Chronique du jour : A FONDS PERDUS
UN JUSTE RETOUR DES CHOSES
Par Ammar Belhimer
ambelhimer@hotmail.com


Le �consensus de Washington� qui a longtemps servi de feuille de route au Fonds mon�taire international (FMI) ou � la Banque mondiale dans les politiques qu'ils pr�conisaient pour les pays en d�veloppement et qui faisait de la lib�ralisation �conomique l'alpha et l'om�ga de la croissance, ce consensus se fissure plus vite qu�on ne pouvait l�esp�rer. Un r�cent rapport r�dig� par des sommit�s mondiales de l'�conomie l�ach�ve sans appel.

Ce �rapport sur la croissance� (*) est le fruit de deux ann�es de travail d'une commission compos�e de 21 barons de l��conomie, de l�entreprise et des ONG, au rang desquels deux prix Nobel dans cette discipline, dont son pr�sident Michael Spence (prix Nobel et professeur �m�rite de l�universit� de Stanford aux Etats-Unis). Depuis 1950, treize pays connaissent un rythme de croissance �gal ou sup�rieur � 7 % par an sur une longue p�riode (25 ans ou plus). Un rythme consid�rable puisqu�il a permis � ceux qui l�ont atteint ou d�pass� de doubler la taille de leur �conomie tous les dix ans. Cette situation, in�dite, n�a �t� possible que parce que l'�conomie mondiale est de plus en plus ouverte et int�gr�e, autorisant des gains de croissance rapides gr�ce � la libre circulation des id�es, des technologies et des savoir-faire. Cela est particuli�rement vrai pour les dragons asiatiques adoub�s d�un �miracle� sur lequel commencent n�anmoins � peser d��normes doutes. Suffit-il d�engranger des records de croissance pour pr�tendre au d�veloppement ? La question, r�currente depuis le d�but des ann�es 1960, revient au plan de l�actualit� du fait de la prise de conscience de plus en plus large de la plus grande arnaque de la fin du si�cle �coul� : �Le consensus de Washington� � un socle de sacrosaintes valeurs n�o-lib�rales n� du croisement adult�rin de la reddition du socialisme bureaucratique sovi�tique et de l�esbroufe de la �r�aganomics � d�velopp�e par les �Chicago-Boys� au milieu des ann�es 1980. C�est � l�aune de ces valeurs qu�avaient �t� notamment �labor�s et encadr�s tous les plans d�ajustement structurel des �conomies renti�res en crise de liquidit�s, comme la n�tre. Il est heureux de constater que les premi�res voix discordantes qui comptent �manent y compris du s�rail puisque la commission qui compte de nombreux responsables du FMI et de la Banque mondiale vient de se livrer � un s�v�re r�quisitoire contre ce qui passe encore pour des prescriptions divines dans l��laboration et la conduite des politiques �conomiques. �La croissance n'est pas une fin en soi (�) Elle est une condition n�cessaire, mais insuffisante, pour un d�veloppement plus large, susceptible d'en �largir la port�e pour des acteurs humains productifs et cr�atifs.� Dans un premier volet intitul� �Dynamiques de croissance et �conomie globale�, le rapport identifie certaines des caract�ristiques des �conomies � forte croissance et envisage comment d'autres pays en d�veloppement peuvent les imiter, tout en refusant l�existence de �formule g�n�rique� et en insistant sur les particularismes. �S'il n�y avait qu�une seule doctrine valable pour la croissance, nous l�aurions trouv�e. Nous en sommes persuad�s�, commentent les auteurs du rapport. Une croissance rapide et soutenue ne se produit pas spontan�ment. Elle exige des dirigeants politiques �un engagement � long terme, poursuivi avec patience, pers�v�rance et pragmatisme�. Outre l�investissement direct �tranger, l��ducation est le principal vecteur d�une croissance susceptible de combler le retard sur les �conomies avanc�es. Il est vain d�esp�rer une croissance rapide sans des investissements publics cons�quents dans les infrastructures, l'�ducation et la sant�. Loin d'�vincer l'investissement priv�, ces d�penses g�n�rent un retour sur investissement profitable � l�entreprise priv�e elle-m�me parce qu�elle pourra b�n�ficier de travailleurs instruits et soign�s, de routes praticables et fiables, d��lectricit�. De m�me que doivent �tre prises en compte les cons�quences �conomiques de la faim, de la malnutrition et de la maladie sur la croissance. �Ainsi, lorsque les enfants souffrent de malnutrition dans l'ut�rus ou dans la petite enfance, leur d�veloppement cognitif peut �tre compromis de fa�on permanente. Cela r�duit leur productivit� et leur capacit� � b�n�ficier d'une formation. Cela est �galement profond�ment injuste�. La mondialisation est �nonc�e comme �une ressource essentielle� � la croissance : elle offre aux pays en d�veloppement une �lasticit� des march�s pour leurs exportations, la possibilit� de se