Actualit�s : SADEK HADJERES AU "SOIR D'ALGERIE"
"R�habiliter ensemble la fonction noble du politique, la construction de solutions de paix et de mieux-�tre, acceptables et vivables pour la majorit�"
Entretien r�alis� par Arezki Metref


Sadek Hadjeres

N� en 1928 � Larba�-Nath- Irathen-(ex Fort National), Alg�rie. Ecole primaire � Berrouaghia, secondaire � M�d�a, Blida et Ben Aknoun. Etudiant de 1946 � 1953 � l'Universit� d'Alger. M�decin praticien et chercheur en sciences m�dicales jusqu�en 1955 puis entre 1963 et 1965. Responsable des SMA (Scouts musulmans alg�riens) dans la Mitidja de 1943 � 1946, militant du PPA en 1944 et responsable de la section universitaire de ce parti en 1948. L�un des trois r�dacteurs, au sein du PPA en 1949, de la plate-forme d�mocratique �L�Alg�rie libre vivra�. Quitte le PPA apr�s la crise dite faussement berb�riste dont il a �t� un des acteurs. Membre du bureau de l�AEMAN (Association des �tudiants musulmans de l�Afrique du Nord) durant plusieurs ann�es et pr�sident en 1950, avant son adh�sion � la base du PCA en 1951. Membre du CC de ce parti en 1952 et du BP en 1955. Directeur de la revue Progr�s en 1953-54 et conseiller g�n�ral d'El Harrach et Est Mitidja en 1955. Pendant la guerre d�ind�pendance, clandestin � partir de d�cembre 1955, condamn� aux travaux forc�s par contumace, responsable national-adjoint de l�organisation arm�e �Combattants de la Lib�ration�. Avec Bachir Hadj Ali en avril-juin 1956, il n�gocie et organise avec les dirigeants du FLN (Abbane et Benkhedda) l�int�gration de cette formation dans l�ALN. Apr�s l�ind�pendance, membre du secr�tariat du PCA (interdit d�s 1962, sous Ben Bella). Coordinateur de son appareil clandestin pendant �l�occultation� officielle du PCA apr�s la Charte socialiste d�Alger (1964). Suite au coup d�Etat de Boumedi�ne (juin 1965), nouvelle clandestinit� pendant 24 ans. Membre de l�ORP (Organisation de la r�sistance populaire) durant les quelques mois de son existence, puis l�un des fondateurs et premier secr�taire du PAGS (Parti de l�avant-garde socialiste) � partir de 1966. Revenu � la vie l�gale en 1989, il se d�gage en 1991 de toute activit� de parti. De 1993 � 1997, entreprend des travaux comme enseignant associ� et doctorant en g�opolitique aupr�s du CRAG (Centre de recherches et d�analyses g�opolitiques � l�Universit� de Paris VIII). Auteur de plusieurs publications notamment dans la revue H�rodote, communications � des journ�es d'�tudes et colloques, articles dans la presse alg�rienne et internationale, ouvrages en pr�paration sur les �volutions du mouvement national et social alg�rien, � commencer par la crise du PPA de 1949.

La certitude du militant de fond
SADEK HADJER�S est pass� du statut de mythe � celui de pestif�r� en l�espace d�un congr�s. Ce m�decin biologiste a d� tr�s t�t sacrifier son travail pour se consacrer enti�rement au Parti communiste alg�rien. En cette ann�e 1952 o� il adh�re au PCA, il a d�j� des ann�es de militantisme derri�re lui. Depuis 1943, il est tour � tour responsable scout, puis leader �tudiant, militant du PPA, se trouvant toujours l� o� les choses vont basculer. En 1949, il fait partie de ce trio irr�dentiste de lyc�ens de Ben Aknoun qui r�dige la plate-forme d�mocratique �L�Alg�rie libre vivra�. Ce texte doublement rebelle (� l�autoritarisme arbitraire du PPA et aux fondements du nationalisme messianique) provoquera ce qui est entr� dans l�histoire sous le nom de crise berb�romarxiste. L�affaire se solde par le d�part de Sadek Hadjer�s, et d�autres militants du PPA, vers le PCA, dont ils renforcent le processus d��alg�rianisation� entam� au milieu des ann�es 1940. Avec, notamment, Bachir Hadj Ali, il m�ne le Parti communiste aux positions ind�pendantistes sans �quivoque. Ils dirigent le parti et les �Combattants de la libert�, groupes de r�sistance communistes. Aux c�t�s de Bachir Hadj Ali, il n�gocie avec Abane Ramdane et Benyoucef Benkhedda l�int�gration des combattants communistes dans l�ALN. Un principe d�j�, qui va servir ult�rieurement : garder l�ind�pendance et la sp�cificit� du Parti communiste, non dissoluble dans le nationalisme, fut-il r�volutionnaire. Pr�server l�autonomie et la sp�cificit� du Parti communiste restera la ligne de conduite de Sadek Hadjer�s. A l�ind�pendance, Sadek Hadjer�s reprend son travail de m�decin mais le sort fait par le pouvoir d�Ahmed Ben Bella au PCA va requ�rir toute son attention. Cette sorte d�attitude ambigu�, quelque chose qui ressemblerait � un ni guerre ni paix, va finir par exercer, � l�int�rieur m�me du PCA, une sorte d�attraction pour la fusion des communistes dans le parti nationaliste. Avec ses camarades, Sadek Hadjer�s r�siste aux pressions r�p�t�es du FLN visant � dissoudre le PCA dont il reste le coordinateur de l�appareil organique clandestin. Celui-ci conserve le lien y compris avec la partie des communistes int�gr�s au FLN pour une illusion de �r�novation� avort�e avant m�me le grand basculement : le coup d�Etat de Boumediene. Des responsables communistes se joignent � des militants de la gauche du FLN (Mohammed Harbi, Hocine Zehouane) qui ont cr��, un peu h�tivement sans doute, l�ORP. Coup de filet : ils sont tous arr�t�s par la s�curit� militaire. D�autres responsables du PCA, comme Larbi Bouhali, Henri Alleg, prennent le chemin de l�exil. Dans la plus profonde clandestinit�, Sadek Hadjer�s se trouve alors le seul membre du secr�tariat du PCA en libert�. �J��tais un peu comme un entonnoir : ce qui restait politiquement et organiquement du PCA passait par moi et une poign�e d�anciens responsables pour continuer � exister�, ditil � propos de cette p�riode. L�ORP, cr�ation spontan�e au coup d�Etat, ne tient pas le choc. Le PCA constitue, en 1966, la base et l�armature essentielle du Parti de l�avant-garde socialiste (PAGS), un parti ill�gal et clandestin qui d�fend une continuit� du mouvement national et social alg�rien. Le PAGS se donnera comme premier secr�taire Sadek Hadjer�s, un dirigeant rod� � la clandestinit�. Les premi�res ann�es Boumediene sont celles d�une grande r�pression, qui n�emp�che pas le PAGS de s�implanter notamment dans les syndicats et � l�universit�. La conjonction de l��volution intrins�que de Boumediene et du contexte international, le rapprochement de l�Alg�rie d�avec le camp socialiste, d�tend quelque peu l�attitude du pouvoir vis-�-vis des communistes clandestins. Le jeu de la s�duction et de la r�pression, dans lequel excellait Boumediene, � l��gard de ses oppositions se poursuivra, y compris au d�but des ann�es 70 lorsque le chef du Conseil de la r�volution affiche clairement ses intentions socialisantes. La r�volution agraire, la gestion des entreprises, la nationalisation des hydrocarbures, la d�mocratisation de l�enseignement sont autant de �t�ches d��dification nationale� � orientation r�volutionnaire qui radicalisent � gauche Boumediene et lui permettent des retrouvailles vigilantes, de part et d�autre, avec le PAGS. Un premier signe de cette d�tente : la lib�ration des communistes arr�t�s en 1965 et la sortie de clandestinit� d�un certain nombre d�autres. Pas Sadek Hadjer�s. Il reste, lui, plong� dans la clandestinit� et les nombreux jeunes qui, par le volontariat et l�UNJA, viendront au PAGS pendant ces ann�esl�, per�oivent ce militant dont le nom �tait connu mais pas le visage, un peu comme une figure mythique. A peine sorti de la clandestinit� de la guerre de Lib�ration, le voil� replong� dans une autre clandestinit�, donnant au PAGS une aura qui atteint son z�nith lors des d�bats sur la Charte nationale de 1976. Mais Boumediene meurt et l�arriv�e de Chadli au pouvoir, perp�tuant un syst�me qui n�oscille jamais dans ses fondements mais seulement dans ses expressions superficielles en fonction des tendances du chef du moment, inaugure un tournant � droite et l�exclusivisme dans les appareils du parti unique gr�ce � l�article 120. Le PAGS, un temps, est dans l�expectative, observant une prudente r�serve d�s le d�but de la d�cennie 1980. Prudence dans l�analyse du Printemps berb�re. M�me prudence dans l�appr�ciation des r�voltes qui secouent l�Alg�rie dans les premi�res ann�es de la d�cennie chaotique. Prudence d�plac�e par l�appel � voter �oui� pour la charte de Chadli de 1986, marquant le tournant � droite. Bien s�r, ce que l�on ne savait pas, c�est que le �oui� accord� par le PAGS � Chadli, au grand d�sarroi de nombre de militants de base, n��tait pas le fruit de l�unanimit� de sa direction mais une fa�on de tordre un consensus dans un sens qui n��tait pas forc�ment le sien. L�infiltration de membres des services jusque dans la direction du PAGS a forc�ment influ� sur ses