Actualit�s : LE REGARD DE MOHAMED BENCHICOU
Affaire d'Etat, cl�mence d'Etat
[email protected]


S'il faudra un jour rendre gr�ce � l'�ge pour son impuissance devant le talent, on �voquerait alors, avec bonheur, que chez Miloud Brahimi la lucidit� et la verve n'aient pas pris une ride. Il fallait, en effet, l'art oratoire de l'avocat et le g�nie sobre de l'intellectuel pour savoir dire moins afin de faire entendre plus : �Si la corruption est un sport national, c'est surtout un sport d'�lite. L'affaire Khalifa est une affaire d'Etat.�

Tout �tait dit. L'avocat redonnait vie � une litote oubli�e, celle-l� m�me dont s'�tait �puis� � nous en convaincre Moumen Khalifa lui-m�me sur Al Jazeera et dans l'hebdomadaire Al Mohakak, un euph�misme partag� par l'homme de la rue et qui, dans la bouche de ma�tre Brahimi, retrouvait des couleurs de cr�dibilit�. Ceux qui n'ont tendu qu'une demioreille aux r�v�lations du milliardaire affirmant, � partir de Londres, d�tenir �les preuves de l'implication du plus haut sommet de l'Etat dans l'affaire Khalifa� devraient �couter avec plus d'attention l'avocat ass�ner, de nouveau, une sentence aussi lourde et qu'ils auraient tort de pr�ter � une impulsivit� passag�re. Miloud Brahimi a construit sa carri�re sur un subtil dosage entre la n�cessaire d�raison de l'intellectuel engag� et l'indispensable l�galisme de l'homme de droit, c'est-�-dire entre le go�t de l'audace et l'art du possible. En se faisant l'apologiste de l'�vidence, le chevronn� du barreau se donnait, devant la juge et le procureur mais aussi devant l'opinion, les moyens d'une salutaire effronterie politique : �Puisque l'affaire Khalifa est une affaire d'Etat o� est l'Etat dans cette salle ?� Le postulat l'autorisait alors � retourner l'�p�e sur le procureur et � reprocher � la cour de vouloir rendre une justice partiale, qui �pargne le puissant pour s'acharner sur le lampiste. Comment lui donner tort quand on entend le procureur g�n�ral accabler le pauvre Ighil Meziane du crime de blanchiment d'argent pour avoir achet� une villa � Kouba avec les fonds de Khalifa et oublier de s'offusquer que les m�mes �fonds douteux� aient servi � l'achat d'un appartement parisien au profit d'une personnalit� du pouvoir ? J'accorde au procureur Abdelli que les voies qui m�nent � l'�quit� judiciaire restent encore imp�n�trables, mais je peux lui assurer, sur la foi d'une simple visite sur les lieux, que celles qui m�nent � Kouba sont beaucoup moins prestigieuses que celles qui conduisent au Faubourg Saint-Honor�. La parade de Miloud Brahimi permet de restituer sa gravit�, juridique et politique, � l'affaire Khalifa, de s'opposer � sa banalisation voulue par la cour de Blida pour les besoins de la dissimulation. Son message est clair : on ne juge pas l'affaire Khalifa, affaire d'Etat, comme on jugerait une vulgaire affaire d'abus de biens sociaux. Comment un tel �pisode de corruption, �sport d'�lite�, saurait-il �tre r�ductible � une carte de thalassoth�rapie, une carte de gratuit� de transport ou � une Clio qu'on aurait omis de rendre ? On r�pliquera, avec quelques raisons, que l'histoire est jonch�e de scandales qui, du Watergate � Clearstream, ont impliqu� de hautes personnalit�s, qu'il n'est pas sans risques pour une justice quelle qu'elle soit de juger une affaire d'Etat et que l'Alg�rie ne fait pas exception. Soit. Mais alors �tendons aux accus�s qui peuplent les box de Blida le b�n�fice de la complexit� politique, accordons-leur cette �cl�mence de la raison d'Etat� dont b�n�ficient d�j� des notables corrompus et que visaient Miloud Brahimi par cette pique adress�e � la pr�sidente : �Tous ne sont pas dans la salle.� Puisqu'il est trop t�t pour la p�nitence des puissants pourquoi se d�shonorer � acc�l�rer celle des faibles ? A quel surcro�t de cr�dit s'attend la justice alg�rienne en abattant sur des seconds couteaux une s�v�rit� qu'elle n'a pu opposer � de souverains coupables ? La justice alg�rienne devrait r�sister � la tentation de choisir ses petits poissons dans la mare boueuse de Khalifa : ils n'ont fait qu'y nager dans l'eau trouble. C'est d'ailleurs l'axe de d�fense qu'a choisi l'avocat Brahimi en pr�sentant son client non pas comme le contrevenant coupable d'avoir gaspill� �l'argent du peuple� mais comme le figurant involontaire d'une com�die mafieuse qui le d�passait, la victime d'une trag�die sup�rieure qui n'a pas encore livr� tous ses secrets. En attendant que le temps apporte ses lumi�res, et puisqu'il est trop t�t pour les metteurs en sc�ne, de gr�ce Madame la Pr�sidente, rendez leur libert� aux mis�rables doublures de ce vaudeville qui a trop dur�.
�Au moins nous n'aurons pas menti�

