Mondial : LA COUPE DU MONDE DE MOHAMED BENCHICOU
Bigeard, le jour du vert et de Mbolhi


Ce fut donc le jour o� parut la chronique intitul�e �La derni�re bataille d�Alger�, le jour du match Angleterre- Alg�rie, celui o� les n�tres �taient cens�s porter le souvenir d�Ali la Pointe et de P�tit Omar, le jour de Mbolhi, de Cape Town et du Green Point Stadium, ce fut ce jour o� l�on pariait que Capello ne saurait �tre plus fort que le g�n�ral Bigeard et Jamie Carragher plus redoutable que Massu, le jour o� l�on �voqua son crime, le pilonnage de la maison de La Casbah, la maison du 5, rue des Abderames, puis la torture, le supplice de la baignoire, la g�g�ne, un �mal n�cessaire �, disait-il� Ce fut ce jour-l�, le jour d�un triomphe alg�rien, que mourut Bigeard.
Je crois bien qu�il est mort d�un tir de Ziani, � moins que cela ne fut d�un canon de Yebda ou d�une perc�e de Nadir Belhadj, fils d�un r�ve inachev�, d�une patrie bless�e, Ziani, n� � S�vres, Yebda, enfant de Saint-Maurice dans le Val-de-Marne, gamins de cette France que le g�n�ral disait ne plus reconna�tre, �Tu n'es plus celle que j'ai connue, �crivait-il avant sa mort, le pays du respect des valeurs, de l'hymne et du drapeau, le pays de la fiert� d'�tre fran�ais, adieu ma France�� Bigeard est mort le jour du match Angleterre-Alg�rie o� les n�tres �taient cens�s porter le souvenir d�Ali la Pointe et de P�tit Omar, le jour de Mbolhi, le jour o� l�on pariait que Capello ne saurait �tre plus fort que le g�n�ral Bigeard, le jour-anniversaire de l�appel du 18 Juin 1940, depuis Londres, quand le g�n�ral de Gaulle invita les Fran�ais � la r�sistance, � refuser la d�faite et � combattre l�Allemagne nazie ; le jour o� l�on se rappela qu�il y a les indig�nes pour �a, les grands parents de Antar Yahia, il y a cette chair noire et basan�e qui br�lera autour des champs de bataille, pour l�honneur de la France, les tirailleurs tunisiens de la division d'infanterie alg�rienne, les goumiers du groupement de tabors marocains� Ces hommes qui ne sauront jamais si, � d�faut de mourir pour leur propre libert�, ils allaient mourir du bon c�t� et qui tremblaient de peur, la peur d��tre des morts qui auront toujours tort car, apr�s leur mort, il n�y aura pas quelqu�un pour les d�fendre. Les grands-p�res de Yebda, de Ziani, 70 ans avant le match de Cape Town et du Green Point Stadium, entre les chars qui br�laient, de bourg en bourg, de corps en corps, entre les escadrilles am�ricaines et les blind�s allemands. �Allahou Akbar !� C��tait le soldat Djilali ! L�indig�ne Djilali. Mort au hameau de Ponthouin. Loin de son village du Khroub. Pour quelle cause ? Il ne savait pas. Un indig�ne, �a reste l�ind�crottable �type encha�n� qui se bat pour lib�rer les uns et les autres� et qui ne sait jamais rien. Djilali, en tout cas, ne savait pas. Ou peut-�tre r�vait-il en r�sign� : mourir pour les enfants, seulement pour les enfants ! Pour un monde lib�r� et sans doute oublieux, oublieux mais lib�r�, beau, insouciant et qui n�aura rien su de ses soldats indig�nes. �One, twoo, three, viva l�Alg�rie !�� Qu�importe la gloire ! De toute fa�on, le soldat Djilali est mort en anonyme, en banal morceau de chair noire et basan�e comme toutes celles qui br�lent, depuis un si�cle, autour des champs de bataille. Anonyme, pas en h�ros, les indig�nes ne meurent jamais en h�ros dans la guerre des autres. Djilali, mort inconnu, au hameau de Ponthouin, comme Lakhdar de Bou-Sa�da, mort il y a soixante-dix ans �sous leur neige de merde�, dans les bras de Bela�d, en vague martyr dont on oubliera le nom �crit en petit sur une pierre tombale.