positions, rendues parfois illisibles. La conjonction d�une r�pression terrible et l�usure de la clandestinit� pousse la direction du PAGS � voter son expatriation. Mais l�exil est une clandestinit� dans la clandestinit� puisque l�hospitalit� des �partis fr�res� des pays socialistes est perturb�e par leurs relations avec le FLN. Ils �cachent� le PAGS pour ne pas heurter la susceptibilit� du FLN. Sadek Hadjer�s a assist� � des congr�s de partis communistes des pays de l�Est clandestinement, � deux rangs de la d�l�gation du FLN qui, elle, avait pignon sur rue. Lorsque Sadek Hadjer�s revient d�exil en 1989, il met fin ainsi � quelque 35 ans de clandestinit� et d�exil cumul�s. Il a la soixantaine et a v�cu plus de la moiti� de sa vie sous de faux noms et � l��tranger. La sortie de clandestinit� du PAGS intervient au moment o� le Mur de Berlin s�effondre et, avec lui, toutes les convictions communistes frivoles. Dans son affrontement contre le capitalisme, le communisme �tait suppos� avoir perdu la bataille et les redditions commencent � prendre l�allure d�adaptations au sens naturel de l�histoire. C�est dans ce contexte, compliqu� par les man�uvres en cours en Alg�rie pour contr�ler le multipartisme de fa�ade que le pouvoir voulait vendre pour une d�mocratie, que le PAGS est �invit� � participer aux �lections municipales de 1990. Pressions, tentatives d�atteinte � l�autonomie du PAGS, man�uvres pour le tracter � des clans de l�arm�e sont autant de fronts sur lesquels Sadek Hadjer�s tente de contrer les responsables d�un appareil politique qu�il conna�t � fond et auquel il a indiscutablement imprim� sa marque, voire un style : une r�flexion en profondeur, la prudence dans l�analyse, la d�termination dans l�action. La tenue du premier congr�s l�gal du PAGS dans le contexte d�une lutte anti-int�griste biais�e a fait que Sadek Hadjer�s ne reconnaissait plus les siens. L�ic�ne du PAGS devient, en quelques heures, la b�te noire. L�enjeu ? L�autonomie du PAGS par rapport aux centres nerveux de la d�cision. En 1991, Sadek Hadjer�s quitte le parti et le pays, inaugurant un nouvel exil qu�il consacre � la r�flexion et � l�analyse. Des g�n�rations de communistes alg�riens ont grandi dans des luttes o� son nom �tait un rep�re. Ce sont ceux-l� qui souhaitaient l�entendre sur certaines questions. Nous n�avons pas pu tout aborder, dans cet entretien. Nous avons essay� de parcourir avec lui 65 ans de militantisme, des �tapes historiquement diff�rentes mais abord�es, comme on va le voir ici, toujours avec une pr�cision dialectique. En le classant dans la cat�gorie des �r�conciliateurs� (entendre : assujettis � l�intregrisme) on fait � Sadek Hadejr�s un mauvais proc�s. Ses positions sont nettement plus complexes que la vulgate de lutte anti-int�griste primaire dont ses contradicteurs veulent faire un h�ro�sme et une lucidit�. En r�alisant cet entretien, on d�couvre le souci de celui qui fut le premier secr�taire du PAGS de comprendre les ph�nom�nes sociaux et politiques plus qu�id�ologiques. Cet h�ro�sme, qui consiste a aller � contre-courant, et la lucidit� de d�fendre des principes contre des faits de pouvoir ont conduit cet homme autrefois tr�s entour� � une certaine solitude mais une solitude qui le m�ne � une r�flexion qu�aucune d�sillusion n�arrive � priver de sa fra�cheur. Une solitude qui a pour autre nom : certitude. Celle d�une vie vou�e � une seule id�e : la justice sociale.
A. M.

1. �TRE COMMUNISTE ALGERIEN AUJOURD'HUI

Les l�gislatives viennent d�avoir lieu dans l�indiff�rence et le scepticisme de la part des �lecteurs. En tant que communiste, quelle est votre opinion sur ce scrutin et, plus g�n�ralement, sur l��tape actuelle que traverse l�Alg�rie?
On peut analyser les r�sultats � deux niveaux. Le premier, celui des constats imm�diats, n�apporte rien de neuf. L�ampleur des abstentions aux scrutins bidon n�a jamais �chapp� � la population et aux observateurs s�rieux. Sauf qu�en 2002 et 2007, les statistiques officielles ont commenc� � le reconna�tre. Il est devenu plus difficile d�afficher les scores triomphalistes comme ceux qui ridiculisent nombre de r�gimes arabes et africains. D�autant que dans les hautes sph�res, les deux principaux courants rivaux � la succession du pouvoir surveillent de pr�s leurs manipulations r�ciproques. A propos de m�urs �lectorales, on ne peut que rendre hommage aux le�ons de transparence que nous ont administr�es nos voisins de Mauritanie et du Mali. Accessoirement, le syst�me des �quotas� va permettre � quelques d�put�s choisis, plus cultiv�s en politique que d�anciens beni-oui-oui, de donner un semblant de vie � une Assembl�e sans pouvoirs r�els. On est loin des besoins criants de l�Alg�rie. Car � un niveau plus profond, reste le vrai probl�me, les citoyens pour exprimer leur col�re et leurs aspirations n�ont eu qu�un seul choix, s�abstenir, r�pondre par le silence et le m�pris. Alors que le but de la lib�ration nationale �tait de rendre la parole � haute voix au peuple pour garantir la libert� et l��galit�. Les �lections en trompe-l��il, � l�image du syst�me, ont marqu� depuis l�ind�pendance deux �tapes aussi n�gatives et humiliantes l�une que l�autre. Apr�s la crise de l��t� 1962, le parti unique a verrouill� la vie politique ; apr�s octobre 1988, la tromperie du pluralisme anti-d�mocratique a aggrav� la crise nationale jusqu�au d�sastre des ann�es 1990. Aucun des deux mod�les n�a apport� ou n�apportera le changement souhait�. Ni le premier dans lequel les d�cideurs au sommet promettent le miracle lorsque l�un des groupes qui se partagent le pouvoir l�aura emport� sur les autres. Ni le second mod�le dans lequel le pluralisme de fa�ade n�a pas lib�r� une volont� populaire m�rie et constructive mais a lib�r� deux h�g�monismes, tous deux revendiquant le monopole des int�r�ts du pays et du peuple : les uns estimant que la d�mocratie est un luxe et un �droit de l�hommisme� et les autres un �koufr� interdit aux musulmans. Enferm� dans le syst�me du parti unique ou du pluralisme falsifi�, tout r�gime est vou� aux faux rem�des, aux artifices de gouvernement qui concernent les seuls enjeux de pouvoir et non la solution des probl�mes � leur racine. Mais pourquoi aux deux �tapes cit�es, la soci�t� et le champ politique n�ont pu imposer leur aspiration � la libert� et � l��galit�, leurs int�r�ts r�els? Parce que, dans leur diversit� sociale, politique et culturelle, ils se sont laiss�s duper et diviser, soit par des jeux et enjeux illusoires de pouvoir, leur dictant des alignements sans principe, soit par des faux clivages de caract�re identitaire, habilement entretenus par les pouvoirs en place. Alors que la grande fracture nationale est celle qui s�est instaur�e entre la soci�t� et ceux qui, d�j� dans les faits ou en projet, confondent gouvernement des affaires publiques et domination de la soci�t�. L�appel du 1er Novembre 1954 invitait � un effort de synth�se entre aspirations sociales et d�mocratiques et le socle historique de civilisation et de culture. Les opposer � des fins suspectes n�a finalement donn� � l�Alg�rie ni pratiques d�mocratiques et sociales, ni l�essor souhaitable de valeurs positives islamiques, arabes, amazighes ou d�ouverture universelle. Les n�o-imp�rialistes peuvent s�en frotter les mains, souhaitons seulement nous r�veiller avant que nos inconsciences fassent de nous un nouvel Irak. Arbitr� par les rapports de force au sommet et s�appuyant sur l�exploitation des faux clivages, le partage des si�ges �lectoraux laisse � leur d�tresse aussi bien les familles de victimes du terrorisme que celles des �disparus�, aussi bien les femmes voil�es que celles sans foulard, aussi bien ceux qui estiment n�cessaire la s�cularisation de la sc�ne politique que ceux qui croient � la vertu magique d�un syst�me purement religieux. Les clivages nocifs reculeront seulement si, � partir de toutes les forces saines du pays, organis�es ou non, qui ont particip� aux �lections ou se sont abstenues, �merge une nouvelle logique politique : autonomie envers les manigances de pouvoirs, unit� d�action pour la solution des probl�mes, �radication des racines objectives de l�oppression et de l�exploitation sociale. Le premier pas est fait depuis longtemps, les citoyens ne croient plus aux faux-semblants. Il leur reste le plus important et le plus difficile : r�habiliter ensemble et dans leur quotidien difficile la fonction noble du politique, la construction de solutions de paix et de mieux-�tre, acceptables et vivables pour la majorit� des nationaux. Dans cette d�marche, tous les courants d�mocratiques et de justice sociale sans exception ont une responsabilit� particuli�re.
