Chronique du jour : ICI MIEUX QUE LA-BAS
De l’humour en temps de canicule


Par Arezki Metref
arezkimetref@free.fr
Faites léger ! La chaleur qui s’abat sur nous comme un prédateur sur sa proie, la dèche déjà bien entamée des endéchés, le mercure qui grimpe avec la même morgue que la mercuriale de la boustifaille à l’approche du Ramadan, tout ça exige bien un coup de ventilateur.
Un peu d’air pour… s’aérer ! De l’oxygène pour respirer correct. Déjà, comme ça, les choses sont assez lourdingues ! S’il fallait en plus les lester de gravité… Donc, faites léger ! Facile à dire. Tu veux que je te raconte des blagues, tiens ? Pourquoi pas ! Des blagues ? Je ne sais pas si c’est un personnage comique ou simplement un de ces antihéros qui souligne l’amertume et la placidité de l’univers mais Don Quichotte aurait eu, plus que jamais, du pain sur la planche ! Te redresser tout ça, mama mia ! Y a du boulot ! Tous ces moulins… A vent, à paroles !... Ce qu’il faudrait, camarade Sancho, ce ne sont pas des comiques, mais des justiciers… Des comiques, ça raconte n’importe quoi et ça palpe comme des footballeurs. Tandis que le justicier…. Mais il fait trop chaud pour la justice. Rions ! Dérision, humour… Comment ne pas être heureux de savoir que l’ami Abderahmane Lounès est encore sur la brèche. Depuis le temps qu’il ne cesse de nous faire rire de nous-mêmes, il va plus loin en revisitant Djeha… Increvable Djeha ! Lounès a mis dans la même chéchia, si j’en crois les journaux, Djeha et Harry Potter ! C’est redonner un coup de neuf à notre antique Djeha ! Djeha, justement ! Sagesse, malice et placidité ! Rien de tel pour faire oublier du feuilleton social les rebondissements infinis, les zigzags, les cahots, le chaos… Djeha, lui, c’est à la fois le comique et le justicier à travers lequel on se venge platoniquement… Chaque fois que ça coince, on le convoque manu militari… Quoi que tu dises ou fasses, il y aura à redire… Y a toujours une voix pour désapprouver, un zig pour te prendre pour un taré. Ainsi de Djeha revenant du marché avec son fils et son inénarrable âne… Les trois compères traversent un premier village. Commentaire de la djemaâ : «C’est-il pas malheureux… Un vieux assez vieux et un gosse très gosse marchant sous la chaleur d’enfer alors que l’âne s’ennuie sans charge». Toujours à l’écoute de la vox populi, Djeha fait grimper le gosse sur l’âne… Commentaire au deuxième village : «Quel monde : Le gosse qui vient à la vie monte sur l’âne tandis que le vieux, fatigué, marche sur ses pieds»… Au troisième village, Djeha avait déjà débarqué le gosse et pris sa place. Commentaire numéro trois : «Le monde n’est plus ce qu’il était… Les vieux se prélassent sur le dos de la monture tandis que les jeunes éreintent déjà leur force à marcher à pied… On ne sait plus qui n’a plus rien à perdre»… Au village d’après, Djeha réajuste. Ils sont à présent tous les deux, le gosse et le vieux, sur l’âne. Commentaire, inévitable : «Pauvre bête ! Ils vont la crever. Ce n’est pas assez de lui faire porter le bât. Il faut encore qu’ils montent dessus tous les deux.» Au dernier village, Djeha est comme à la première séquence. Avec le gosse, il marche à côté de l’âne. Dernier commentaire ? Retour au premier…. Djeha a compris ce qu’il savait déjà. Le regard des autres... Cioran : «Si l'on pouvait se voir avec les yeux des autres, on disparaîtrait sur-le-champ». J’en profite pour faire un coucou à ma copine Meriem qui m’a rappelé tantôt une des citations du sombre philosophe roumain dont l’œuvre est comme un magasin de cordes à se pendre. Tu tends la main et la première phrase venue, tu peux