mortalit� maternelle n�est
recens�e qu�au niveau du lieu d�accouchement et dans les services o�
la parturiente a �t� �vacu�e. Ainsi, les d�c�s survenant � domicile
ne sont pas exploitables. Une enqu�te men�e par l�Institut national de
sant� publique en 1999 d�montre que les morts des patientes
repr�sentent 9% de la mortalit� g�n�rale. Plus de la moiti� des
femmes d�c�d�es, ont �t� �vacu�es, et parmi elles 57,3% proviennent
des maternit�s publiques. Pr�s de la moiti� des �vacuations sont
faites durant les heures de garde. Pr�s du quart des motifs d��vacuation
concerne l�h�morragie g�nitale, la rupture ut�rine, le syndrome
vasculo-r�nal. D�apr�s le programme national de p�rinatalit�, les
morts p�rinatals et n�onatals r�sultent principalement de grossesses
non ou mal suivies et d�accouchements pratiqu�s dans de mauvaises
conditions. Et selon l�enqu�te de la population et sur la famille �PAP/FAM
2002/2003�, 80% des femmes en �ge de procr�er consultent pendant leur
grossesse. Cependant, il est admis actuellement que nos centres de sant�
� vocation particuli�re (PMI) ne jouent pas encore un r�le important
dans la surveillance des grossesses. Les activit�s sont r�alis�es de
fa�on routini�re sans souci de leur efficacit�. Il est vrai que l�insuffisance
des prestations relev�es au niveau de ces centres d�courage les femmes
enceintes qui se rabattent alors au niveau des structures priv�es de plus
en plus nombreuses, mais qui ne sont jamais associ�es aux programmes de
sant� initi�s par le secteur public. A ce titre, � Dou�ra, � 15 km de
la capitale, le service de maternit� est g�r� par une sage-femme. Des
�quipes de deux ou trois sages-femmes font la garde sans aucune
assistance m�dicale sp�cialis�e dans la gyn�cologie obst�trique. Pas
de blocs op�ratoires sur place et les sages-femmes sont confront�es �
des probl�mes d��vacuation chaque fois que c�est n�cessaire. Alors
que dire des autres services se trouvant � l�int�rieur du pays o� la
kabla doit assurer la garde de la maternit�, la consultation et l��vacuation.
Les patientes doivent �tre transport�es au minimum sur 250 km. D�autres
exemples soulignent les conditions dramatiques dans lesquelles travaillent
les sages-femmes. A Dellys ou � Batna, la kabla entame une garde pendant
une semaine accompagn�e d�accoucheuse rurale ou bien elles se
relaient.
Moyens d�risoires
Dans d�autres centres de maternit�, elles sont oblig�es de recourir �
des m�thodes archa�ques en ayant recours au m�tre ruban pour conna�tre
la taille du cr�ne du b�b� ou en t�tonnant. Ou bien encore recourir au
vieux steto-obstical pour chercher les battements du c�ur. Pour combien
de temps encore et jusqu�� quand pourront-elles continuer � aimer la
profession aux d�pens de leur vie ? C�est ce qui fait dire � l�Union
nationale des sages-femmes que �les conditions optimales de s�curit� de
la grossesse et de l�accouchement sont loin d��tre r�unies � l�heure
actuelle en Alg�rie�. Cette situation devrait encore se d�grader avec l�absence
du code de d�ontologie propre � la profession de sage-femme. Le d�cret
de p�rinatalit�, dont les termes sont unanimement approuv�s par le
gouvernement et appuy�s par le pr�sident de la R�publique, n�est pas
applicable actuellement sans une forte revalorisation de cette profession
de sage-femme, qui assure la surveillance de la grossesse et de la
naissance. La reconnaissance de la formation en tant qu�universitaire
m�dicale avec r�vision du cursus dont le nombre d�ann�es n�cessaires
� la formation est aussi recommand� par les sages-femmes. De surcro�t,
en mati�re de nouvelles technologies, les sages-femmes ne b�n�ficient
pas de formation. Elles n�ont �droit� qu�au recyclage pour le
planning familial, de surcro�t, ces programmes ne touchent pas l�ensemble
de la corporation. �Ce sont les m�mes qui reviennent�, disent les sages
femmes. Pour toutes ces raisons, la profession de sage-femme est en voie
de disparition. Un ultime SOS est lanc� des diff�rents couloirs de la
maternit� pour sauvegarder ce sage m�tier. M. O.