L�Alg�rie a �t�, le 11 avril dernier, la cible d�attentats terroristes particuli�rement audacieux. Ces attaques se sont d�roul�es simultan�ment avec des attentats � Casablanca, r�v�lant sans doute qu�ils �taient le fait d�organisations transnationales, voire internationales. Quelle est votre analyse du terrorisme islamiste ?
Bien entendu, comme dans tous les autres cas qu�ont connus dans le pass� l�Alg�rie ou le reste du monde, la condamnation morale et politique du terrorisme comme pratique et comme philosophie s�applique pleinement. Il ne r�sout pas les probl�mes de fond, mais les aggrave de diverses fa�ons, il n�est pas � confondre avec les luttes arm�es pour les justes causes de lib�ration nationale et sociale dont les actions gagnent � rejeter les m�thodes aveugles et r�pugnantes du terrorisme pour s�imposer aux populations. Dans ce cas pr�cis des attentats d�avril dernier � Alger et Casablanca, la jonction de plusieurs facteurs nationaux et internationaux rend l�analyse encore plus complexe que d�habitude, en ouvrant aux analystes plusieurs pistes de r�flexion. Elles appellent, outre les incontournables implications s�curitaires, un redoublement de vigilance aussi bien au plan politique que g�ostrat�gique. Nombre d�analystes ont not� que ces faits se sont d�roul�s dans un contexte de rivalit�s de pouvoir aiguis�es � l�approche des �lections, ainsi qu�� travers la question non encore apais�e de la �r�conciliation nationale�. Ils ont not� la multiplication des manifestations terroristes sur tout un arc de crise dont le �Grand Moyen- Orient� n�est qu�une partie, au moment o� les faucons des USA avancent avec insistance l�id�e d�un commandement unique de l�Otan pour l�Afrique. On doit se rappeler la remarque d�un Brjezinski, qui fut lui-m�me grand connaisseur en provocations US � l��chelle mondiale au cours des d�cennies pr�c�dentes, mais qui, cette fois, a lanc� il y a peu un cri d�alarme, craignant que les bellicistes des USA ne cr�ent des provocations comme pr�texte � des op�rations planifi�es � grande �chelle. On se souvient aussi comment, � la faveur des activit�s terroristes des ann�es 1990, les repr�sentants des grandes compagnies am�ricaines (seuls �trangers � avoir eu z�ro victime du terrorisme) ont pris pied solidement dans le Sud alg�rien. Dans un environnement nouveau aussi troubl� par les insinuations des guerres psychologiques et l�opacit� des op�rations secr�tes, comment s�y retrouver en conformit� avec l�approche d�mocratique et d�int�r�t national ? La meilleure approche vigilante est de s�interroger sur les enjeux cruciaux : A qui profitent les actes criminels ? Comment agir de fa�on autonome pour d�samorcer les nuisances politiques ? Ne pas perdre de vue les rep�res fondamentaux, s�unir et lutter en particulier pour assurer � notre jeunesse des conditions �conomiques, sociales et d�mocratiques nationales capables de pr�venir les causes propices aux d�rives terroristes. D�jouer tout ce qui menace de transformer notre pays en terrain de man�uvres pour des conflits d�envergure mondiale. Et, avec les autres peuples et gouvernants de la r�gion, tout faire pour rester les acteurs de notre propre histoire et non les jouets de vis�es contraires � nos aspirations et int�r�ts communs.
Vos �crits de ces derni�res ann�es indiquent que vous �tes soucieux du contexte international dans l�analyse des bouleversements que conna�t l�Alg�rie. Qu�est-ce qui caract�rise ce contexte et quelles sont ses principales r�percussions en Alg�rie ?
Le grand bouleversement depuis bient�t vingt ans est celui qui a touch� jusqu�aux parties du monde les plus recul�es, avec l�affaissement d�Etats socialistes comme syst�me global mondial. Quel que soit ce qu�on peut en penser, les soixante-dix ann�es de leur premi�re perc�e historique avaient profond�ment influenc� le destin des luttes et des peuples sur tous les continents, y compris l�Alg�rie. On mesure mieux l�importance d�un succ�s apr�s coup, quand il nous est arrach�. Sans m�me entrer en guerre, le poids de l�URSS et de ses alliances avait contribu� � emp�cher � deux reprises (1956 et 1967) les blind�s d�Isra�l d�entrer au Caire. Il avait permis � l�Irak en 1958 de sortir du Pacte de Baghdad et commencer son d�veloppement ind�pendant, puis en 1982 � Arafat et l�OLP de se d�gager la t�te haute du terrible si�ge de Beyrouth. Il a permis � la petite Cuba en octobre 1962 de sauver sa fra�che ind�pendance contre le g�ant US. Mais aujourd�hui, l�imp�rialisme se retrouve au c�ur de Baghdad, le tandem imp�rialo-sioniste a mis beaucoup de r�gimes du monde arabe dans sa poche. Mais le pire de tout est dans le d�faitisme, le suivisme envers la sentence des id�ologues qui d�cr�taient au d�but des ann�es 1990 la fin des Id�ologies et de l�Histoire. Il ne resterait donc qu�� se coucher aux pieds des oppresseurs et des exploiteurs. Des voix retardataires se sont fait entendre chez nous pour endosser la pr�vision de Fukuyama, alors que ce dernier est revenu de ses illusions th�oris�es. Au nom de la grande proph�tie, certains ont proclam� pour l�Alg�rie que les partis d�ob�dience socialiste doivent quitter la sc�ne pour cause d�archa�sme, alors qu�un post-moderne comme Jacques Attali rend hommage � la profondeur et l�actualit� de Marx. Dans la premi�re moiti� des ann�es 1990, dans un long entretien reproduit par un quotidien alg�rois du matin (qui trouvera son intervention g�niale), l�un d�eux pr�conisait pour l�Alg�rie le mod�le de modernit� am�ricaine. S�il �tait adopt�, plusieurs de nos g�n�rations traverseraient certes de grandes souffrances, au bout desquelles le pays se retrouverait enfin au rang de grande puissance mondiale. Un autre, au lendemain des attentats du 11 septembre, exprimait sa joie et poussait l�impudeur jusqu�� flirter avec les th�ses de Huntington parce que, exultait-il, les USA seront d�sormais � nos c�t�s. Un autre id�ologue se r�jouissait dans El Watan de la �victoire� du lib�ralisme et r�cidive dans la pr�face d�un ouvrage en br�lant avec d�lices ce qu�il avait ador� dans ses �erreurs de jeunesse�. La constante chez les philosophes � g�om�trie variable est que leur regard ne d�passe pas les int�r�ts imm�diats des puissants du jour, ils sont sourds aux torrents souterrains en attente de jaillissement sur la sc�ne mondiale. N�est-ce pas pourtant pour eux le temps des d�convenues, depuis que le grand mod�le US appara�t moins fiable et plus malfaisant qu�ils ne l�avaient souhait� ? Vient maintenant pour les peuples, les forces sociales et militantes qui n�ont pas courb� la t�te devant l�orage, le temps des r�flexions s�rieuses et productives sur les �volutions profondes, souvent chaotiques et parfois dramatiques qui expriment les besoins toujours pr�sents de l�humanit�. Les temps nouveaux ne seront pas une reproduction m�canique et lin�aire des confrontations pass�es. Mais � travers risques et dangers, les �volutions prolongeront dans leurs grandes lignes les courants g�opolitiques majeurs qui ont caract�ris� les avanc�es pr�c�dentes des peuples et des forces d��mancipation. Le grand capital financier et imp�rialiste occidental a encore de grandes capacit�s de nuisance mais il n�est pas la solution aux maux de l�humanit� et il est moins que jamais omnipotent face aux r�sistances �mancipatrices. Un premier indice important est la (re)mont�e des trois plus grands pays du monde en population, superficie et ressources naturelles : la Russie, le sous-continent indien et la Chine, eux-m�mes travers�s par d�importants mouvements sociaux (ce sont les trois pays-continents dont L�nine pensait d�j� � son �poque qu�ils auraient une influence majeure sur l��volution mondiale). Le second rep�re pour moi est la dynamique de lib�ration nationale et sociale, aux composantes h�t�rog�nes, mais puissantes, qui parcourt d�immenses �tendues qui vont de l�Indon�sie � l�Am�rique latine et centrale en passant par l�Afrique. Une dynamique en proie � de multiples probl�mes, mais qui a d�j� bris� � plusieurs reprises une partie de l�agressivit� imp�rialiste. Un troisi�me courant enfin, celui de l�altermondialisme et des forums sociaux, est � l��tat naissant, mais d�j� porteur d�une dynamique � la fois sociale, �cologique, culturelle et fond�e sur la d�fense et la promotion des droits humains. Il appelle � la jonction des efforts trans-continentaux y compris ceux de l�Occident capitaliste pour un autre monde possible � travers les actions communes autonomes et les �changes d�mocratiques. La grande question, selon moi, est de construire les convergences et l�unit� d�action des grands courants mondiaux autour de leurs int�r�ts communs. La faiblesse majeure dans cette voie me para�t �tre la jonction insuffisante des deux ressorts principaux qui animent aujourd�hui la r�sistance aux imp�rialismes. L�un s�appuie sur les aspirations de classe et l�autre sur les aspirations de caract�re identitaire (ethno-nationaliste, linguistique, religieux), dont le cas le plus typique aujourd�hui est celui des mouvances islamistes. Les forces d�oppression et d�exploitation ont appris � merveille � diviser ces deux grands courants, entre eux et en leur propre sein. Si ces deux approches surmontaient en leur sein leurs �troitesses et autres d�fauts s�rieux, l�impact et la qualit� de leurs luttes en synergie seraient multipli�s dans le creuset des luttes communes. Si la lutte alg�rienne pour l�ind�pendance fut couronn�e de succ�s, c�est parce que, en plus du contexte r�gional et mondial plus favorable, on a vu se conjuguer dans les faits, comme y appelait la d�claration du 1er Novembre 1954, les aspirations d�mocratiques et sociales et l�attachement aux valeurs positives et traditionnelles islamiques communes aux arabophones et berb�rophones. A l�inverse, on conna�t les d�g�ts qui ont r�sult�, apr�s l�ind�pendance, des oppositions regrettables entre d�mocratie sociale et sensibilit�s identitaires. Cela est valable autant � l��chelle nationale qu�internationale. La grandeur et les graves faiblesses des luttes men�es par les peuples palestinien, irakien et libanais sont une des illustrations de ce que je viens d�avancer.
