Actualit�s : Contribution
RADIO
Femmes, taisez-vous !
Par Nassera Merah (*)


Comment s�est d�roul�e cette �mission ? L�animatrice N. annonce, en introduction que, pour des pr�textes superflus, le nombre de divorces augmentait. Parfois, pour un caf� mal dos�. Elle ne d�plore pas la violence d�mesur�e de la r�action du mari violent. Par contre, elle regrette que les parents n��duquent plus, correctement, comme avant, leurs filles. Une heure durant, elle n�a cess� de se lamenter sur les parents qui �coutent les plaintes de leurs filles et parfois les soutiennent ! Elle entrecoupait les insultes, dont elle nous abreuvait, de soupirs sur : �Ya hasrah ya z�man.�

Les appels des auditeurs �taient des occasions, pour elle, de donner des le�ons d��ducation aux parents, des cours d�humiliation aux femmes et des encouragements � la violence aux hommes.
Le d�bat aurait pu �tre int�ressant si l�unique auditrice qui a tent� de donner un point de vue contradictoire n�avait subi les al�as du direct. Sa communication s�est coup�e. Mais son intervention a servi d�exemple � ne pas suivre. Et l�insulte supr�me qu�elle lui a assen�e, c�est d�esp�rer, pour elle, de trouver un mari afin de retrouver le droit chemin et changer d�opinion. Parmi les insanit�s, que le monopole du micro lui a permis de nous imposer, il faut retenir que
1 - Les parents n��duquent plus correctement leurs filles.
2 - Les femmes doivent accepter les humiliations sans se plaindre et sans r�agir.
3 - Les parents ne devraient pas �couter leurs filles.
4 - Les femmes divorc�es ne peuvent pas assurer l��ducation des enfants.
5 - Avant, toutes les femmes acceptaient les mis�res du mari sans broncher.
6 - Le mariage est id�alis�, c�est une fin en soi.
7 - Le mariage est sacr�.
8 - La vie commune est normale, m�me dans la violence.
9 - L�int�r�t des enfants est de vivre dans un milieu de violence plut�t qu�avec une m�re divorc�e.
10 - Les hommes sont naturellement violents.
Si la libert� de ton et d�expression est � encourager, les d�rapages des animateurs des radios publiques sont � contr�ler. Il ne s�agit pas de critiquer les auditeurs dont le point de vue, m�me discutable, est personnel et respectable. Il s�agit, par contre, de rappeler aux responsables de l�institution, qui emploient cette animatrice, de veiller � l�orientation des messages diffus�s sur les ondes.
Cette �mission a �t� r�alis�e avec une d�sinvolture d�concertante, une absence totale de s�rieux ou de minimum de professionnalisme. Comment ose-t- on parler d�un sujet aussi grave que le divorce et les relations de couples sans faire appel � des sp�cialistes ?
Cette �mission aurait d� rassembler des psychologues, des sociologues, des p�dopsychiatres, des m�decins, des juristes, des militantes, etc. Je doute que m�me un parterre de sp�cialistes aurait os� affirmer, avec autant d�aplomb et d�impudence, ce genre d�all�gations. Un animateur, aussi engag� soit-il, peut-il imposer son point de vue ? Ne doit-il pas respecter la neutralit� de l�institution en �coutant les avis des intervenants, sans partipris ? Il est temps que les responsables exigent un minimum de culture et de connaissances de la part du personnel. Dans mes recherches, sur les luttes des Alg�riennes, je n�ai rencontr� que des femmes dignes et r�volt�es. La soumission ne fait pas partie de notre culture. Elle est h�rit�e de la tradition jud�ochr�tienne, g�n�ralis�e par les th�ories des officiers de l�occupation qui se sont �rig�s en ethnologues pour l�Alg�rie. Les relations de couples rel�vent de la sph�re priv�e et ne concernent que les �poux. Nul ne peut, ni ne doit, conseiller � une femme ou � un homme de divorcer ou supporter la m�sentente permanente. Cependant, une femme qui d�cide de divorcer ne doit pas �tre stigmatis�e ni d�valoris�e par une animatrice de radio.
Aussi, je me permets de rectifier les fausses v�rit�s que cette animatrice a �rig�es en r�gles universelles et qui d�notent son ignorance totale de l�histoire, de la culture et des r�gle de la soci�t�. Car son : �Ya hasrah ya z�man� ne correspond pas au mien, ni � celui des Alg�riennes.
1 - Les parents n��duquent plus correctement leurs filles
Je lui laisse l�exclusivit� de l�insulte ; personne ne devrait, et surtout pas un animateur de radio, porter un jugement de valeur sur les femmes et leurs parents.
2 - Les femmes doivent accepter les humiliations sans se plaindre et sans r�agir
FAUX. Une femme habitu�e, depuis son plus jeune �ge, � recevoir des coups, des insultes et des humiliations diverses ne saura jamais ce que signifie la dignit�. Une fille terroris�e par les hommes, habitu�e � subir les agressions multiformes, sera une femme qui acceptera les agressions, m�me sexuelles, sans broncher. Le combat des femmes pour p�naliser le harc�lement sexuel sera vain. La dignit� n�est pas un discours creux, elle s�acquiert durant toute une vie. M�me en r�agissant, constamment, la dignit� des femmes n�est pas encore acquise et respect�e. La reconnaissance de cette dignit� est un combat permanent.
3 - Les parents ne devraient pas �couter leurs filles
FAUX. Si les parents n��coutent pas leurs filles o� iraient-elles chercher secours, aide, amour et r�confort ? Une fille, que les parents n��coutent pas, va droit vers le d�sespoir et la d�linquance. Une fille qui n�a pas �t� �cout�e par ses parents devrait consulter un psy. Par contre, on devrait retirer les enfants � une femme qui refuse de les �couter. Quant � celle qui donne ce genre de recommandations aux parents...
