Chronique du jour : KIOSQUE ARABE
Au sein ou au biberon ?
Par Ahmed Halli
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Al-Obe�kane, ce n'est pas le premier venu chez nous. Le cheikh saoudien, un des grands ma�tres de la fatwa fondamentaliste, est souvent sollicit� par nos m�dias, soucieux de �v�rit�s� mecquoises. Abd- Almohsen Ibn-Nacer Al- Obe�kane, de son nom complet, est la b�n�diction de ceux qui doutent de la validit� de leurs choix tactiques et strat�giques. Il tendrait m�me � supplanter dans le c�ur et les sollicitations des Alg�riens, soudainement pieux, le cheikh Karadhaoui.
Ce dernier a quelque peu perdu de son influence, � cause de sa proximit� avec tous les Alg�riens par mariage de raison et de son amiti� trop voyante avec qui vous savez. En Alg�rie, plus un mensonge nous vient de loin, et plus il est cr�dible et re�u comme paroles d'�vangiles canoniques (1). Il faut, cependant, veiller � garder ses distances et s'abstenir de lorgner vers nos beaut�s locales. Il suffit d'un mariage, aussi tardif qu'il soit pour le contractant, avec une de nos jeunes c�libataires pour entrer dans le cercle des incompris. Karadhaoui, devenu notre parent par la gr�ce de Dieu et celle de nos femmes, ne d�tient plus la v�rit� aux yeux de ceux qui pensent toujours qu'� d�faut de la Chine, l'Arabie saoudite est la destination id�ale. La Chine �tant pr�sentement la moins qualifi�e, malgr� son �loignement, pour aider les musulmans d�sempar�s, cherchant la formule miraculeuse. Or, s'il y a bien une constante dont nous sommes les gardiens jaloux, c'est notre m�fiance r�ciproque. Qu'un �tranger vienne � s�journer parmi nous, quelques jours de suite, et par la voie nuptiale notamment, et il aura perdu toute l'aura rapport�e dans ses bagages ainsi que le reste. L'Alg�rien qui tient en haute suspicion, souvent jusqu'� sa propre chemise, est un h�te g�n�reux, mais pour ceux qui ne s'attardent pas trop chez lui. Il suffit d'�pouser sa s�ur, sa fille ou sa cousine, pour que le coq de la veille sorte du poulailler en caquetant, les ergots abaiss�s. En dehors de Karadhaoui, tous les th�ologiens, d�sireux de durer, veillent � se maintenir hors du champ de nos armes � bout portant. Al- Obe�kane �tait de cette caste des prudents, promis � une belle et longue carri�re sur cette g�n�reuse et cr�dule terre d'Islam qu'est l'Alg�rie. Il avait notamment b�ni, il y a quelque temps, le projet de r�conciliation nationale, ch�re � nos islamistes et si ch�re pour les caisses de l'�tat. En effet, et avec l'absolution du cheikh, nous devons puiser dans les fonds de tiroirs, vid�s par la pr�dation, �rig�e en syst�me de gouvernement, pour payer tous les avantages consentis � nos bienheureux repentis. Al- Obe�kane ne l'a pas dit express�ment, mais prendre les armes, voler, piller, et tuer peut vous valoir de s�rieux avantages sociaux, y compris en mati�re de retraite. Ce qui me rappelle opportun�ment qu'il serait peut�tre temps que je pense � la mienne (2). En plus d'�viter de nous fr�quenter trop assidument, Abd-Almohsen Ibn-Nacer Al- Obe�kane avait � c�ur, jusqu'ici, d'�mettre des fatwas conformes � l'id�e qu'on se faisait ici de la nouvelle religion. Seulement, le terrain de la fatwa peut �tre jonch� de peaux de banane, et c'est sur l'une de ces peaux que le cheikh saoudien vient de glisser malencontreusement. D�rapage f�cheux ou op�ration de diversion au moment o� des d�bats existentiels agitent le royaume, notamment la relation homme femme et femmes-voitures ? Toujours est-il que l'un des th�ologiens les plus �cout�s du pays choisit ce moment-l� pour lancer son pav�. Il affirme sur un plateau de t�l�vision qu'une femme qui allaiterait un adulte agirait en conformit� avec la jurisprudence islamique. Avec les pr�cautions d'usage en la mati�re, il d�clare qu'une femme peut donner le sein � son domestique, par exemple, pour �tre dans une promiscuit� l�gale avec lui. Ce qui nous renvoie � la fatwa de 2007, �mise par un haut