2. LA PERIODE DU "PARTI UNIQUE" OU LA (RE)NAISSANCE PARADOXALE
Nous ne pouvons pas ne pas aborder, avec vous, le PAGS et sa naissance. Dans quelles circonstances s�est constitu�e l�ORP en 1965 et comment et pourquoi s�est-elle continu�e par la fondation du PAGS en 1966 ?
Votre question englobe trois moments aussi int�ressants les uns que les autres : la situation � la veille du 19 juin 1965 et le coup d�Etat luim�me, puis les quelques semaines du rassemblement �ph�m�re de l�ORP entre juillet et septembre 1965, enfin la cr�ation du PAGS � partir de janvier 1966. Durant ces trois p�riodes, le Parti communiste alg�rien a �t� constamment pr�sent comme parti, avec des formes variables, adapt�es aux diff�rentes situations, que ce soit pour son organisation interne ou pour les modes d�expression et d�activit�s publiques.
Dans quel �tat se trouvait le PCA � l�ind�pendance ?

Le pouvoir de Ben Bella a interdit le PCA d�s novembre 62 (quatre mois � peine apr�s l�ind�pendance). La mesure antid�mocratique �tait sans fondement juridique dans les nouvelles institutions. C�est dans les faits que le PCA, tout comme le quotidien Alger R�publicain, avait d�s le cessez-le-feu marqu� sa pr�sence et ses activit�s unitaires et constructives. Il n�y avait aucune disposition juridique concernant les partis au moment o� les leaders du FLN s�entred�chiraient pour le pouvoir. A partir de l�interdiction officielle, les camarades dirigeants ou militants de base activaient sans afficher formellement le sigle de leur organisation. Mais tout le monde savait qu�il s�agissait de communistes. D�un c�t�, ces activit�s ont �t� relativement tol�r�es parce que le pouvoir s��tait prononc� � cette �poque pour des mesures comme la nationalisation des terres des gros colons que nous soutenions. D�un autre c�t�, les autorit�s mettaient des b�tons dans les roues, r�agissant avec irritation mena�ante � chacune de nos initiatives. Par exemple, elles reprochaient � notre presse d�avoir fait conna�tre la charte de Tripoli, si la Charte �tait leur propri�t� ou comme si les membres du CNRA l�avaient adopt�e seulement pour la forme et sans la destiner � l�application. Les autorit�s protestaient contre le fait que nous ne montrions pas un enthousiasme exag�r� pour des mesures discutables, comme les nationalisations de petits commerces et artisanats ou la suppression des enfants cireurs, mesure symbolique positive mais pr�sent�e par eux comme le sommet du socialisme. Un �ditorialiste du quotidien FLN nous reprochait de parler seulement de �voie non capitaliste� alors que le FLN, lui, allait beaucoup plus loin et se disait le champion du socialisme. Apr�s les coups de force et les pressions contre les syndicats (dont l�odieuse agression de janvier 1963 contre le Congr�s de l�UGTA), le pouvoir ne supportait pas la moindre de nos allusions � la d�mocratisation de la vie associative. Des attaques plus subtiles consistaient, au nom m�me du socialisme, � reprocher au PCA son existence, qu�ils jugeaient inutile ou pr�judiciable � l�union des forces de progr�s. On nous opposait aux communistes cubains qui, eux, participaient � l�unification en cours des forces r�volutionnaires pour un socialisme de classe, sous la direction de Fidel Castro. Nous leur r�pondions : appliquez sans �quivoque des orientations de fond similaires � celles de Cuba, alors nous nous retrouverons organiquement ensemble comme � Cuba. En fin d�cembre 1962 et janvier 1963, j�avais moi-m�me observ� de pr�s l�exp�rience cubaine et constat� � quel point le mouvement d�unification � la base �tait d�mocratique et fortement influenc� par les exigences l�gitimes des travailleurs contre les courants opportunistes et �khobzistes�. Les riches villas et palais �biens vacants� que chez nous les gens du �nidham� se disputaient f�rocement, �taient l�-bas prioritairement attribu�es � l�h�bergement collectif des �tudiants boursiers issus de familles pauvres. La pression sur nous �tait d�autant plus forte que m�me des �l�ments progressistes du FLN s�y associaient. Certains d�entre eux, comme Amar Ouzegane (dans un ouvrage au ton tr�s virulent) �taient persuad�s du r�le messianique et ultrasocialiste du FLN. Ils relayaient des secteurs de la gauche �gyptienne autour de Lotfi Kholli, bien en cour aupr�s de cercles FLN, pour nous inciter fortement � dissoudre le parti en imitant, disaient-ils, une partie des communistes qui l�auraient d�j� fait en Egypte. Il �tait difficile de leur faire admettre que l�action collective d�un parti communiste autonome �tait plus utile pour la cause d�mocratique et sociale que les seules interventions individuelles, � supposer m�me que l�int�gration individuelle des communistes soit souhait�e par la majorit� des dirigeants du FLN. L�exp�rience difficile et complexe du temps de guerre, consistant � combiner dans la clart� le soutien sans r�serve � l�ALN avec le maintien de l�autonomie politique du PCA, nous paraissait encore plus fond�e dans les nouvelles conditions de l�ind�pendance. J�ai constat�, au fil des ann�es, que ces pressions �taient communes, et m�me synchronis�es, � de nombreux dirigeants de r�gimes � parti unique. R�cemment, � l�occasion d�un colloque, j�ai appris d�un camarade �gyptien qui a v�cu les dures prisons nass�riennes pendant plus de dix ans, que leurs ge�liers socialistes �sp�cifiques� leur disaient aussi � la m�me �poque : �pourquoi ne faitesvous pas comme les communistes alg�riens qui ont dissous leur parti ?! Ce sont les m�mes sornettes que r�p�tera plus tard Georges Marchais, secr�taire g�n�ral du PCF qui � partir de 1973 a unilat�ralement rompu durant quinze ans toute relation avec les communistes alg�riens, trait�s par lui de sectaires et inexistants en Alg�rie. Plusieurs dirigeants du PCF racontaient � leurs militants �tonn�s de l�absence des camarades alg�riens aux f�tes de l�Humanit�, que c��tait nous-m�mes qui avions demand� � ne pas y participer pour laisser place au FLN dans lequel nous serions d�j� int�gr�s ! Comment expliquer une telle aberration ? Outre la traditionnelle m�connaissance des probl�mes chez certains dirigeants fran�ais qui pr�tendaient tout savoir sur l�Alg�rie, outre les conceptions laxistes des eurocommunistes, il y avait aussi leur na�vet� devant les fables du virtuose Messa�dia, dirigeant du FLN. Il flattait les dirigeants du PCF et du PCUS en leur racontant qu�il avait �t� membre, dans sa jeunesse, du mouvement des jeunes communistes et que le PAGS n��tait pas un vrai parti communiste comme ceux de France ou de l�URSS. D�autres sources nous pr�cisaient aussi le r�le des affaires commerciales et financi�res dans ces relations interpartis sans principe. Comme l��tait aussi la distribution de liasses de billets d�avion aux repr�sentants de certains partis arabes, pour acheter leur ti�deur envers la r�pression et les exclusives subies par les communistes alg�riens. En v�rit�, pour revenir � la p�riode 1962-1965, la raison de ces pressions et tractations �tait la crainte les dirigeants du pouvoir et du FLN de voir grandir le mouvement de masse d�mocratique et social auquel les communistes appelaient et �uvraient. Au lieu d�encourager cet �lan constructif, de s�y associer y compris pour qu�il ne reste pas le monopole des communistes, ils le d�nigraient. Ils voyaient dans la mont�e d�une base sociale alg�rienne, pourtant sollicit�e et produite par la guerre d�ind�pendance, un signal d�alarme pour les nouvelles couches occupant des postes d�autorit� civils ou militaires. Les populations citadines et rurales observaient depuis le cessez-le-feu leurs comportements pr�dateurs et m�prisants. De fait, plus le mouvement social se dessinait, plus il se faisait au d�triment de l�emprise du FLN, parce que pr�cis�ment un grand nombre des cadres de ce dernier se d�tournaient du mouvement social ou le combattaient. Des centaines d�exemples le montraient chaque jour. Si je parle de cette p�riode avec plus de d�tails, c�est parce que le mauvais d�part a marqu� tr�s n�gativement les �tapes ult�rieures.