4 - Les femmes divorc�es ne peuvent pas assurer l��ducation des enfants
FAUX. Je laisse l�appr�ciation de cette insulte. Je ne d�montrerai pas que des femmes divorc�es, sans ressources, ont pu �lever seules, dans la mis�re, le d�nuement total et la dignit� des enfants qui ont r�ussi leur vie. Par contre, les enfants vivant dans la violence pr�sentent plus de risques de d�s�quilibres affectifs et sont, plus souvent, candidats � la d�linquance. Car, quelle image offre-t-on � des enfants si le milieu familial est violent ? Il arrive que les enfants soient plus �quilibr�s et mieux aim�s par des parents s�par�s que r�unis dans la violence et la haine. Car ces enfants seront des adultes violents, reproduisant la violence connue comme seul mod�le relationnel. Un gar�on habitu� � voir son p�re battre sa m�re, battra sa femme. La violence pour lui devient �normale�.
5 - Avant, toutes les femmes acceptaient les mis�res du mari sans broncher
FAUX. Le divorce a exist� depuis plusieurs si�cles. l�Islam l�a pr�conis� dans les cas de m�sentente conjugale. Sur quelle base peut-on affirmer que les femmes acceptaient ? Dans toutes les familles, il existe des divorc�s, depuis plusieurs g�n�rations. Faut-il les nier ?
6 - Le mariage est id�alis�, c�est une fin en soi
FAUX. Socialement, c�est une tranche de vie qu�on partage � deux, avec ses bons et ses mauvais c�t�s. Si l�un des deux partenaires ne trouve plus son bonheur, la relation est rompue. Consid�rer le mariage comme l�unique voie d��panouissement de l�individu est synonyme d�exclusion de ceux qui ne sont pas (ou plus) mari�s. L�id�aliser, c�est tromper les c�libataires sur la signification de la vie en couple.
7 - Le mariage est sacr�
FAUX. La sacralit� du mariage est un concept propre � l�Eglise catholique. La preuve, le divorce dans plusieurs pays occidentaux est r�cent. L�Islam n�a jamais sacralis� le mariage. Au contraire, c�est la premi�re religion � l�avoir consid�r� comme un contrat, �tabli en bonne et due forme entre deux individus. Le mariage est un contrat pass� dress� par un homme de loi, devant t�moins avec un montant (la dot). Le juge veillera, en cas de divorce, au respect des clauses du contrat de mariage. Aucun acte de mariage, �tabli dans le cadre de la religion musulmane, ne stipule que �deux personnes sont li�es par les liens sacr�s du mariage, jusqu�� ce que la mort les s�pare�. Il ne faut pas attribuer � la soci�t� alg�rienne les m�urs des soci�t�s catholiques.
8 - La vie commune est normale, m�me dans la violence
FAUX. Je dirai m�me pervers. Si des personnes trouvent du plaisir dans la violence, il faut qu�elles se soignent. M�me un objet qui re�oit des coups finit par se casser. Comment concevoir qu�une femme, que j�ose consid�rer comme un �tre humain, puisse recevoir des coups sans ressentir de la haine ? La violence subie ne peut engendrer de l�amour et du plaisir dans un couple. Alors, au lieu de conseiller aux femmes de supporter les coups, il aurait �t� plus soin et plus judicieux d�appeler les hommes � moins de violence.
9 - L�int�r�t des enfants est de vivre dans un milieu de violence plut�t qu�avec une m�re divorc�e
FAUX. Seuls des sp�cialistes peuvent d�cider des int�r�ts des enfants. Il est clairement �tabli que les r�percussions de la violence sur les enfants sont d�sastreuses. La violence engendre la haine et le m�pris des enfants envers les parents. Les enfants supplient parfois leur m�re de quitter le p�re, seule solution pour fuir cette ambiance. De plus, faut-il prouver qu�un mari violent envers sa femme, pratique cette violence, m�me indirectement sur les enfants ? Parmi les conseils, n�aurait-elle, pas d� appeler les maris � rousp�ter sans violence contre un caf� mal dos� ? Plus s�rieusement, les parents, dans l�int�r�t des enfants, peuvent faire des efforts et r�gler leurs diff�rends entre eux. Quelle que soit l�attitude de l�enfant, elle ne peut �tre que n�faste pour son �quilibre, son �panouissement et son avenir. Aucun enfant n�est n� pour supporter la violence. Alors, de quel droit une animatrice radio oserait-elle d�cider pour les couples et leurs enfants ?
10 - Les hommes sont naturellement violents
FAUX. Aucune �tude n�a prouv� que la nature a cr�� des monstres humains repr�sentant la moiti� masculine des habitants de la terre. Bien au contraire, on a d�montr� que les �tres naissent identiques et sont form�s selon les r�les que leur imposent les rapports sociaux. Un homme �lev� dans le respect de son entourage, et dans la dignit�, respectera les femmes qui l�entourent quels que soient les rapports qu�il entretient avec elles. Donc, les hommes ont, �galement, re�u leur part d�insultes. Cette animatrice consid�re que la nature les a cr��s violents, durs, f�roces, d�pourvus d�amour, de r�flexion, de discernement et de douceur. Que face � ces sauvages, les femmes doivent faire preuve de soumission totale pour les supporter et les amadouer.
La soci�t�, pour elle, est compos�e de cr�atures f�roces et d�objets sans �me � leur disposition. Quelle place a-t-elle r�serv�e aux hommes pacifiques, tendres, gentils, aimants, r�fl�chis, qui aiment, aident, �coutent, soutiennent les femmes ? Ces hommes n�existent tout simplement pas ou sont, peut-�tre, des cr�atures contre nature. Quant � mon : �Ya hasrah ya z�man�, il y avait dans mon Alg�rie, des femmes qui :

