Chronique du jour : KIOSQUE ARABE
Khartoum, c'est � cause de Belloumi !
Par Ahmed HALLI
halliahmed@hotmail.com


Maintenant que nous avons mis � contribution, jusqu'� l'�puisement, notre stock d'adr�naline nationale, il serait peut-�tre temps de regarder les choses avec un peu plus de lucidit�. Pour nous Alg�riens, c'est humainement faisable, dix jours apr�s ce match de Khartoum, suivi d'une bataille m�diatique sans pr�c�dent. De part et d'autre, on a rivalis� d'imagination et d'ing�niosit� pour amoindrir, voire discr�diter, l'adversaire, ou l'ennemi, du moment.

Dans cette bataille pour rabaisser l'autre � la portion congrue, chacun a us� de tous les ingr�dients, persuad� d'avoir raison. Les Egyptiens, penauds d'avoir �t� pris la main dans le sac au Caire, apr�s le raid �clair contre le bus des joueurs alg�riens, ont transport� leurs griefs � Khartoum, faute de supporters en nombre suffisant. Le nombre, en revanche, �tait du c�t� des Alg�riens, qui ont litt�ralement investi la capitale soudanaise, avec le soutien tacite de ses habitants. Pourquoi les Egyptiens, qui avaient l'avantage de la proximit�, de la disponibilit� en a�ronefs, n'ont pas agi de m�me ? Voil� un des myst�res de cette incroyable journ�e du 18 novembre qui nous seront sans doute r�v�l�s en temps opportun. Tout le monde sait, et le gouvernement �gyptien en premier, que les supporters alg�riens ne sont pas des tendres. Il suffit pour cela de lire les comptes rendus de nos matchs de football hebdomadaires. Il n'est donc pas interdit de penser que les Egyptiens ont sciemment r�duit la pr�sence de leurs supporters � quelque milliers d'artistes et d'intellectuels, convi�s � rehausser l'apparat de la f�te. Car c'est un fait d�sormais admis, les Egyptiens ne sont pas venus � Khartoum pour disputer un match d�cisif, mais pour c�l�brer la qualification de leur �quipe. Victimes d'une euphorie aussi suspecte que soudaine, les Egyptiens ont vendu la peau de l'ours, pardon du fennec, bien avant de l'avoir occis. Redescendus brutalement sur terre apr�s le but de Yahia Antar et la d�faite, les �pharaons �(1) ont-ils r�ellement affront� la vengeance des supporters alg�riens, � la sortie du stade ? Pour l'instant, seuls quelques t�moignages font �tat de provocations, voire d'agressions contre des personnes. Il est permis de penser que la rumeur et les t�moignages douteux, largement exploit�s, ont fait plus qu'accr�diter la th�se d'une embuscade � Khartoum, en contrepoint de celle du Caire. Toutes ces voix et toutes ces contributions ont fini par faire une montagne d'une souris et � mobiliser les �lites �gyptiennes autour du th�me de l'affront, ou de l'humiliation, subis de la part des Alg�riens. Cela �tant, les Alg�riens sont-ils capables de gestes et de propos obsc�nes, comme l'affirment des Egyptiens de retour de Khartoum ? Pour savoir si c'est vrai, il suffit d'arpenter quelques rues du centre ou de la p�riph�rie d'Alger, ou mieux encore d'aller sur les stades. Cependant, l'ampleur des r�actions, sans commune mesure avec les griefs mutuels, montre qu'entre l'Alg�rie et l'Egypte, il y a un vieux contentieux, et qu'il n'est pas pr�s d'�tre r�gl�. Sinon, comment comprendre cet acharnement � nous faire para�tre plus petits que nous sommes, en nous jetant � la t�te p�le-m�le les sarcophages des pharaons et l'�p�e recourb�e de Amr Ibn Al'as ? Pourquoi cet acharnement � nous bouter hors du monde arabe alors que nous faisons des efforts inou�s depuis des d�cennies pour �touffer notre propre identit� et nous faire aimer de Damas ou de Sana� ? C'est vrai que nous sommes petits, mais notre vocation est de grandir, sans faire de l'ombre aux autres et sans nous salir en lan�ant des crachats sur les autres. Il faut avoir perdu la t�te pour sugg�rer que les p�lerins alg�riens pourraient s'attaquer � leurs coreligionnaires �gyptiens sur les Lieux Saints de l'Islam. Il faut avoir un horizon mental singuli�rement