Pouvez-vous citer des exemples ?
A Gu�-de-Constantine � cette �poque, je parlais avec les ouvriers d�une briqueterie dont nous soutenions la gr�ve. Elle avait �t� d�clench�e apr�s des mois de vaines d�marches pour mettre fin � un abandon total des pouvoirs publics envers cette entreprise que les travailleurs rest�s sans salaires avaient pourtant gard�e productive. Quand je leur ai sugg�r� de former une d�l�gation aupr�s de la kasma FLN de la localit�, j�ai vu leurs visages se fermer. Un moment plus tard, leur responsable, ancien maquisard, le teint marqu� par la fatigue et les privations, m�a pris � part et me confie d�une voix sourde : �Mon fr�re, crois-moi, je te jure par Dieu, que si ce n�avait pas �t� mes enfants, j�aurais pris mon fusil et aurais commenc� par le chef de la kasma avant de retourner � la montagne.� C��tait dur d�entendre �a un an apr�s l�ind�pendance, un g�chis sans nom. Pourtant, � ce moment, tout �tait encore possible, les gens esp�raient le changement. Dans la m�me localit�, les jeunes s��taient mobilis�s, de leur propre initiative. En sollicitant l�aide de la population, ils ont am�nag� un terrain vague en stade de foot puis se sont engag�s avec d�autres croyants du village dans la construction d�une petite mosqu�e. Les milieux conservateurs et la section du FLN dont ils n�avaient pas attendu la permission (ils savaient que ces �mass�oulin� depuis leurs bureaux, ni ils font eux-m�mes, ni ils ne vous laissent faire) ne voyaient pas �a d�un bon �il. Au lieu de s�y mettre eux aussi, ils ont commenc� � d�nigrer. Et pour cause ! Les initiateurs �taient des jeunes communistes de la cit� La Montagne (El Harrach-Hussein-Dey), avec des enseignants et ouvriers cheminots, y compris europ�ens, dont la s�ur et le beau-fr�re de Maurice Audin. Ces militants n��taient pas une raret� dans le paysage alg�rien, ils refl�taient les espoirs et le moral des centaines de milliers de gens ordinaires, sans engagement partisan ou se reconnaissant encore dans le FLN, qui croyaient aux vertus cr�atrices de l�ind�pendance. Pour la premi�re grande Journ�e de l�arbre, visant au reboisement de l�Arbatache au-dessus du barrage du Hamiz, toute la Mitidja �tait sur les routes. Certaines devenues impraticables aux v�hicules, �taient pendant des heures encombr�es d�une foule multicolore et joyeuse se rendant � pied comme pour une f�te vers les chantiers de montagne. Ils �taient impatients de partager un honneur symbolique, faire pousser les arbres de la renaissance partout o� l��rosion ou le napalm avaient ravag� leur pays. C��tait l��poque o� il paraissait normal et honorable que des gens aient donn� spontan�ment une maison, ou des femmes aient fait don de leurs bijoux pour la solidarit� nationale, d�autres un lopin de terre, un petit atelier ou commerce pour une entreprise dite autog�r�e. Assez rapidement, le d�s�quilibre entre la sensibilit� populaire et l��tat d�esprit profiteur ou dominateur des milieux officiels locaux ou centraux a commenc� � alourdir le climat politique. Le d�calage entre les proclamations et les actes portait un coup � la cr�dibilit� des instances dirigeantes d�j� mises � mal par la crise de l��t� 62. Ce discr�dit �tait concr�tement mesurable en comparaison avec l�accueil favorable que recevaient l�action et les propositions des communistes. Le succ�s de ces actions et initiatives nous donnait �videmment satisfaction mais nous inqui�tait aussi. Nous sentions bien qu�il risquait de provoquer les r�actions r�pressives des cercles qui voyaient les choses beaucoup plus sous l�angle des enjeux de pouvoir que celui de l�int�r�t g�n�ral. Dans les syndicats de travailleurs, malgr� la caporalisation de l�UGTA en janvier 1963, nos camarades jouissaient d�une confiance grandissante et cela exer�ait une pression positive sur les directions opportunistes ou timor�es. Les �tudiants, quant � eux, �lisaient � l�UNEA d�une fa�on totalement d�mocratique des repr�sentants et des ex�cutifs enti�rement compos�s de nos camarades, au point que nous jugions pr�f�rable de faire d�missionner certains d�entre eux pour laisser place � des adh�rents FLN, dans l�espoir de cultiver chez eux l�esprit unitaire, faire reculer les r�flexes h�g�monistes. L��volution d�mocratique chez les �tudiants, amorc�e d�s le d�but des ann�es 1950, s�est accentu�e avec l�ind�pendance. Issus, en effet, pour la plupart de couches pauvres des villes et des campagnes, ils d�fendaient le droit nouvellement acquis � l�enseignement sup�rieur et aux perspectives professionnelles, cependant qu�ils �taient, notamment les jeunes filles, id�ologiquement sensibles � une vision d��mancipation et d��panouissement de l�individu et de la soci�t�. Les lyc�ens et les syndicats de cheminots ou d�industries m�caniques constituaient ensemble des �quipes du �CAREC� qui se rendaient volontairement dans les campagnes pour aider les paysans � r�parer leurs tracteurs et r�soudre nombre de leurs probl�mes. Dans l�enseignement, de nombreux p�dagogues revenus � la libert� apr�s avoir �t� emprisonn�s ou exil�s par les colonialistes pour leur engagement patriotique et communiste, remettaient en marche l��ducation en formant sur le tas et dans l�urgence des centaines de moniteurs et monitrices d�enseignement. Contrairement � des appr�ciations, selon lesquelles ces activit�s militantes jouissaient de la bienveillance des autorit�s en �change de leur � ralliement � au pouvoir de Ben Bella, c�est le contraire qui �tait le plus fr�quent. Ces appr�ciations �taient r�pandues sciemment par certains pour nuire ou par manque d�information pour d�autres. Ainsi, des journalistes ou diplomates �trangers ou des responsables de partis fr�res arabes se bousculaient aupr�s de nos dirigeants ou d� Alger R�publicain dans l�espoir d�intervenir en faveur de leurs probl�mes aupr�s de Ben Bella ou de ministres comme si nous avions porte ouverte chez eux. Or, en r�gle g�n�rale, nos militants se heurtaient � des obstacles allant de l�indiff�rence (pour d�courager) � l�hostilit� calomnieuse, la malveillance et m�me la r�pression insidieuse ou d�clar�e. C�est seulement une fois l�influence des progressistes bien assise dans un secteur, que les autorit�s affichaient envers eux une bienveillance int�ress�e, pour capter leur soutien. Ainsi, Ben Bella puis Boumediene (avant 1965) ont, � partir d�un moment, rivalis� d�attentions envers les dirigeants UNEA ou envers Alger R�publicain, leur d�l�guant aussi des sp�cialistes en manigances, le plus notoire �tant un politicien tortueux bien connu qui jouait avec les deux leaders double jeu (ou m�me triple, en tablant sur des avantages escompt�s pour lui-m�me et sa carri�re). Il arrivait aussi qu�ils (y compris Ben Bella) adressent de grands compliments pour nos activit�s syndicales, dans le seul but de conna�tre l�implantation de nos cadres syndicaux et donner des consignes pour les �liminer des rouages �lectifs ou les corrompre. Nous, nous agissions avec la mentalit� d�un vrai front � �difier de la base vers le sommet pour servir l�int�r�t du pays et des travailleurs ; eux, qui nous consid�raient comme na�fs, sp�culaient en termes de forces � verser � leurs clans pour conserver le pouvoir ou le conqu�rir. Les �pisodes les plus dangereux pour nous �taient paradoxalement ceux o� nous remportions des succ�s plus