Chronique du jour : A FONDS PERDUS
La p�riph�rie � l�honneur
Par Ammar Belhimer
ambelhimer@hotmail.com


S�il �tait de notre temps, Keynes serait un social-d�mocrate de droite ou un homme de centre gauche. Tirant les enseignements de la crise de 1929 comme personne d�autre ne l�avait fait avant lui, il tenait dans une sainte horreur la �th�saurisation� et la �trappe de la liquidit�, vouant aux g�monies les rentiers qu�il destinait � une euthanasie ou � une mort lente. De l�avis de Keynes, lorsque les m�nages rechignent � d�penser et les entreprises � investir, seule la d�pense publique peut briser le cercle vicieux de la d�pression qui les a mis sur leurs gardes.
Et cela gr�ce � l�intervention de la puissance publique qui se fait de deux mani�res. L��tat intervient d�abord comme pourvoyeur de fonds pour ses prot�g�s en faillite. En pleine euphorie n�olib�rale, Bush Jr donnait l�impression de parader � la t�te de bataillons de staliniens devant la Bourse de Wall Street pour voler au secours de banques mena�ant ruine. Si l�on croit l�agence d�information Bloomberg, les engagements financiers pris par les seules autorit�s publiques am�ricaines pour juguler la crise financi�re s��l�vent � pr�s de 7 800 milliards de dollars. De tels montants repr�sentent environ la moiti� du produit int�rieur brut (PIB) am�ricain. Et nous qui nous plaignons de subir une �conomie informelle qui repr�sente 40 % du PIB ! Comment a �t� combl� ce trou ? Les fonds proviennent pour l�essentiel � 4 800 milliards � des actions engag�es par la Federal Reserve (Fed), la banque centrale des Etats-Unis. Au fur et � mesure que la crise s�est d�velopp�e, elle n�a cess� soit de garantir les financements entre banques et au profit des grandes entreprises, soit d�intervenir directement pour fournir, aux Etats-Unis et ailleurs dans le monde, les dollars n�cessaires au fonctionnement des march�s financiers (pour l��quivalent d�environ 2 500 milliards de dollars). Les garanties apport�es aux d�p�ts bancaires des Am�ricains participent pour 1 400 milliards, le reste �tant constitu� du plan Paulson, de garanties publiques � des pr�ts immobiliers et des op�rations de sauvetage (Bear Stearns, A.I.G�) et de recapitalisation des banques (306 milliards pour Citigroup fin novembre). Rassur�s par toutes ces interventions, on croyait la crise derri�re nous, mais la voil� qui resurgit sous d�autres apparats : tarissement du cr�dit, effondrement des prix de l�immobilier, panne de secteurs structurants comme le b�timent. C�est l� que se manifeste une autre action de l�Etat, pour capter et recycler l��pargne de pr�caution. En temps de crise, la relance par la demande ne repose pas sur un pouvoir d�achat additionnel (les m�nages �pargnant en pr�vision de p�riodes de vaches maigres) mais sur des anticipations. Les conditionnalit�s attach�es au cr�dit � la consommation (taux prohibitifs et risques de saisies en bout de course) sont telles qu�il ne peut � lui seul constituer une alternative cr�dible et durable. Les Alg�riens ont pour leur part certainement eu raison de pr�venir le mal et de pousser vers la porte de sortie ou vers d�autres activit�s les Cetelem et autres sp�culateurs et usuriers l�gaux. La crise est donc loin d�avoir vomi tous ses m�faits : faute de cr�dit, la demande imm�diate de logements pour les m�nages et de biens d��quipements pour les entreprises se trouve fortement comprim�e et cette compression n�a d�autre cons�quence, par embrayage ou par transmission, que de ralentir, � d�faut de remettre aux calendes grecques, les nouvelles acquisitions de capacit�s de production, l�innovation, la relance de l�emploi et, finalement, la sortie de crise. La th�orie keyn�sienne retrouve ici sa pleine expression : en p�riodes de crise, les entreprises et les m�nages d�veloppent des �anticipations� pessimistes de l'activit� et