born� pour d�clarer � la t�l�vision que �les Kabyles sont au pouvoir � Alger, qu'ils d�testent les Arabes (autrement dit les Egyptiens) et que ce sont eux qui ont organis� les incidents de Khartoum�. Ils ne font d'ailleurs que r�p�ter certaines le�ons apprises chez nos concitoyens alg�riens, persuad�s qu'ils sont natifs de l'Arabie heureuse. Comme en �cho � certaines de nos th�ories ba�thistes, la Djama� Islamya d'Egypte s'exprime � son tour. Elle d�signe les responsables : les francophones d'Alg�rie et les la�cs d'Egypte. La Djama�, qui a renonc� aux actions arm�es pour pratiquer un autre terrorisme, affirme que les �francophones � veulent expurger l'identit� alg�rienne de l'Islam et de l'arabit�. Ils veulent �loigner l'Alg�rie de son socle naturel arabe et musulman. Du c�t� des com�diens �gyptiens, ce n'est pas mieux, puisque le comique Mohamed Sobhi ne craint pas d'affirmer que �l'Alg�rie s'est exclue de la communaut� arabe. C'est un peuple qui ignore tout de son histoire et de l'arabit�. Ce peuple parle le fran�ais et il a oubli� qu'il �tait arabe�. Moins �radicateur, l'autre acteur comique, Adel Imam, rejette les appels au boycott de l'Alg�rie, mais il exige des excuses officielles de la part des autorit�s alg�riennes. Apr�s les starlettes et les artistes plus ou moins reconnus, des �crivains talentueux, comme Alaa Al Aswany ou Youssef Alqa�d, ont �t� happ�s � leur tour dans le tourbillon de la haine. Youssef Alqa�d, qui se r�clame de l'amiti� de Benhadouga (bravo !) et de Ouettar (hmm !), se surprend � jouer de perfidie en �voquant le mariage de Djamila Bouhired �avec un Fran�ais�(2). Quant � Alaa Al Aswany, il nous a r�gal� la semaine derni�re avec un texte splendide sur l'envers des tribunes du stade, � savoir la d�liquescence du syst�me de sant� �gyptien, compar� aux fastes du football. Malheureusement, il s'est laiss� aller cette semaine au d�lire patriotard qui frappe de plein fouet les �lites intellectuelles d'Egypte. Alaa Al Aswany se dit surtout r�volt� par le comportement des supporters alg�riens avec les supportrices �gyptiennes � Khartoum. Pour lui, rien de tout cela ne serait arriv� si le joueur alg�rien Belloumi avait �t� arr�t� en 1984 pour avoir �borgn� un officiel �gyptien. Si Belloumi avait �t� sanctionn� pour ses actes, tout le monde regarderait � deux fois aujourd'hui avant de s'en prendre � la dignit� des Egyptiens, affirme-t-il. Cependant, Ala Aswani admet avec lucidit� qu'il ne faut pas trop compter sur le r�gime Moubarak pour d�fendre la dignit� des Egyptiens. Il reconnait aussi que l'animosit� des pays arabes � l'�gard de l'Egypte est dict�e par le retrait de ce pays de la confrontation avec Isra�l. Heureusement que tous les Egyptiens ne sont pas devenus fous, au sens galvaud� du terme. Le quotidien Al-Destour, excellent quand il ne se prend pas au s�rieux, rapporte qu'il se passe de dr�les de choses au Jardin zoologique de Gizeh. Durant les f�tes de l'A�d, des visiteurs donnent une livre �gyptienne au gardien, en sus du prix du billet, pour pouvoir p�n�trer dans la cage aux lions, je dis bien la cage aux lions, et s'y faire photographier. Cela me rappelle qu'il y a quelques ann�es, bien avant l'arriv�e de Bouteflika, un animalier du parc zoologique de Ben-Aknoun avait conduit un lion aux urgences de l'h�pital Mustapha. Ce qui montre qu'entre les Egyptiens et nous, il y a plus que des points de divergence.
A. H.

(1) Le pr�dicateur islamiste Khaled Al-Djoundi n'a pas craint de se d�juger en affirmant, avant le match, que Dieu serait du c�t� des �pharaons�. C'est sans doute pour cela que la divine providence a abandonn� les Egyptiens, a rench�ri un autre pr�dicateur plus soucieux de �v�rit� th�ologique.
(2) Ce �Fran�ais� n'est autre que l'Alg�rien Jacques Verg�s qui a acquis la nationalit� alg�rienne par sa participation effective au combat lib�rateur de l'Alg�rie.

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