importants dans l��largissement de la base sociale du parti. Ils �taient per�us par eux comme une menace pour leur pouvoir. Certains exag�raient m�me de fa�on alarmiste nos progr�s comme autant de dangers. Deux exemples significatifs. Le premier a beaucoup et presque directement pes� sur l�interdiction du PCA quelques semaines plus tard. En octobre 1962, lors de la grave tension au bord de la guerre entre les USA et Cuba, le PCA a organis� deux meetings de solidarit� envers Cuba � Alger et Blida. Le succ�s nous a litt�ralement surpris : salles combles jusque dans la rue, enthousiasme des jeunes, nombreux � affluer le lendemain vers nos locaux, croyant que nous recrutions des volontaires pour Cuba. Mais une surprise beaucoup plus grande nous attendit les jours suivants. Le FLN, piqu� par ces succ�s, d�cida lui aussi deux meetings dans les m�mes localit�s. Ce fut un fiasco total. Du coup, le troisi�me meeting que je devais tenir � S�tif sur l�invitation de la jeunesse de cette ville fut purement et simplement interdit. Ce fut le d�but de saisies de fait (non notifi�es ou justifi�es officiellement) de notre hebdomadaire Al-Hourriya. Puis ce fut l�interdiction tandis que Ben Bella se r�pandait en explications de tous c�t�s (notamment vers son �ami� Fidel Castro) pour jurer que la mesure �tait d�ordre g�n�ral et ne rev�tait aucun caract�re anticommuniste. J�ai d�j� dit comment le PCA a n�anmoins poursuivi ses activit�s dans des formes plus souples. Le climat national (premi�res nationalisations des terres, etc.) nous �tait plus favorable ainsi que le climat international (le PCUS, avec Khrouchtchev, s��tait publiquement associ� � notre protestation) La deuxi�me menace sous le pouvoir de Ben Bella contre le PCA a �t� beaucoup plus s�rieuse et fut assum�e sous des pressions ouvertement plus r�actionnaires, derri�re l�ambigu�t� traditionnelle du FLN. Il venait en son Congr�s de 1964 d�adopter la Charte d�Alger qui, en fa�ade se disait socialiste, scientifique et en faveur des masses laborieuses. Alors qu�en novembre 1962, c�est avec un embarras extr�me que Medeghri, ministre de l�Int�rieur avait notifi� l�interdiction du PCA � Larbi Bouhali, premier secr�taire, en 1964, une majorit� de d�l�gu�s au Congr�s FLN ne se g�naient pas pour exhaler leurs objectifs r�actionnaires en exigeant l�interdiction du quotidien Alger R�publicain, au nom de l�unicit� du parti et de la presse nationale. L�objectif �tait �videmment � la fois de bloquer la mont�e du mouvement social � la base � travers la presse et les militants qui en �taient les meilleurs d�fenseurs et de dissuader l�aile du pouvoir ouverte au progr�s social, m�me de fa�on incons�quente, d�aller plus loin. Une fois de plus, Alger R�publicain inqui�tait par ses progr�s continus face � une presse FLN qui n�arrivait pas � d�coller. Ce sera ult�rieurement une des motivations d�une grande partie des conjur�s et auteurs du coup d�Etat du 19 Juin. Ce n��tait pas un probl�me de moyens mat�riels et humains, dont Alger R�publicain �tait cruellement d�muni, mais le fait que les sacrifices et les orientations de ses r�dacteurs et diffuseurs r�pondaient aux aspirations de la soci�t�, m�me si le quotidien, comme l�affirmait sa devise, �tait contraint de ne pas dire �toute la v�rit�.
En qualit� de secr�taire du PAGS, vous avez envoy� en 1968 un message � Boumediene. Pourquoi et qu'y disiez-vous?
La lettre date du 14 septembre 1968. Nous l�avons diffus�e trois ou quatre mois plus tard sans y changer une virgule, apr�s que Boumediene en ait fait �tat de fa�on un peu ambigu� dans un discours au cin�ma Atlas, meeting d�ailleurs assez chahut� par l�assistance jeune et �tudiante qui scandait des mots d�ordre du PAGS. La lettre fut r�dig�e et envoy�e � une p�riode o� une vague d�arrestations (suivies de tortures de nombreux camarades) avait pass� au peigne fin tout l�Alg�rois dans l�espoir de d�capiter le parti. Je pense republier cette lettre un de ces jours parce qu�elle �clairerait pour les jeunes g�n�rations la question que vous posez. Le but �tait de clarifier notre position par rapport � un pouvoir qui disait se r�clamer du socialisme et dont les pratiques s�en prenaient avec une particuli�re brutalit� aux militants politiques, syndicaux et associatifs qui d�fendaient cette option. En fait, il �tait perceptible � tout observateur que le pouvoir �tait travers� de courants contradictoires. Une bataille sourde s�y menait autour de certaines mesures d�int�r�t national et social et c�est sur ce terrain que nous nous placions, au-del� de notre vive d�nonciation de la r�pression d�cha�n�e. Nous n�avions pas � rentrer dans les querelles internes du pouvoir mais nous nous battions sur tous les terrains pour que la r�sultante globale des orientations du pouvoir se d�gage davantage des pressions r�actionnaires. La lettre abordait les probl�mes dans leur ensemble, sans cacher notre volont� d��difier le PAGS communiste de fa�on autonome, dans la perspective d�un socialisme tel que nous le concevions. J�expliquais que cette pr�occupation allait dans le sens de l�int�r�t national. Elle n��tait pas contradictoire avec le souci unitaire d��difier un front uni, tourn� vers l��dification, que nous ne confondions pas, comme nous le disions toujours, avec un parti unique. Nous expliquions ces raisons de fond, sans double langage. La lettre n��tait pas seulement � usage externe, elle a longtemps servi de document d��ducation et de discussion pour les cadres et la base militante. Deux points forts me sont rest�s en m�moire. Le premier pr�venait que si les instances r�pressives pouvaient certes remporter des succ�s policiers, cet avantage technique ne serait qu�un d�sastre politique pour le pays et pour les objectifs que Boumediene disait publiquement d�fendre. Je soulignais aussi que si le pouvoir venait � s�engager sur des terrains que nous jugions b�n�fiques pour le pays tels que les nationalisations des grands secteurs �conomiques et la restructuration, la r�forme agraire dans les campagnes, il nous trouverait � ses c�t�s pour les d�fendre. A ses c�t�s et non � sa remorque. Que de choses n�a-t-on racont�es sur le �ralliement� des communistes � Boumediene. Qui donc s�est ralli� aux orientations de l�autre ? C�est trois ans plus tard, � partir de 1971, que des mesures effectives d�envergure ont commenc� � �tre prises dans ce sens. Nous les avons soutenues, par principe, parce que c��taient nos orientations, et non pour respecter des promesses, alors que le FLN freinait des quatre fers contre ces mesures. Dans la lettre � Boumediene, nous ne demandions rien pour nous-m�mes, sinon le respect des droits et aspirations, d� � tous les Alg�riens, reconnus par surcro�t dans les textes officiels de la guerre de Lib�ration ou d�apr�s l�ind�pendance. La lettre �tait tout le contraire d�une offre de services : ni marchandages ni pourparlers auxquels se livraient tant d�opposants dans leurs va-et-vient entre r�bellions � grands fracas suivies de retours discrets au bercail. Nos principes expos�s au grand jour, nous les avons d�fendus jusqu�� ce qu�ils aient fait leur chemin puis se concr�tisent � l�encontre des forces hostiles.
On dit que le PAGS avait pass� un contrat avec Boumediene : en �change de votre �soutien critique�, il vous tol�rerait. Qu'en est-il r�ellement?
