Vox populi : ON EST TOUJOURS LE BOUGNOULE DE QUELQU�UN
Aujourd�hui, j�ai eu honte


Je suis alg�rienne, et je vis en Espagne. Ce pays, que j�appr�cie pour sa douceur de vivre, a pourtant, � mes yeux, un gros d�faut qui m�emp�che souvent d�en appr�cier la saveur : l�Espagne a la m�moire courte. Je m�explique : ces dix derni�res ann�es, l��conomie espagnole a connu un envol sans pr�c�dent et un taux de croissance exceptionnel. Cet essor inesp�r� a, bien s�r, attir� son lot de� d�sesp�r�s.
Marocains, Alg�riens, Pakistanais, Colombiens peuplent les rues de Barcelone, o� ils r�pondent souvent aux �doux� noms de Moros, Pakis et autres Sudacas. Ces termes peu flatteurs traduisent un racisme assez franc du collier, qui a le m�rite de s�affirmer dans sa b�tise abyssale. Combien de fois me suis-je vue rappeler � certains que leurs grands-parents avaient d�, eux aussi, aller tra�ner leurs poches vides et leurs t�tes de mis�re sur les routes allemandes ou suisses, o� ils se sont us�s sur des cha�nes de montage inhumaines ? Combien d�humiliations ces g�n�rations ont-elles subies, parce que plus pauvres, plus sales, moins �duqu�es ? Et combien de fois me suis-je indign�e de l�attitude de ce m�me peuple face aux nouvelles diasporas de la mis�re s��chouant sur leurs rivages ? Ce matin, je suis arriv�e � l�a�roport d�Alger. Un autre vol arrivait au m�me moment, de la compagnie Indian Airlines. Un groupe d�hommes jeunes, venant du Bangladesh, ouvriers de la construction s�rement, s��tiraient en une queue interminable. Eux aussi sont pauvres, eux aussi affichent ce m�me air humble des exil�s de la mondialisation. Quelle ne fut pas ma surprise de d�couvrir l�accueil que leur r�serv�rent les policiers alg�riens ! A ces hommes ne comprenant ni le fran�ais ni l�arabe, ils parlaient comme � des idiots ne voulant pas comprendre. Elevant la voix, gesticulant, ils se plaignaient les uns aux autres, chacun geignant d�en avoir plus que le voisin dans sa file d�attente� N�en croyant pas mes yeux, je revis mes compatriotes, il y a 40 ans, d�barquant sur le port de Marseille, baragouinant deux mots de fran�ais et se faisant traiter comme des parasites g�nants, des sous-hommes. Je revis mes compatriotes d�aujourd�hui, rasant les murs et essuyant les humiliations d�une fonctionnaire de la Pr�fecture de police les rabrouant durement pour passer ses nerfs et leur faire payer sa mauvaise journ�e. Et j�ai eu honte. Honte d��tre, cette fois, non pas du c�t� des hordes silencieuses des humili�s mais du c�t� de ceux qui humilient, qui briment et qui gesticulent en d�versant leur bile sur leurs semblables. Tartarin de Tarascon disait, d�crivant l�Alg�rie de la fin du XIX si�cle, que les Europ�ens y tapaient sur les Juifs, qui tapaient sur les Arabes, qui tapaient sur les Noirs et qui eux tapaient� sur leurs �nes. On trouve toujours son bougnoule � port�e de main, plus pauvre, plus humble, plus d�muni. Et dans cette �chelle absurde et mesquine du moins mal loti, mes compatriotes semblent, eux aussi, perdre vite la m�moire�
Sabrina Senouci,
a�roport d�Alger, dimanche 3 mai 2009

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