Chronique du jour : A FONDS PERDUS Les Alg�riens du Sh�m Par Ammar Belhimer [email protected]
Dans la morosit� politique qui nous p�se, sur fond de reniements
g�n�ralis�s � notre Histoire, un r�cent ouvrage vient nous r�concilier
avec nous-m�mes : Les Alg�riens de Bil�d ec-Sh�m : de Sidi Boumedi�ne �
l�Emir Abdelkader (1187-1911), de Kamel Bouchama (*). Il faut
reconna�tre qu�on �touffait en ces temps d�alg�ro-scepticisme et
d�ostracismes apr�s des d�cennies de sectarismes, d��troitesses et
d�exclusions.
Avec Kamel Bouchama, on retrouve la fiert� d��tre alg�rien
en allant sur les traces, anciennes et m�connues, de nos anc�tres dans
une contr�e souvent v�n�r�e : l�Orient. L�inexistence ou la raret� des
archives n�a pas d�courag� Kamel Bouchama dont le parcours s�inscrira en
lettres d�or dans la grande tradition des intellectuels diplomates.
Ambassadeur d�Alg�rie � Damas, il ne s�est pas, comme la plupart de ses
pairs, emmur� dans l�enclos dor� de sa r�sidence en qu�te des seuls
privil�ges que procure la fonction. Il a d�poussi�r� et ouvert la
repr�sentation, r�uni les �lites locales d�origine alg�rienne, collect�
des mat�riaux historiques pour nous livrer une �uvre qui m�rite le
respect. En charge de l�ambassade d�Alg�rie en Syrie, il croit pouvoir
recenser �une communaut� de plus d�un millions de personnes �,
principalement install�es en Syrie et en Palestine, une communaut� qui
demande � recouvrer un droit inali�nable � la nationalit� qui est la
sienne. �Cet acc�s ne lui a pas �t� facilit� par ceux dont
l�intransigeance et la rigidit� dans le traitement des dossiers leur
font commettre des impairs, en ignorant invariablement ce potentiel
vivant sous pr�texte de lois et de souverainet�. Un comportement que
l�Histoire ne leur pardonnera jamais !�, d�plore cependant l�auteur. Un
des r�sultats du passage de Bouchama � Damas est un bel ouvrage de 344
pages enti�rement consacr�s � cette �migration r�cente, �segmentaire et
continue� commenc�e au XIIe si�cle ; depuis �Hittin� jusqu�au
recouvrement de l�ind�pendance, en passant par �l��poque coloniale � o�
�elle devenait une n�cessit� pour un peuple qui ne pouvait plus
supporter le joug colonial�. Nous parlons d��migration r�cente, car
l�Histoire plus ancienne livre des secrets aussi peu connus des grands
chefs berb�res, comme le pharaon Sheshonq 1er, fondateur de la premi�re
dynastie berb�re d�Egypte en 945 avant J.-C. (il a �t� le premier dans
l�histoire de l�humanit� � reconqu�rir vers 925 av. J.-C. la Palestine
contre les royaumes d�Isra�l et de Juda, une conqu�te consign�e dans la
Bible), ou le pharaon Osorkon II qui r�gna de 874 � 850 av. J.-C., la
reine berb�re Karomama ou encore Nitocris qui portait le titre
prestigieux d��pouse d�Ammon, fille du pharaon Psamm�tique 1er qui r�gna
de 664 � 610 av. J.-C. L��poque romaine qui compte elle aussi une longue
liste de Berb�res parvenus aux plus hautes fonctions, s�ach�ve avec
l�arriv�e de Saint Victor 1er, pape berb�re n� en Afrique, � la t�te du
Saint-Si�ge entre 189 et 199, sous les empereurs Commode et Septime
S�v�re. Nos anc�tres berb�res reviendront en �gypte le 6 juin 969 sous
le calife fatimide Al-Mo�izz li-Din Allah, pour jeter les bases de la
nouvelle ville d�El-Qahira (Le Caire) et commencer par fonder la grande
mosqu�e d�El Azhar. Les Alg�riens continuent encore � fr�quenter
El-Azhar, prenant de ses ma�tres mais lui donnant �galement leurs
meilleurs savants comme El Maqari, historien alg�rien n� � Tlemcen vers
1591, mort et enterr� au Caire en 1632, ou encore Abou Zakaria Yahia
Mohamed E�chaoui El Miliani, un enfant de Miliana qui a enseign� au
Caire et � Damas. Apr�s la fondation de la nouvelle capitale, les
Fatimides �chou�rent � imposer leur chiisme aux populations. Pendant les
Croisades, les Berb�res sont aux premi�res rang�es avec les guerriers de
Sal�h Ed-Dine (Saladin). Ils ont particip� � la fameuse �bataille de
Hattin� et s�y sont �tablis pour continuer leur djihad du temps de la
troisi�me croisade dirig�e par Richard C�ur de Lion. Ils sont rentr�s
dans la l�gende avec leur chef Sidi Boumedi�ne Choa�b, professeur
�m�rite � B�ja�a et saint patron de Tlemcen. Cet �pisode m�rite d��tre
connu de nos enfants. Il date du 3 juillet 1187, lorsque, profitant des
disputes et rivalit�s internes entre les Templiers et barons Francs,
Saladin dut mobiliser 15 000 soldats musulmans pour reconqu�rir
J�rusalem. Ils affronteront 15 000 soldats chr�tiens, dont 1 200
