Chronique du jour : KIOSQUE ARABE
L'heure des f�tus en sommeil
Par Ahmed HALLI
halliahmed@hotmail.com


Les responsables des affaires religieuses �gyptiennes ont d�cid� de prendre le taureau par les cornes, si l'expression est de mise s'agissant du harc�lement sexuel. Le harc�lement, �taharouche�, a pris, en effet, des proportions inqui�tantes avec, parfois, des sc�nes d'agressions sexuelles collectives sur la voie publique. Jusqu'aux sc�nes irr�elles de l'ann�e derni�re, dans les rues du Caire et en plein jour de l'A�d, le harc�lement n'�tait pas sujet � d�bat.
Il �tait admis que seules les femmes non voil�es faisaient l'objet de �sollicitations�, parfois pouss�es jusqu'� l'extr�me. Ces sc�nes de chasse courantes dans les rues des cit�s ne suscitaient qu'un commentaire lapidaire : �Tant pis pour elles, elles n'ont qu'� mettre le voile !� D'ailleurs, les �dragueurs � concluaient toujours l'�chec de leurs tentatives d'approche par un sonore �va mettre le voile !�, de fa�on � �tre entendu de tout le monde. Une fa�on de mettre les �pieurs et les moralistes de leur c�t�. Tout ce monde de l�chet� � demi satisfaite s'accordait � stigmatiser la femme �moutabaridja�, celle qui exhibe ses charmes par le simple fait de d�couvrir ses cheveux. Les animaux urbains en rut ne suivent plus le cycle des saisons, mais une m�che de cheveux suffit � les mettre en branle. A force d'entendre leurs imams disserter sur les �ruptions d�vastatrices produites par une tresse, un chignon ou une queue de cheval, ils ont fini par y croire. Leurs syst�mes d'alerte et leurs compteurs � adr�naline ont �t� r�vis�s pour les soumettre aux nouvelles normes, h�rit�es des glorieux devanciers. La m�che de cheveux a �t� �rig�e en objet de collection pour d�lires solitaires ou collectifs. �Soit, voilons-nous donc puisque c'est la loi et que n�cessit� fait loi. Voilons-nous puisque c'est le seul moyen d'�viter la concupiscence masculine jamais d�sarm�e�, se dirent les femmes du Caire et des autres villes. Elles avaient oubli�, les pauvres, que l'�il masculin est flanqu� d'un scanner contre lequel aucune �awra�, ou partie honteuse, n'est prot�g�e. L'ann�e derni�re, des bandes de jeunes ont sillonn� certains quartiers du Caire en qu�te de chair plus ou moins fra�che, envelopp�e ou non. Comme les femmes �gyptiennes ne sortent plus que couvertes d'un hidjab, voire d'un �niqab� ou d'une �burka�, les statistiques ont �t� formelles. L'�crasante majorit� des femmes violent�es sous l'�il impavide, ou presque, des passants honn�tes, �taient des femmes comme il faut, c'est-�-dire portant habits conformes. Des �tudes r�centes montrent que 90 % des femmes �gyptiennes victimes de harc�lement sont des femmes voil�es. Ce qui est normal, rel�ve l'�crivaine libanaise Dalal Al-Bizri, qui vit au Caire, puisque c'est la proportion de femmes qui portent le hidjab dans ce pays. A la suite de ces incidents qui ont montr� les limites de certaines prescriptions vestimentaires, les autorit�s religieuses se sont mises � r�fl�chir. Et, depuis quelques semaines, elles ont enfin trouv� la parade au harc�lement sexuel. Cette parade se pr�sente sous la forme d'un petit livret, tir� � des milliers d'exemplaires et cens� contenir les bonnes recettes contre le harc�lement sexuel. Experts dans l'art d'enfoncer les portes ouvertes, nos th�ologiens livrent d'abord leur analyse du ph�nom�ne du harc�lement. Selon eux, les harceleurs manquent de culture religieuse et ne sont pas mari�s, il faut donc plus de religion et plus de c�l�brations de mariages. Sur ce deuxi�me point, l'opuscule ne dit pas o� on va mettre les nouveaux couples dans un pays o� le d�ficit en logement est l'un des plus forts du monde. Nos experts montrent �galement du doigt les programmes t�l�vis�s et, principalement, les vid�oclips des chanteuses et danseuses � succ�s. Mais la vraie cause du harc�lement sexuel, ce sont les harcel�es elles-m�mes. Les experts en camouflage du minist�re des Affaires religieuses ont fait appel � l'imam Al-Ghazali, celui