Actualit�s : Mendicit� : l�ultime moyen de survie

Ultime �chappatoire, pour certains citoyens exc�d�s par la mis�re de la vie quotidienne, le ch�mage et la pr�carit�, la mendicit� demeure le seul moyen de survie. Acte d�sesp�r�, mani�re de vivre, moyen de doubler ses gains, peu importe la d�finition, la mendicit� demeure, pour ces passants, le reflet de la mis�re sociale qui s�est empar�e du pays..
Wassila Z. - Alger (Le Soir) - A l�avant-veille de l�A�d, la capitale �tait quasiment d�sert�e par ses mendiants. Seuls quelques-uns longeaient les rues d�Alger. Simple co�ncidence, peur d��ventuels attentats ou changements de strat�gie ? Car il faut savoir que �les plus professionnels sont organis�s ! Ceux-l� durant ces jours, ils changent carr�ment d�endroit. Alors c�est vers les abattoirs, les points de vente des moutons, les banques, et certains quartiers hupp�s qu�ils se dirigeront. Les �consommateurs� s�affairent � effectuer leurs derniers achats. Le march� Ali-Mellah a connu une grande affluence en cette matin�e de lundi. Au milieu de ce d�cor o� se sont entrem�l�s consommateurs �app�t�s� par des �tals et des magasins, des mains se tendent pour demander l�aum�ne. En ces jours saints, difficile de rester insensible � ce genre de sc�nes. A l�entr�e du march� des fruits et l�gumes, une grande benne � ordures, destin�e � accueillir les d�chets des marchands, sert � nourrir des hommes et des femmes d�munis. Des hommes et des femmes qui viennent disputer cette nourriture aux chats et aux chiens errants. Horrifi�s, nous nous rapprochons de cette �d�charge�. Timidement, nous apostrophons une vieille dame, pench�e, le corps presque en dedans de cette immense benne. Le visage voil� d�un �a�djar� et la t�te couverte d�un foulard �pais et v�tue d�un gros gilet, elle fouillait les ordures. En se retournant vers nous, nous p�mes enfin voir un visage aussi terne que la djellaba �sale� qu�elle portait. A nos interrogations, elle a une r�ponse br�ve : �Rani n�hawas �al khobza�. Une r�ponse qui r�sume clairement l��tat de d�tresse dans lequel elle se trouve. La �khobza� dont elle parlait est �de ramasser d�chets organiques et abats de volaille dont les marchands se sont d�barrass�s�. A quoi serviront-ils, nous sommes-nous interrog�s. A ce moment-l�, une autre dame s�approche. Presque dans un unique �cho, elles nous expliqu�rent : �Nous ramassons tous ces d�chets et nous les revendons apr�s.� En fait, juste en face de cette benne, elles ont improvis�, chacune � part, des �tals : un cageot recouvert et un petit tabouret. Elles exposent leur marchandise aux clients. Il s�agit, selon elles, �de clients asiatiques et de personnes poss�dant chiens et chats�. Honteusement, elles expliquent : �C�est la mis�re qui nous a men�es � cela. �a nous permet de nous procurer une petite somme d�argent, de quoi couvrir les frais journaliers. Juste de quoi acheter du lait et du pain�. Et d�ajouter, pour se justifier : �Si nous avions une rente suffisante, nous ne serions pas l�. �a nous �viterait de tendre la main.� Elles sont pourtant au seuil de la mendicit�. Ce seuil, nous l�avons franchi, hier, en nous rapprochant des qu�mandeurs. Ils sont des dizaines � squatter, r�guli�rement, les trottoirs de la capitale. Des personnes �g�es, handicap�es, des femmes et enfants en bas �ge. Chacun � sa mani�re, ils apostrophent les passants, les agressant, presque. Et face � ces mendiants, un amalgame de sentiments surgit chez les passants : compassion, irritation, exasp�ration, col�re, r�volte. De la r�volte contre tout un syst�me. A travers les t�moignages, nous apprenons � faire la diff�rence entre mis�reux et traqueurs de gains. Pour la plupart des femmes, �c�est subvenir aux besoins d�une famille sans ressources, payer les factures de l��lectricit� apr�s plusieurs coupures, ou tout simplement, pour se nourrir� qui les pousse � tendre la main. Oui juste pour se nourrir. Ces personnes- l� ont m�me honte de tendre la main. Elles sont accroupies dans un coin de rue, � attendre un geste charitable, � l�image d�el hadja. Assise sereinement sur un trottoir au boulevard Amirouche, le visage frip�, les mains crois�es sur ses genoux, elle contemple les passants. On saura, en l�abordant, qu� elle est �g�e de 71 ans. Deux choses nous �tonnent : sa propret� et sa parfaite ma�trise de la langue fran�aise. Encore une fois, c�est la pr�carit� et la s�gr�gation qui ont pouss� cette personne � qu�mander ou plut�t � attendre l�aum�ne. El hadja ne la demande jamais. Fi�re, elle nous explique : �Je ne qu�mande pas. Mais les gens sont g�n�reux. Avec la chert� de la vie, il faut les comprendre tous ces gens-l�. C�est trop dur de tendre la main.� Puis un peu contrari�e, elle r�torque : �Certains mendiants agressent les gens. Moi, je pr�f�re rester dans mon coin. D�ailleurs, regardez-moi, j��vite de rester � c�t� d�eux� en pointant du doigt deux mendiants qui se trouvaient � quelques m�tres d�elle. En discutant avec elle, on a compris qu�elle �tait sans enfants et sans foyer. �Je fais partie de ces familles dont les maisons ont �t� incendi�es en 1995 et mon fils unique a �t� tu�. Allez savoir si c�est par les hordes terroristes, ou par les autres��. En tout cas, elle semblait r�sign�e � cette vie. �Je gagne le n�cessaire pour prendre ma douche le soir, prendre un repas chaud et aller � la pri�re. Ensuite, je cherche un couloir dans cette �cit�-dortoir� pour passer la nuit�. Elle avoue : �J�arrive m�me � faire des �conomies. Il faut penser au m�decin et aux m�dicaments �, lancera-t-elle. Vous seriez mieux dans un hospice, non ? Elle nous r�pond : �Jamais ! Aller dans une maison de vieillesse pour rester enferm�e ? Je pr�f�re cet endroit, au moins je regarde les passants. Et en �conomisant, je me permets m�me des sorties, j�ai �t� dans une maison de vieillesse, c�est la malvie�. Un peu furieuse, cette brave femme aborde le cas de ces jeunes femmes qui utilisent leurs enfants ou ceux des autres pour faire la manche. Ce sont les adeptes du gain facile. Des professionnels. �Il faut s�vir contre cette cat�gorie- l�. Ils privent leurs enfants des �tudes. Qui va �tudier alors ?� Avec beaucoup d�intelligence, elle continue en s�insurgeant : �Si tout le monde se met � mendier, qui va gouverner ce pays ? Les mendiants ?� Malheureusement, ce miroir qu�est la mendicit� continuera � renvoyer l�image de l��chec de toute une politique sociale. En sillonnant les quartiers populaires et populeux d�Alger, on comprendra que la mendicit� est beaucoup plus un acte d�sesp�r� pour une survie. Parmi tous ces qu�mandeurs, d�aucuns n�ont �voqu� la f�te du sacrifice. La f�te est destin�e aux vivants pas aux survivants�
W. Z.

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