chevaliers templiers (command�s par le grand ma�tre G�rard de Ridefort
et par le roi de J�rusalem Guy de Lusignan), le lendemain sur la colline
de Hattin qui surplombe le lac de Tib�riade. Un hommage particulier est
rendu ici � Abou M�di�ne Choa�b, ou El-Ghaouth, n� � S�ville en
Andalousie en 520 de l�H�gire � 1126 de l��re chr�tienne � sous le r�gne
du souverain almoravide Ali Ibn Y�s�f Ibn Tachfin. Une pr�cision de
taille pour indiquer que l��re des Almohades est marqu�e par le
d�ploiement des sciences sous le g�nie de savants comme Ibn Tufail, Ibn
Rushd, et d�autres. �Professeur �m�rite, Abou M�di�ne a d�ploy� tout son
talent avec de nombreux �l�ves qui assistaient avec ravissement � ses
cours et � ses conf�rences. Il a enseign� longtemps � B�ja�a o� il a
inculqu� � ses disciples � avec succ�s d�ailleurs � les grandes valeurs
de l�Islam et en particulier les doctrines mystique. � C�est de Hittin
que date donc l�installation des Alg�riens au Machreq. Une pr�sence et
une filiation jamais reni�es puisqu�on retrouvera dans les ann�es 1950
cheikh Tayeb El Okbi, �minente personnalit� de l�association des Oul�mas
� J�rusalem et � H�bron pour la d�fense des lieux �habous� alg�riens (waqf)
de Sidi Boumedi�ne � J�rusalem. G�ographiquement, la pr�sence alg�rienne
est assez marqu�e. On trouve trace de nos anc�tres en Palestine et en
Syrie d�abord, sur les traces de la chasses aux Crois�s et de l�exil
anticolonial. Dans la banlieue de Damas, pr�s de Merdj Es-Soltane, dans
la plaine d�El Ghouta, ou encore dans les quartiers de Bab es- Souiqa,
El Haymatia, Bab es- Seridja, Souk Seroudja, Ec- Ch�gour. Dans le Golan,
� l�est, l�Emir Abdelkader poss�dait des terres dans les localit�s de
Shadjara, Abidine et Beit Arrih, alors que de nombreux villages de
Galil�e, r�gion opulente de Palestine, et de Ha�fa, des Alg�riens
marquaient leur pr�sence. Jouxtant l�Esplanade des Mosqu�es, Hay
Al-Maghariba est une r�compense de Saladin aux combattants berb�res.
Dans l�un des immeubles, il y avait une mosqu�e et une zaou�a du nom de
Sidi Boum�di�ne El Ghouth, destin�es � l��ducation et � l�h�bergement de
nos p�lerins. Kamel Bouchama revisite les lieux : �Le tout se situe dans
le m�me quartier de J�rusalem, en sus du domaine d�A�n Karm, renfermant
des terres de labour, des locaux d�habitation pour les fermiers, des
jardins o� coulent des sources et o� existent des puits pour
l�irrigation.� Cette pr�sence est �galement accentu�e apr�s la reddition
de l��mir Abdelkader le 23 d�cembre 1847 et les soul�vements de cheikh
El Haddad et du bachagha El Mokrani. Lib�r� le 16 septembre 1852, l�Emir
quitte la France peu de temps apr�s � destination de la Turquie (o� il
effectue un court s�jour de trois ans � Bur�a � Brousse) et rejoint la
Syrie en 1855. Il n�est pas le premier � y poser pied puisqu�il y trouve
une forte communaut� constitu�e de nombreux intellectuels, des
fonctionnaires, des religieux, des anciens soldats, des agriculteurs,
des artisans. Ils ont construit une grande mosqu�e � Bab es- Souiqa,
mais point de �qobba� (comme ceux de Nouvelle- Cal�donie) et leur imam
n�est autre que l��mir Abdelkader. Ce dernier se fera rappeler � la
m�moire des chr�tiens du monde dominant en portant secours � leurs
coreligionnaires de Damas menac�s de massacres � partir du 9 juillet
1860. Des milliers de chr�tiens (12 � 15 000) avaient trouv� refuge et
hospitalit� dans ses demeures, prot�g�s par les soldats de l�Emir, une
escorte arm�e d�un millier parmi les plus valides au niveau des jeunes
Alg�riens. On retrouvera les Alg�riens du Sh�m, �troitement impliqu�s
dans les luttes de lib�ration des peuples du Maghreb, de Syrie et de
Palestine notamment. Dans ce dernier pays, �les �migr�s alg�riens de
1947 ont opt�, sous la direction de Ahmed Bensalem, pour la r�gion de
Galil�e en Palestine dont Akka, Saint-Jeand�Acre �. Du temps du
protectorat anglais, les combattants d�Azzedine El Qessem comptent de
nombreux Alg�riens qui ex�cutaient par pendaison pratiquement tous ceux
qui vendaient leurs terres aux colonies juives. Les Alg�riens au Sh�m
sont une �communaut� structur�e�, porteuse de valeurs, attach�e � ses
racines dans une dualit� �int�gration et compl�mentarit�.
A. B.
(*) Kamel Bouchama,
Les Alg�riens de Bil�d ec-Sh�m : de Sidi Boumedi�ne � l�Emir Abdelkader
(1187-1911),
344 pages, Editions Juba, Alger 2010.
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