qui a s�vi chez nous bien s�r, qui est pour eux la r�f�rence. Ce dernier avait stigmatis�, dans un cours, les confectionneurs et les sp�cialistes de haute couture qui habillent les femmes. Ces tailleurs qui taillent �des habits pour l'enfer� aux femmes, en se promettant de ne pas les y suivre. Le livret anti-harc�lement des religieux �gyptiens insiste donc sur la tenue vestimentaire des femmes. Il stigmatise celles qui portent des jeans serr�s tout en arborant des foulards. Pour �chapper � la lubricit� masculine, ou simplement pour ne pas �veiller le diable qui sommeille en l'homme, la femme devra encore se faire plus discr�te. Porter des v�tements amples et des chaussures sans talons, marcher sans faire d'omelettes et en rasant les murs, de pr�f�rence. Et si malgr� toutes ces pr�cautions, elles sont encore pourchass�es, c'est qu'il y a des ph�romones contre lesquelles on ne peut rien. On peut noter encore que l'homme a le beau r�le dans tout �a. S'il met flamberge au vent, c'est parce qu'il est assailli, en premier lieu, par la tenue et l'attitude provocantes de la femme. Accessoirement, il n'a pas encore trouv� � se marier, ou bien sa culture religieuse est � parfaire. Dans tous les cas, il appartient � la femme de faire l'effort n�cessaire, m�me si elle n'est que la moiti� de l'homme et qu'elle manque de pi�t� et de jugeote. Ce n'est pas moi qui le dis, mais alors, que va-t-on bien pouvoir faire du Valium dans ces cas extr�mes ? Puisque les th�ologiens se d�clarent apparemment impuissants (??) face aux instincts d�brid�s de l'homme, pourquoi ne pas recourir au Valium ? Ou � d'autres produits qu'on recommanderait de prendre par fatwas et lors des ablutions matinales, on resterait ainsi dans le champ religieux. Khaled Mountassar, m�decin dermatologue et sexologue, s'int�resse, lui, aux d�bats qui agitent la profession. Etranges d�bats puisque lors d'un s�minaire dans une �cole m�dicale du pays, un confr�re a demand� pourquoi la question des grossesses dites en sommeil n'avait pas �t� abord�e. Interrog� par une partie de l'assistance sur ce qu'il entendait par l�, il a pris un ton p�n�tr� : �Je veux parler de la grossesse qui dure un an ou deux ou trois ou m�me quatre ans.� Eberlu�s, les m�decins ont demand� : �Est-ce qu'il y a des grossesses qui durent trois ou quatre ans ?� Comme �tonn� par l'ignorance de ses semblables, il r�pond avec condescendance : �Bien s�r, puisque l'imam Malek est rest� trois ans dans le ventre de sa m�re !� Khaled Mountassar souligne � quel point les �vidences scientifiques sont en recul devant des r�f�rences th�ologiques chez certains m�decins. Il n'est pas �tonnant, dans ce cas, de voir un m�decin gyn�cologue mener le combat pour l�galiser l'excision des petites filles. Beaucoup de m�decins s'emploient aujourd'hui � faire triompher des fatwas au d�triment de ce qu'ils ont appris sur les bancs de l'universit�. Ce qui nous am�ne, dit-il, � admettre des absurdit�s comme celle commise � La Mecque en l'an 1346 de l'h�gire par le juge Mustapha Abdelkader Al-Aloui. Ce dernier avait attribu� la paternit� d'un nouveau-n�, mis au monde par une veuve, au mari d�c�d� depuis cinq ans. La science ne reconna�t pas la grossesse en sommeil, mais la jurisprudence de certains pays comme l'Egypte, la Syrie ou Bahre�n, consacre sa l�galit� d'une certaine mani�re, note encore Khaled Mountassar. Ainsi, l'article 15 d'une loi �gyptienne de 1929 proclame : que �l'attribution de la paternit� d'un nouveau-n� n'est pas autoris�e si l'enfant est venu au monde un an apr�s la disparition du mari�. Ou bien encore cet article d'une loi de 1948 : �Les droits du f�tus en sommeil sont d�termin�s par la loi.� Encore mieux, l'article 29 du code du statut personnel dispose qu��il appartient au tuteur du f�tus en sommeil de pr�venir le procureur g�n�ral de la fin de la grossesse�. Devra-t-on encore se demander, apr�s de tels exemples, pourquoi tout va si mal dans nos pays ?
A. H.

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