se r�fugient dans une sorte �d'�pargne de pr�caution� qui a pour effet de remettre � plus tard les d�cisions d'investissements. Les acteurs �conomiques appliquent le principe de pr�caution lorsqu�ils anticipent une diminution de l'efficacit� marginale du capital. Et ce n�est pas la main invisible du march� qui va arranger les choses� Bien au contraire. Le march� intervient ici comme facteur aggravant. L'Etat retrouve des attributs �conomiques qu�on lui d�nie en p�riodes fastes pour aller combattre la contraction de la demande, r�colter les liquidit�s th�sauris�es, entreprendre leur recyclage et relancer l�investissement par des d�penses publiques suppl�mentaires. Le r�sultat escompt� est de renverser les anticipations tout en am�liorant les conditions de vie de millions de personnes, comme investir dans le logement social en pr�vision de r�percussions en cha�ne : cr�er des postes de travail dans le secteur du b�timent, satisfaire la demande sociale, logements accessibles � des m�nages qui en ont besoin, et d�penser sans tarder l'argent public pour relancer la demande et retourner les anticipations. Ces d�penses publiques ne provoquent l�effet escompt� que si elles portent, m�me temporairement, sur des investissements et restent �loign�es du fonctionnement ou du train de vie de l�Etat. La crise a pour autre cons�quence intellectuelle de r�habiliter un second �conomiste, Joseph Schumpeter, qui semble avoir �t� injustement mis au placard et dont Keynes avoue avoir �t� inspir� par ses travaux relatifs � l�innovation comme explicitation des phases A de Kondratieff, c'est-�-dire de plusieurs d�cennies de croissance forte, in�dite et pas forc�ment reproductible. Si l�innovation est au c�ur du capitalisme, comme il le clame haut et fort, tout lui donne raison. Nouvelles technologies et nouveaux d�bouch�s co�ncident pour remettre au centre de la pens�e �conomique ses proph�ties. Faire scruter la crise financi�re actuelle par Schumpeter devient alors un exercice de premi�re importance. L�av�nement des TIC se produit concomitamment avec l�acc�s � la consommation d�une grosse masse de 2 � 3 milliards d'individus (sur une population mondiale qui ne devrait plafonner � 9 ou 10 milliards de personnes que vers 2050), ce qui permet � certains �conomistes de pronostiquer une sorte de �trente globales�, comme la reproduction des Trente Glorieuses qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Schumpeter observait par ailleurs qu'une automobile peut aller d'autant plus vite qu'elle a de meilleurs freins. Pens�e tr�s profonde, oubli�e d�un monde de traders pr�tentieux et de sp�culateurs euphoriques donnant libre cours � leurs escroqueries financi�res. La remarque est particuli�rement vraie pour l'innovation financi�re. La mondialisation a pour finalit� de faire tomber les barri�res g�ographiques et de r�duire les �carts technologiques pour soutenir une croissance mondiale annuelle de pr�s de 5 %, un niveau exceptionnel, pendant plus de quatre ans, aliment� pour l�essentiel par les pays �mergents. Schumpeter r�affirmerait aujourd'hui que le capitalisme ne peut survivre, et finira fatalement en socialisme, comme il l'a �crit dans Capitalisme, socialisme et d�mocratie. Mais c�est compter sans le potentiel d'intelligence innovatrice du monde �mergent qui s'�veille de fa�on impressionnante. Il appara�t de plus en plus que l'Inde, le Br�sil et la Chine ne sont pas seulement des usines tourne-vis et des arm�es de r�serve de main-d'�uvre bon march�, mais aussi une �lite, des universit�s, des centres de recherche, de l'architecture, de l'art... Et si le capitalisme perdait en son centre (d��conomie sociale de march�) ce qu�il gagnait en p�riph�rie (comme capitalisme sauvage) ? Le tiers-monde peut-il alors reprendre espoir ?
A. B.

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