fonctionnaire d'Al-Azhar, � peu pr�s dans les m�mes termes. La fatwa avait fait grand bruit � l'�poque, et nombre de th�ologiens saoudiens avaient vilipend� le t�m�raire cadre de la prestigieuse universit�. L'�crivain satirique �gyptien Ahmed Radjeb avait m�me imagin� une longue file de candidats domestiques stationn�s devant la maison de la plantureuse Ha�fa Wahbi, pour la mise en pratique de la fatwa. Quelques semaines plus tard, une pi�ce de th��tre (3) reprenait le m�me th�me et montrait une longue file d'hommes attendant leur tour d'y aller. La fatwa de Riyadh a repris l'essentiel des arguments d�velopp�s alors par le proscrit d'Al-Azhar, � savoir les Hadiths et les �crits d'Ibn- Taymia. Cheikh Al-Obe�kane a fait encore mieux : outre la r�f�rence � Ibn-Taymia, il souligne que la pratique est valable en tous lieux et en tous moments. Toutefois, il a innov�, l'innovation �tant licite quand elle vient d'eux. Dans une autre d�claration � la cha�ne Al-Arabiya, il a nuanc� son propos, la femme pouvant, selon lui, allaiter un adulte sans lui donner le sein. Il sugg�re donc implicitement de donner un biberon, au lieu du sein, � tout candidat � un emploi ancillaire. Ce qui disperse, du m�me coup, les fantasmes de la cohorte masculine, imagin�e par Ahmed Radjeb, devant le domicile de Ha�fa Wahbi (4). Celle-ci, dira-t-on, vaut bien qu'on embrasse, avec elle, une carri�re de domestique, mais si c'est pour un biberon, merci, il y a des m�tiers plus gratifiants ! Cela �tant, Al-Obe�kane risque de laisser plus que des plumes dans ce remake de fatwa de l'allaitement. Il va perdre en particulier l'estime de ses amis fondamentalistes alg�riens qui voient encore s'�crouler un mythe qu'ils ont laborieusement �difi�. Ils veulent bien se laisser tenter, dans le secret de leurs fantasmes, mais sans oublier de recouvrir pieusement ce sein qu'ils ne sauraient voir. Je me suis laiss� dire, enfin, qu'on a parfois les ma�tres qu'on m�rite, sp�cialement lorsqu'on voit l'ouverture d'esprit dont font preuve les futures �lites du pays. J'ai ainsi appris, sans surprise, dans le quotidien Al-Fadjr, la m�saventure v�cue � Constantine par l'ex-secr�taire g�n�ral du FLN, Abdelhamid Mehri. Convi� � animer une conf�rence � l'occasion de la Journ�e de l'�tudiant, l'ancien ministre en a �t� emp�ch� par des �tudiants pr�sum�s. Ces derniers ont expliqu� que le sujet de la conf�rence n'avait rien � voir avec la religion (5), et l'ont annul�e, par cons�quent. Gageons que M. Mehri n'a pas �t� surpris, outre mesure par une telle attitude. Elle est le r�sultat d'une politique, notamment dans l'�ducation nationale, � laquelle M. Mehri a consacr� beaucoup de temps et d'efforts.
A. H.
(1) C'est �videmment une clause de style. Tout bon musulman sait ou doit savoir que les �vangiles ont �t� falsifi�s. Le jour o� les chr�tiens ouvriront les yeux � cette �vidence, ils deviendront comme nous, ce que je ne leur souhaite pas personnellement.
(2) Au fait, ne serait-il pas logique de faire b�n�ficier des dispositions de la r�conciliation nationale ceux qui se sont �rebell�s� contre l'�tat, mais sans autres armes que leur plume? Une id�e � creuser, avant que les fossoyeurs ne s'en emparent.
(3) Cette pi�ce intitul�e Kahwa sadda (Caf� noir ) est visible sur le site de YouTube, � cette adresse : http://www.youtube.com/watch ?v=sLwbQjTbBG8.
(4) On peut lui en vouloir pour ses propos contre l'Alg�rie, apr�s le fameux match de football, mais il faut dire, � sa d�charge, que ses arguments sont autrement plus convaincants que ceux de Yusra. Alors, concentrons toute notre ranc�ur sur Yusra, il suffit de la regarder pour voir qu'elle ne pourrait m�me pas remplir une t�tine.
(5) Lire � ce sujet l'excellent article de la directrice du quotidien Al-Fadjr, Hadda Hazem, (du 22/05/2010), qui met en garde contre la r�p�tition des �v�nements qui ont ensanglant� le pays.



Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/05/24/article.php?sid=100556&cid=8