1 - ont toujours �t� rebelles. Lalla Fatma N�soumer, fille de zaou�a, a refus� le mariage avec son cousin. Elle a constitu� une arm�e, avec l�aide de son compagnon, Boubeghla. Elle a �t� d�l�gu�e par les djema�s des villages de Kabylie, durant les batailles qu�elle a dirig�es, entre 1851 et 1857 ;
2 - �taient r�volt�es, car habitu�es au respect. Elles se sont engag�es dans les luttes et les partis politiques depuis les ann�es 1930 ;
3 - ont rejoint les maquis dans les ann�es 1950, alors que dans le monde, les femmes n�avaient pas de droits et �taient, encore, clo�tr�es ;
4 - ont lutt� contre le code de la famille car elles consid�raient que leur citoyennet� �tait remise en cause ;
5 - se sont battues contre la remise en cause de leur droit de vote en 1990 ;
6 - ont, parmi leurs a�eules, des Tin Hinan, Kahina, et m�me S�l�n� � qui on a offert comme cadeau de mariage le royaume de Maur�tanie. On lui a �difi� un mausol�e sur les hauteurs de Tipasa ;
7 - ont connu une Fad�la M�Rabet qui animait des �missions � la radio. Elle �coutait les opprim�es et les victimes des violences ;
8 - ont connu des p�res qui s�int�ressaient � elles, les �coutaient et les ont scolaris�es depuis le d�but du si�cle dernier ;
9 - sont respect�es par des hommes normaux, qui ne correspondent pas au profil-type d�fini par cette animatrice.
Je ne citerai pas, afin de ne pas instrumentaliser la religion musulmane, les �pouses du Proph�te qui avaient du caract�re et lui tenaient t�te. Aucun hadith, m�me non authentifi�, ne nous rapporte les insultes ou les coups qu�elles auraient re�us de sa part. Par contre, il nous a �t� rapport� leurs contestations.
Dans le �ya hasrah ya z�man�, des femmes ont occup� les locaux de l�ORTF. C�est gr�ce � leur combat et � leur r�sistance qu�une animatrice se permet d�insulter les femmes. Sans le combat de ces femmes (parfois divorc�es ou c�libataires) le recrutement des animatrices n�aurait peut-�tre pas �t� possible.
N. B.
Elle conclut son �mission avec des paroles g�n�reuses, elle reconna�t que parfois les hommes battaient leurs femmes sans raison. Elle esp�re, toutefois, avoir combl� les lacunes d�coulant de la mauvaise �ducation des parents.

N. M. (*) Militante f�ministe,
chercheuse universitaire

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