�One, twoo, three, viva l�Alg�rie !�
Bigeard est mort le jour du match Angleterre-Alg�rie o� les n�tres �taient cens�s porter le souvenir d�Ali la Pointe et de P�tit Omar, le jour de Mbolhi, le jour o� l�on pariait que Capello ne saurait �tre plus fort que le g�n�ral Bigeard, le jour-anniversaire de l�appel du 18 Juin 1940, soixante-dix ans avant Cape Town et le Green Point Stadium, quand on se disait que dans la France, enfin d�livr�e, il y aura � rire et � danser pour tout le monde. Oui, pour tout le monde, se disait-on, puisque le monstre nazi �tait notre tourment � tous, qu�il avait co�t� du sang indig�ne pour le terrasser et qu�� bien y r�fl�chir, cette guerre avait fait du ma�tre et du m�tayer deux cr�atures � peu pr�s semblables. L�humiliation d�avoir �t� occup�s puis asservis tous les deux, �tait, pensions-nous, le plus court chemin vers l'�galit�, vers la fraternit�. C��tait avant ce mardi 8 mai, jour de march� � S�tif. Une manifestation pacifique � S�tif le jour o� l�Allemagne capitulait. En t�te du cort�ge, les �coliers et les scouts noy�s sous les drapeaux fran�ais, am�ricain, britannique et sovi�tique. Eh quoi, on f�te la victoire des Alli�s ! Mais il y avait A�ssa� Il est grand et il traverse la rue de Constantine avec un �trange drapeau, vert et blanc. Que vient faire ce drapeau vert et blanc ? �Sales Arabes ! On va vous montrer qui est le ma�tre ici !�
Ils ont tir�
Le jour o� la France dansait
Le jour o� Colbert, apr�s S�tif et Kherrata, ne fut plus qu�un vaste cimeti�re, Oradour-sur-Oued, oued de sang, quand de l��glise de la Sainte-Croix descendit une rivi�re pourpre, le long des forges, vers le caf� Santo, rasant les maisonnettes blanches aux toits de tuiles rouges, sous le parfum des lilas, des rosiers et des jasmins, formant de premi�res flaques sous les m�riers et les micocouliers puis de secondes devant les taudis o� agonisaient des familles affam�es. Bigeard est mort le jour du match Angleterre-Alg�rie o� les n�tres �taient cens�s porter le souvenir d�Ali la Pointe et de P�tit Omar, le jour de Mbolhi, le jour o� l�on pariait que Capello ne saurait �tre plus fort que le g�n�ral Bigeard, un 18 juin de l�ann�e 2010 o� l�on sortit pavoiser comme en 1962, dans ce qui sera appel� plus tard, l�ind�pendance, � la fin d�une guerre magnifi�e qui eut lieu dans l�exub�rance et la duplicit�, dans l�enthousiasme et les fourberies ; l�ind�pendance o� nous n�avons pas cess� d�esp�rer pour nos enfants ce que nos p�res avaient esp�r� pour nous, ce que le temps nous refusait alors, ce qu�il nous refuse toujours, un demi-si�cle plus tard, quarante-huit ans avant Cape Town et le Green Point Stadium, quand on se disait que dans l�Alg�rie, enfin d�livr�e, il y aura � rire et � danser pour tout le monde. Oui, pour tout le monde, se disait-on, puisque le monstre colonial �tait notre tourment � tous, qu�il avait co�t� du sang indig�ne pour le terrasser et qu�� bien y r�fl�chir, cette guerre avait fait du ma�tre et du m�tayer deux cr�atures � peu pr�s semblables.
Comment d�fendre le drapeau vert face � Peter Crouch et Frank Lampard ? Peter Crouch, un demi-si�cle apr�s Bigeard, une �ternit� apr�s Hassiba Ben Bouali�
Hassiba, dans quelle �ternit� as-tu exist� ?
M�me Sidi Ramdane a oubli�...
Qu'ai-je � dire � cette foule orpheline
V�tue de tes serments, et qui crie aujourd�hui, �coute bien, �One,
twoo, three, viva l�Alg�rie�
Le match est fini. Nous avons r�sist� � l'Angleterre.
Crouch n�a pas marqu�.
Bigeard est mort.
Un monde s�en va. Le malaise persiste.
Apr�s la Coupe du monde, quelqu�un interrogera le sable : suffisait- il de lib�rer la patrie de ses occupants, sans la d�livrer de ses ravisseurs ?
M. B.

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