Il n�y a jamais eu quelque chose qui ressemble � un contrat ou un quelconque marchandage. Parlons de faits politiques et non de rumeurs int�ress�es. Pourquoi ferions-nous des tractations ? Nous n�avions nul besoin d�un accord du pouvoir pour d�finir et appliquer en toute autonomie une politique � la fois de principe et r�aliste, fond�e sur des int�r�ts de classe et nationaux clairement assum�s. Quand on a choisi la r�sistance ill�gale et clandestine, c��tait justement pour d�fendre notre ind�pendance d�opinion et de d�cision tant qu�elles ne pouvaient pas s�exprimer d�une autre fa�on. Ce serait du masochisme ou de la schizophr�nie d�endurer pendant de longues ann�es tous les inconv�nients d�une clandestinit� et en m�me temps mendier la tol�rance. Nous revendiquions un droit et non la complaisance ou la r�compense, nous appelions � la raison pour l�action dans l�int�r�t commun national. La �tol�rance� ou non d�pend des efforts qu�on d�ploie pour la faire respecter et aussi d�un minimum de convergences ou non des positions d�fendues de part et d�autre. La formule de �soutien critique� qu�on retrouve souvent chez les commentateurs est en elle-m�me ambigu�, rigide, comme si elle d�finissait un moule pour toutes les situations et probl�mes. Nous avons toujours appel� militants et citoyens � juger aux actes (� mon sens, c�est l�ABC d�une position marxiste). Ni nous supplions, ni ne voulons imposer : nous cherchons � formuler nos appels � l�action unie de fa�on r�aliste, en �valuant comment les positions des autres formations et milieux (officiels ou non, � la base ou au sommet) convergent ou divergent avec les n�tres. Au cas par cas. Par exemple, l�aspect soutien peut l�emporter, pour la nationalisation des hydrocarbures. Par contre, notre critique ou opposition se dresse contre des actes r�pressifs ou limitant les libert�s syndicales. On peut certes se tromper sur tel ou tel cas, dans un sens opportuniste ou sectaire, mais la d�marche est tout le contraire de marchandages. La �tol�rance� limit�e que nous avons impos�e pour nos activit�s n�a pas �t� un cadeau des pouvoirs, ce n�est pas du �donnant, donnant� de petite �boulitik�. C�est le r�sultat d��volutions dans les rapports de force et les opinions, nous la faisions respecter aussi par le caract�re responsable et non d�magogique que nous cherchions � donner � nos initiatives et actions. Ce n��tait pas pour les beaux yeux de l�administration que nos camarades se mobilisaient dans les volontariats � la campagne, aux c�t�s des paysans, partageant leurs dures conditions de vie, s�exposant aux r�pressions ouvertes ou insidieuses des services et milieux hostiles. N�anmoins, le jugement au cas par cas n�exclut pas une appr�ciation globale sur les positions d�ensemble et les �volutions du r�gime : n�gative envers le coup d�Etat et ses suites, plus positive quand il s�est rapproch� des besoins sociaux, nettement n�gative quand les orientations de Chadli ont commenc� franchement � d�truire ou r�primer des acquis sociaux, d�mocratiques ou nationaux. Ce n�est pas une pr�f�rence ou une r�pulsion pour des personnes ou des clans, il s�agit d�encourager ou de dissuader des positionnements en fonction de crit�res bien clairs. Deux exemples : En 1974, nous avons � notre propre et seule initiative d�cid� de faire revenir � la vie l�gale, quels qu�en soient les risques, un peu moins d�une dizaine de nos cadres ou militants de base. Ils �taient �puis�s par neuf ann�es de clandestinit�, avec des probl�mes familiaux ou de sant� s�rieux alors qu�ils pouvaient �uvrer plus utilement au grand jour. Le climat y �tait plus favorable car la pression des opinions nationale et internationale, l��volution du pouvoir apr�s les nationalisations et la r�forme agraire, etc, avaient fait reculer les courants les plus r�pressifs. Soucieux d��viter des complications et provocations envers nos camarades (qui ont d�ailleurs eu lieu, pour Mustapha Ka�d, par exemple), nous en avons inform� de notre d�cision Boumediene par l�interm�diaire d�un parent de Benzine. Il a fait savoir par le m�me canal qu�il n�y voyait pas d�emp�chement, y compris pour la sortie de tous les clandestins, dont Sadek, mais qu�il ne sera nullement question de remettre en cause le �principe� du parti unique. Nous avons maintenu notre d�cision de sortie sans accepter la condition quel qu�en soit le risque pour les camarades sortants. Et pour qu�il n�y ait aucune �quivoque, nous avons trouv� la fa�on de souligner que pour nous aussi, il n��tait nullement question de renoncer au droit de notre parti � son existence, � la libert� d�expression et d�organisation. Pour le confirmer, plusieurs camarades dont moi-m�me, qui avions autant de probl�mes de sant� et familiaux que les autres, sommes rest�s quinze ans suppl�mentaires dans la clandestinit�. Je dis bien quinze, en plus des neuf ann�es �coul�es, jusqu�� 1989. Au m�me moment, une gr�ve se d�roulait � la SNS Emballages M�talliques (ex-Carnot) � Gu�-de- Constantine, dirig�e par �Ramdane�, un camarade courageux et aim� des ouvriers. Des repr�sentants de la S�curit� militaire se sont rendus chez Bachir Hadj Ali (revenu, depuis quelque temps, des prisons et r�sidences surveill�es) pour lui faire comprendre que les autorit�s souhaitaient que nous intervenions pour assouplir la position des gr�vistes. L�allusion �tait claire au probl�me en suspens de nos camarades clandestins non encore sortis � la l�galit�. Pour nous, la gr�ve �tait juste. Elle paraissait si importante dans le climat politique du moment que, pour marquer notre refus de tout marchandage ou compromission, et contrairement aux habitudes de retenue de notre parti en pareil cas (pour ne pas g�ner les gr�vistes durant leur action) nous avons diffus� sp�cialement un tract appelant � poursuivre et intensifier notre solidarit� envers cette gr�ve, en expliquant les raisons de fond sociales et nationales de ce soutien. La gr�ve s�est poursuivie plus forte que jamais, les travailleurs et nous-m�mes n�avons pas marchand� une fausse �paix sociale�! Voil� le genre de faits que les rumeurs ne rapportent pas, profitant de ce que depuis des d�cennies nous sommes priv�s des moyens minima d�informer nos concitoyens. Quelles sont les origines et les motivations des �rumeurs� ? A c�t� de ceux qui ramassent et colportent passivement tout ce qui r�jouit leur temp�rament ou leurs opinions, plusieurs sortes de milieux fabriquent ou diffusent des rumeurs avec des intentions. Les d�clarations et gestes des dirigeants du PCF qui chantaient les louanges du FLN et voulaient justifier leur capitulation int�ress�e devant ce syst�me, nous ont port� un tort consid�rable. En effet, de nombreux compatriotes nous attribuaient les m�mes positions. Etant donn� nos traditions de solidarit� internationaliste et les pr�jug�s et pratiques d�pass�es des ann�es d��dification du PCA de 1936 � 1946, ils n�imaginaient pas que les communistes alg�riens pouvaient avoir des positions diff�rentes ou m�me contraires � celles du PCF. D�autres partis communistes au pouvoir, qui comprenaient mieux nos positions, quand ils faisaient l��loge de la coop�ration et de l�amiti� d�Etat � Etat avec l�Alg�rie, laissaient planer la confusion du fait que leurs d�clarations ne mentionnaient pas les relations entre nos partis, tenues � la discr�tion alors que les relations de leurs partis avec le FLN �taient publiques. Autre chose : en Alg�rie m�me, il y avait les milieux de la police politique ou influenc�s par elle qui utilisaient ces rumeurs de complicit� ou connivence avec Boumediene pour faciliter leurs propres pratiques. Des responsables administratifs ou �conomiques, voulant faire passer leurs orientations antisociales ou arbitraires en se pr�tendant myst�rieusement proches du PAGS, les pr�sentaient comme un besoin de discipline souhait�e par la direction du parti au nom de l��dification nationale. D�autres encore, infiltr�s ou non dans les rouages du PAGS, utilisaient la confusion pour recruter � leurs services policiers des militants ou sympathisants du parti au nom d�int�r�ts communs et d�efficacit� dans la lutte anti-imp�rialiste, etc. Un ancien du volontariat des jeunes m�a dit que, durant leurs campagnes, un de ces �responsables� se pr�valait d�un march� conclu entre Boumediene et le PAGS, pour lui expliquer la consigne du parti (tout � fait justifi�e) de ne pas recruter de paysans au PAGS en se pr�valant du titre et des activit�s du volontariat. Quand je me suis renseign� quel �tait ce responsable, il s�est av�r� �tre un agent av�r� des services. Ayant remarqu� � travers des rapports d�activit� ses comportements suspects, je l�avais signal� � plusieurs reprises durant les ann�es de clandestinit� comme un policier potentiel qu�il �tait pr�f�rable de mettre sur des voies de garage. La na�vet� ou des complicit�s � divers �chelons ont fait que j�ai retrouv� plusieurs fois sa trace � des postes de responsabilit� de plus en plus �lev�s, y compris � un �chelon de direction r�gionale lors du retour � la vie l�gale. Lors de la crise de 1990-91, il a �t� de ceux qui, dans la presse publique, ont orchestr� avec z�le la destruction du PAGS. Terminons cette s�rie des confusions instaur�es dans l�opinion, par la candeur inconsciente avec laquelle des responsables ou personnalit�s du PAGS s�affichaient publiquement, malgr� nos remarques r�p�t�es, avec des agents notoires des services de s�curit� charg�s de coller � eux et � leur entourage.