Mme AKILA GUERROUCHE, PRESIDENTE DE L'UNION NATIONALE DES SAGES-FEMMES
�Le statut de la sage-femme est presque inexistant�
Une mauvaise image est faite de la sage-femme, selon vous pourquoi ?
Ni m�decin, ni infirmi�re sp�cialiste, la sage-femme
revendique le droit � la diff�rence � la responsabilit� et � l�ind�pendance
propre aux professions m�dicales. Nous sommes des praticiennes dans l�activit�
m�dicale dans le cadre de l�obst�trique normale ce qui nous autorise
au diagnostic, � la prescription et � l�acte m�dical dans ce domaine
pr�cis. Notre profession est d�finie dans le cadre de la sant� publique
comme profession m�dicale � comp�tence limit�e. Et pourtant le statut
est presque inexistant pour les sages-femmes assimil�es aux
param�dicales dans le secteur public, confus et d�valorisant dans le
secteur priv�, tr�s restreint dans le secteur lib�ral. Cette situation
a cr�� des disparit�s injustes dans notre profession qui limite nos
comp�tences et nous d�valorise par rapport aux autres professions
m�dicales. La surcharge du travail de toutes natures qui en r�sulte n�a
fait qu�accentuer le mal-�tre li� � cette absence de
reconnaissance
Et pourtant, dans plusieurs cas, elle est la seule interlocutrice de la
future maman et du couple.
Tout � fait, en vue de r�duire la mortalit� maternelle et
pr�natale dans notre pays, nous recommandons la revalorisation de la
fonction de sage-femme dans l��quipe gyn�cologique et obst�tricale en
pr�conisant le d�veloppement d�un plan de carri�re permettant � la
sage-femme d��voluer dans sa fonction. Pour concr�tiser les programmes
nationaux de sant�, il faudrait r�habiliter la sage-femme par l�unit�
du corps sage-femme au corpus m�dical et pas param�dical avec la
reconnaissance de notre qualification et notre responsabilit� m�dicale.
D�velopper les diff�rentes m�thodes de formations qui est une
obligation d�ontologique dans la r�forme hospitali�re permettant �
toute praticienne d�entretenir et de compl�ter sa formation initiale
afin de pouvoir assurer � ses patients les soins conformes aux donn�es
scientifiques du moment que requi�rent la patiente et nouveau- n�.
A ce sujet, que proposez-vous pour une meilleure qualit� de la formation
des sages-femmes ?
Pour garantir une formation de qualit�, il est n�cessaire de
rajouter un � deux ans au cursus universitaire de la sage-femme. Aussi,
introduire les modules de pharmacologie et de d�ontologie pour combler le
vide juridique. Nous voudrions �galement que la formation de sage-femme
soit impliqu�e dans le syst�me LMD pour avoir le choix de faire des
sp�cialit�s. Ou bien dans la formation continue � l�UFC, par exemple.
Pour nombre de sages-femmes ayant cumul� plus de vingt ans d�exp�rience,
l�erreur est de d�centraliser la formation alors qu�il faut l�uniformiser
� l�image de tout ce qui se fait pour les autres sp�cialit�s. Et c�est
pour cela que nous appelons � la reprise de l��cole des sages-femmes.
Le m�tier de sage-femme est-il consid�r� comme une profession m�dicale
?
Non. Contrairement aux sages-femmes �trang�res, notamment celles de
France ou de Palestine, cette fonction n�est pas consid�r�e comme
profession m�dicale. Elle est consid�r�e comme �comp�tence
limit�e�. En France, la sage-femme a le droit de diagnostiquer et de
prescrire, c�est ce qui caract�rise une fonction m�dicale. Dans ce
pays, il existe trois professions m�dicales : m�decin,
chirurgien-dentiste, sage-femme. Or, en Alg�rie, les professions
m�dicales sont le m�decin, le chirurgien- dentiste et le pharmacien.
Alors qu�il faut noter que la sage-femme pratique, entre autres, la
d�livrance manuelle, la r�vision ut�rine, l�examen sous-valve, l�injection
intra murale, l��chographie, la pratique �pisiotomie et sa r�fection.
Il faut qu�on nous inscrive � l��largissement dans la nomenclature
des actes � la prescription. Et dans ce cadre, nous demandons, l��volution
de la grille des salaires par rapport � notre formation universitaire et
l�alignement des r�mun�rations en fonction des responsabilit�s
civiles, m�dicales et p�nales.
M. O. [email protected]
|