Comme si camoufler le pass� pour cacher le vrai visage de l'affaire Khalifa n'�tait pas assez impardonnable, voil� que le procureur Abdelli, d�cid�ment tr�s suborneur, se mit en t�te de s'inventer un avenir, de nouveaux alli�s et, dans la foul�e, une nouvelle r�putation pour la justice alg�rienne. Il aurait pu se limiter � cette suspecte apologie de la presse pour son �excellente couverture du proc�s�. A voir l'accueil �mu que des confr�res ont r�serv� � ces compliments, le but �tait atteint et on se f�liciterait presque qu'il leur suffit de si bigotes �loges pour s'honorer de leur m�tier. A charge pour des esprits chagrins comme le mien de se demander quelle entorse majeure au devoir de v�rit� nos journalistes ont d� commettre pour s'attirer les louanges d'un personnage aussi dissimulateur. Mais le repr�sentant du minist�re public, emport� par l'�lan de la flagornerie, s'est cru oblig� d'ajouter � la suspecte flatterie, une tendre incantation : �La justice et la presse ou le 4e pouvoir comme il convient de l�appeler se doivent de travailler ensemble pour combattre la corruption.� Il fallait � M. Abdelli de solides dispositions � l'outrecuidance pour proposer l'union du renard et du poulailler. Le concubinage contre nature entre une justice aux ordres et une presse libre. Mais il fallait surtout de s�rieuses vocations pour l'amn�sie pour oublier que tout le comportement de l'appareil judiciaire du procureur Abdelli, depuis quinze ans, a �t� de r�primer les journalistes pour avoir d�nonc�, pr�cis�ment, la corruption ! De quel c�t� �tait la justice quand la presse alg�rienne d�signait les grandes truanderies ? Vous oubliez tout avec aisance, M. le Procureur, vos viols de la libert�, vos injustices, b�illonnements � l'heure de la v�rit�, votre glaive sur la plume, vos arbitraires et votre arrogance, ce qui vous permet, comme M. Jourdain, de vous inventer une nouvelle prose pour une nouvelle vie. Mais, heureusement, nous portons ouvertes, sur notre chair, les cicatrices du souvenir, ce qui nous rappelle que c'est un juge alg�rien, un de vos juges, qui nous a condamn�s dans l'affaire Al- Shorafa ou dans celle des deux tours de Sonatrach, ou dans l'affaire des scanners et dans toutes celles qui ont d�sign� le pillage et la rapine. De quel c�t� �tait la justice quand la presse alg�rienne d�signait les grandes truanderies ? Du c�t� des truands. Et elle a frapp� de leurs mains, bless� de leurs lames, d�capit� de leurs couperets. Elle leur a pr�t� ses juges et ses prisons. Elle a retard� l'av�nement de la v�rit� au prix de la terreur. Nous avions raison pourtant, M. le Procureur. Nous avions raison dans l'affaire Al-Shorafa. Nous avions raison dans l'affaire de Sonatrach, trois ans avant que l'IGF ne d�couvre le pot aux roses. Nous avions raison dans l'affaire de Tkout, quand nous d�crivions les ongles arrach�s et les hommes avilis. Nous avions raison, oui, dans l'affaire Khalifa ! Rappelez-vous, il n'est pas si loin le temps o� l'on se gaussait des chroniques d'In�s Chahinez. �L'appartement du Faubourg Saint-Honor� ? Une invention du Matin.� Voil� que l'invention s'invite dans votre dossier. Nous avions raison mais vos juges n'�taient pas du c�t� de la v�rit�. Les uns nous ont jet�s en prison. Vous savez tout des manipulations des juges Djamel A�douni et Fella G., de ceux qui ont bris� Hafnaoui Ghoul, de ceux qui ont enferm� Bachir Larabi. Vos juges nous ont jet�s en prison, les autres nous ont enferm�s 44 fois dans les ge�les souterraines du tribunal d'Alger dans l'espoir de nous entendre nous d�savouer. Ce fut cela, tout cela, le combat contre la corruption, contre la torture, contre l'injustice. Un des combats de cette terre. Que reste-t-il ? Le privil�ge de l'avenir et celui, immortel, d'une r�ponse d'Albert Camus. Invit� � faire le bilan de son exp�rience � Combat, le journal qu'il dirigeait, l'�crivain avait r�pondu simplement : �Au moins, nous n'aurons pas menti !�
M. B.

PS : La douleur et le courage d'une femme dans un livre vrai et poignant. Cette douleur nous interpelle et nous �claire dans la qu�te de notre propre v�rit�, sur un malheur interminable. Rina Sherman a �crit Le huiti�me mort de Tibhirinede la seule fa�on dont il convenait de l'�crire : avec son c�ur. Elle apporte un t�moignage saisissant sur la mort de son compagnon, le grand reporter Didier Contant qui a enqu�t� sur l'assassinat des moines de Tibhirine en 1996 et qui, pour avoir conclu � la seule responsabilit� du GIA, s'�tait expos� � une violente campagne calomnieuse de la part des partisans du �qui tue qui�. Contant a fini par se suicider. Rina Sherman n'accuse pas. Elle �crit. Et nous devrions d'autant plus la lire que les Editions Lazhari Labter ont eu l'heureuse id�e de l'�diter en Alg�rie. Rina Sherman : �Le huiti�me mort de Tibhirine� (Editions Lazhari Labter Alger et Editions Tatamis Paris).





Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2007/03/01/article.php?sid=50256&cid=2