Comment a-t-on ressenti au PAGS la disparition de Boumediene ?
Comme une lourde perte pour le pays, en d�pit des critiques que nous adressions au style autoritaire de son r�gime, pr�judiciable m�me aux avanc�es qu�il avait amorc�es. Le PAGS �tait rest� interdit et plusieurs d�entre nous toujours clandestins. Sentimentalement, nous avons �t� �mus par la vague des r�actions d�affection envers Boumediene, elles exprimaient spontan�ment la peine et les interrogations des simples gens. Malgr� les m�contentements, ils lui semblaient reconnaissants de leur avoir donn� des �l�ments de dignit� ou des raisons confuses d�espoir. C�est politiquement que nous �tions inquiets pour les suites d�une perte survenue � un moment critique (dans l�opinion, il y a eu des interrogations et rumeurs sur les causes de sa maladie). Dans des confidences � ses proches lors de ses derniers d�placements officiels, Boumediene paraissait sceptique sur la r�novation d�un parti FLN � court terme (pas moins de quinze ans, estimait-il). En m�me temps, � propos du congr�s de ce parti qui pointait � un horizon non encore pr�cis�, des intentions de changements lui �taient pr�t�es dans le sens d�un assouplissement et contr�le du r�gime. Ces rumeurs semblaient confort�es par une certaine d�mocratisation et une plus grande libert� d�action acquises dans le fonctionnement des organisations de masse, depuis que Messa�dia, le caporalisateur en chef avait �t� �cart� de la direction du FLN et remplac� par Yahiaoui. Ce dernier apparaissait comme un populiste aux contours flous affichant des opinions de progr�s. Au plan �conomique, des d�clarations, notamment de Bela�d Abdesselam semblaient annoncer un bilan autocritique et une r�vision positive des s�rieuses tares que le PAGS critiquait depuis longtemps, comme le gigantisme et des fuites en avant fortement inspir�es par les monopoles occidentaux qui y trouvaient leur compte ; ainsi que le d�laissement du social et l�hostilit� au mouvement syndical dont il poursuivait avec acharnement la domestication. Ces intentions de r�formes auraient-elles eu quelque avenir si Boumediene �tait rest� en vie ? La question se posait du fait des difficult�s et dangers de l�environnement international et des oppositions ouvertes ou plus sourdes �manant de l�ext�rieur et de l�int�rieur du pouvoir visant simultan�ment aussi bien les pratiques autoritaires que les vell�it�s timides de d�mocratisation. Nos craintes n�ont pas tard� � se confirmer.
3. LES ANNEES CHADLI, DEBUT DE LA FIN ?
Chadli a vite montr� le glissement � droite ?
Les premi�res mesures de Chadli montraient une accentuation des tendances n�gatives qui marquaient d�j� pr�c�demment le r�gime, mais opprim�s et des exploit�s. La modernit�, la mise � jour, pour les communistes, ne consiste pas � inventer des projets qui mettent les peuples et les travailleurs � la remorque des exploiteurs. Elle consiste � inventorier en quoi et comment l�exploitation capitaliste cherche � se perp�tuer, en quoi et comment les approches bureaucratiques et h�g�monistes, qui ne sont pas le monopole des syst�mes capitalistes, peuvent aussi pervertir, freiner et m�me an�antir temporairement et localement les approches progressistes et communistes. Les probl�mes de gestion et des m�canismes du pouvoir ont �t� une question relativement neuve pour les communistes dans la p�riode ouverte avec succ�s par la r�volution d�octobre 1917. L�exp�rience acquise depuis confirme qu�elle doit �tre approfondie dans le sens d�mocratique qui est la raison d��tre de ce mouvement. L�organisation est-elle et doit-elle rester un instrument au service du mouvement social ou bien se transforme-t-elle fatalement en appareil de contr�le et de domination sur le mouvement social ? Il �tait grand temps pour que les m�canismes d�interactions entre la base sociale et les organisations militantes ou institutionnelles soient �tudi�s et ma�tris�s ; pour que le communisme soit, comme le concevait Marx, r�ellement le mouvement social de l�Histoire et ne se pervertisse pas, comme dans les syst�mes exploiteurs o� ces d�rives sont structurelles, en ph�nom�nes qui se sont retourn�s contre les int�r�ts de ce mouvement. Prenons le simple exemple du centralisme d�mocratique. Il est pleinement valable tant qu�il implique � la fois le d�bat r�el et la discipline dans l�application des orientations majoritaires librement adopt�es. La d�ficience � corriger est que les points de vue, y compris ceux non adopt�s, doivent �tre port�s � la connaissance de toute la base militante. C�est la condition majeure pour que les organisations s�am�liorent au fur et � mesure des exp�riences, � la lumi�re des succ�s ou �checs rencontr�s.
Vous restez donc communiste ?
Dans �rester�, il y a un risque de comprendre ce choix comme un attachement conservateur � tout ce qui a �t� dit, fait et pens� au nom du communisme. Mais continuer, ce n�est pas non plus faire n�importe quoi au nom de l�innovation, c'est-�-dire rejeter ce qu�il y a eu de meilleur dans les combats et les r�alisations pass�es. Ce n�est pas non plus forc�ment ou seulement endosser une �tiquette, un parti, un titre, exercer une responsabilit� op�rationnelle ou organique. Bien entendu, on ne peut rien faire sans organisation, mais tout d�pend si le type et le fonctionnement de l�organisation se conforment ou non aux orientations d�mocratiques et sociales proclam�es. Mon engagement de fond demeure, m�me s�il ne s�identifie pas � une int�gration organique quelconque. J�annon�ais clairement ce souhait plusieurs ann�es avant le retour � la l�galit� � des camarades qui consid�raient avec int�r�t ce projet personnel de reconversion militante sous d�autres formes. Je l�ai confirm� par �crit plus d�un mois avant le Congr�s et m�y tiendrai, en fid�lit� � l�engagement communiste.
Avez-vous des fiert�s particuli�res ou des regrets en particulier ?
Une fiert� m�a toujours aid� � vivre les pires moments. Celle de ne jamais avoir accept� l�injustice, l�arbitraire. D��tre rest� sensible au sort de mes semblables. De pouvoir regarder en face mes compatriotes ou camarades et garder un sourire amical pour ceux qui n�ont pu �viter d��tre abus�s ou contraints � des renoncements momentan�s ou durables. Je me dis et le dis � ceux avec qui nous avons partag� les �preuves : il ne sert � rien de larmoyer face aux revers, �a n�avancera pas d�un centim�tre la cause et les esp�rances qui sont encore tapies en nous. Ce qui compte : s�instruire de nos exp�riences, en discuter et en instruire ceux qui n�en ont pas eu suffisamment. J�en ressens la pressante importance, car le trajet perturb� du mouvement social et communiste en Alg�rie n�a pas permis � beaucoup de nos devanciers de laisser � ma propre g�n�ration les riches enseignements de leurs luttes. Quant aux regrets, il n�en manque pas. L�important est qu�ils ne soient pas paralysants. D�abord, et c�est le cas de tous les humains honn�tes, que les choses souhait�es n�aient pas avanc� plus vite, dans le monde et chez nous. Personnellement, il m�a co�t� beaucoup aussi de ne pas avoir men� plus loin les travaux scientifiques prometteurs de ma jeunesse. Mais la lutte sociale, avec ses satisfactions et ses d�boires, est intellectuellement tout aussi passionnante et moralement r�confortante. Un regret m�a tortur� depuis que mon engagement social commenc� � l��ge de quinze ans est devenu plus pouss� du fait des circonstances successives et a aval� �norm�ment de ce � quoi aspire tout �tre humain. Je n�ai pas pu ou su donner aux �tres chers que j�ai aim�s et � mes parents, � mes fr�res, s�urs et enfants, autant d�affection, de temps et d�attention, y compris aux moments cruciaux o� ils auraient eu le plus besoin de moi. Une chose m�aide, non pas � att�nuer ces regrets mais � vivre � c�t� d�eux. L�id�e que j�ai contribu�, � ma mesure, � des avanc�es qui ne sont pas facilement perceptibles � l��chelle d�une seule ou deux g�n�ration mais qui, au-del� de nos impatiences l�gitimes, sont objectivement ind�niables. Depuis les ann�es quarante et � travers dangers, trag�dies et reculs temporaires, la spirale des droits humains au mieux-�tre, � la s�curit�, � la paix, � la libert�, � la dignit�, n�a cess� d��tre ascendante. M�me les r�actionnaires n�osent plus se vanter de leurs m�faits et se croient oblig�s de parler un autre langage. C�est le moment de ne pas s�endormir sur ce constat, de garder intacte une saine impatience comme nos grands-parents chez qui dans la pire nuit coloniale la flamme de l�espoir ne s�est jamais �teinte. Ils ont eu raison contre les �r�alistes�, les d�sesp�r�s ou les timor�s.
A. M.

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