sp�cialiser dans de nouvelles lignes d'exportation et d'am�liorer leur productivit� par des moyens multiples. L�ouverture sur l'ext�rieur n�est cependant pas la seule voie d�acc�s � la croissance. Certains pays qui se sont appuy�s sur le march� int�rieur et mis en �uvre des strat�gies de substitution aux importations �ont parfois r�ussi � stimuler l'investissement, le poids et l'efficacit� des producteurs nationaux�, tout en faisant l��conomie des risques et des chocs inh�rents � une brutale ouverture � la concurrence �trang�re. La limite aux politiques souverainistes est que �les strat�gies de croissance qui s'appuient exclusivement sur la demande int�rieure atteignent vite leurs limites : le march� domestique est g�n�ralement trop faible pour soutenir la croissance pendant longtemps et il n�offre pas � une �conomie la m�me libert� de se sp�cialiser dans ce qu'elle peut produire le mieux�. Pour reprendre une m�taphore du rapport, �si la croissance du PIB doit �tre mesur�e par rapport aux grands arbres de la macro�conomie, tout se passe dans les petits maquis ou sous-bois micro�conomiques, o� poussent de nouvelles branches et o� les troncs morts sont �limin�s�. Les politiques de croissance et de r�formes visent � favoriser cette micro�conomie de cr�ation et de destruction, et, surtout, � prot�ger les personnes qu�elle affecte le plus. M�me avec une main-d'�uvre abondante, ce qui est le cas de nos jours, une croissance rapide n�est pas � l�abri d�un premier obstacle : un faible rythme de l'investissement (public et priv�) g�n�ralement affect� par la disponibilit� de l'�pargne. La forte croissance g�n�ralement enregistr�e a comme avatar d�ignorer une part consid�rable des revenus qu�elle a engendr�s : il n�est pas rare de rencontrer des taux d'�pargne nationale de 20-25% ou plus. Les besoins de financement peuvent ainsi �tre ais�ment couverts par l��pargne int�rieure. Une option � encourager parce que les capitaux �trangers sont vus comme �un substitut imparfait � l'�pargne int�rieure, y compris l'�pargne publique, pour couvrir les besoins en investissements d�une �conomie en pleine expansion�. Par ailleurs, une croissance rapide et soutenue, sur une aussi longue p�riode, exige une direction politique forte, cr�dible et efficace qui se mesure � l�existence d�une strat�gie de croissance transparente et partag�e : ses objectifs sont connus d�une population acquise � l�id�e qu�elle-m�me ou ses enfants jouiront des fruits de la croissance apr�s tant de sacrifices et d�efforts. Quelle que soit la formule qu�il requiert (parti unique ou multipartisme), le leadership requis est assis sur la stabilit�, l�exp�rience, la patience, des objectifs planifi�s � long terme et le ferme maintien du cap sur la croissance. �De m�me que la croissance n'est pas une fin en soi, les r�formes ne le sont �galement pas. Les deux ne sont que des moyens.� Et les deux failliront si un grand nombre de personnes ne ressentent pas, en bout de course, une am�lioration de leurs conditions. Une �conomie de march� bien comprise est alors une �conomie �adulte et responsable�. Elle repose sur des institutions fortes qui d�finissent les droits de propri�t�, le respect des contrats, la formation des prix et veillent � combler les lacunes et d�ficits d'information entre acheteurs et vendeurs qui obstruent l�expression d�une concurrence libre et parfaite sur les march�s. �Ces march�s � de m�me qu�une r�glementation appropri�e � font souvent d�faut dans les pays en d�veloppement� alors m�me qu��une partie importante du d�veloppement r�side pr�cis�ment dans la cr�ation de ces capacit�s institutionnelles �. Celles-ci r�sultent d�une construction patiente d�appareils stables et efficaces, r�gis par la culture d�un �service public honn�te�, avec des fonctionnaires talentueux, innovants, biens r�mun�r�s et promus en fonction de leurs performances. Au c�ur de cette construction : la cr�ation d�une classe moyenne �� la voix reconnue et respect�e, tant au niveau local et central�. Enfin, la commission se dit �fermement convaincue que les strat�gies de croissance ne peuvent r�ussir sans un engagement � l'�galit� des chances dans la jouissance des fruits de la croissance�. Si dans les premiers stades de la croissance, une tendance naturelle � creuser les �carts de revenus peut s�expliquer (et non se justifier), les gouvernements sont invit�s � la contenir. Voil� un juste retour des choses.
A. B.

(*) The Growth Report: Strategies for Sustained Growth and Inclusive Development.
Le rapport peut �tre consult� sur le site de la commission : www.growthcommission.org

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