l’accrocher à un arbre ou une poutre et tu glisses le cou dedans… De toute façon, les pouvoirs politiques au cœur fragile ont toujours eu la main lourde à l’égard de ceux qui leur octroient la sagesse zoologique. Les fables qui font dire à des animaux ce qu’on doit penser des humains, ça exhale, en regard de la paranoïa des dictatures légères, comme de la subversion. L’expérience subie il y a plus de 20 ans par notre ami Mohamed-Saïd Ziad est significative. Nous sommes dans l’ère Chadli, «la décennie noire». Mohamed-Saïd tient une chronique dans Algérie-Actualité. A la veille d’un quelconque congrès ou comité central du FLN, il publie un conte où il est question d’un chacal, d’un âne et de je ne sais plus quel autre animal. Sitôt le journal paru, notre ami est interpellé par «les services» en compagnie de son directeur de la rédaction, Abdelkrim Djaâd. Les yeux experts des critiques ont vu dans chacun des animaux un des personnages les plus importants de l’Etat et du parti FLN. Le chacal, ne serait-ce pas Messaâdia ? Etc. Ce n’était pas jojo pour l’auteur mais si cette histoire est risible, c’est seulement par l’absurdité de la réaction officielle… Il est vrai que c’était un temps où on censurait jusqu’à la météo. Pourtant, la décennie noire reste comme la période où l'on a le plus ri jaune. On en aurait presque la nostalgie. Pas un jour ne s’écoulait sans qu’une «dernière», mettant en scène le grand timonier du bateau qui déjà tanguait, ne voie le jour… Sous cape, on se bidonnait à tout va dans un grand concert de hoquets. Jamais on n’aura tant rigolé. Tout le monde connaissait au moins «une» de ces blagues joviales qui, paraît-il, s’échangeaient même en conseil des ministres… C’est dire ! Les histoires drôles qui avaient pour héros l’antihéros perché tout en haut de l’escalier proliféraient sans qu’on sache d’où elles venaient. Elles étaient transportées à l’œil par la rumeur, d’un coin à l’autre du pays. Mais gare à qui s’y fait prendre la main dans le sac ! Il y a comme ça quelques exemples de maladroits qui ont payé de taule leur imprudence à avoir raconté une blague en public, une blague que tout le monde connaissait et relayait. Ainsi de ce brillant étudiant de l’INADC qui avait raconté, un soir de bonne humeur, une blague lors d’un festival de théâtre en France. En rentrant, on lui met les menottes dès l’aéroport… Effrayant ! On a raconté tout et n’importe quoi sur la source de ces blagues. L'obscurité qui entoure à ce jour les emetteurs ajoute au charme et à l'effroi de ces histoires. Qui fabriquait donc ces blagues dont la cohérence faisait soupçonner l’élaboration ? Des opposants en veine de rigolade ? Des clans adverses qui voulaient discréditer ? «La main de l’étranger» ? Un vieux de la montagne ? Si on repère l’acteur au vu de l’enjeu, il est tentant de situer les scénaristes des blagues présidentielles tout près du président. Les histoires colportées étaient ambiguës. Elles présentaient un président assez terne mais qui avait la particularité de ressembler à tout le monde. C’était comme une sorte de Bou Bagra, ce blédard joué par Hassan el Hassani, peu porté sur les choses de l’esprit, un peu à l’ouest mais situé au ground zero du populisme. Un personnage simplifié, épuré, humanisé, à la portée de tous, qui n’a rien de commun avec Ben Bella et son narcissisme élitaire ou avec la poigne de l’omnipotent Boumediène. Un type comme celui que décrivent les blagues de la décennie Chadli ne peut pas être un dictateur, voyons ! Au fond, ces blagues servaient, dans un renversement de l’image, le président. C’est pourquoi il n’est pas surréaliste de suspecter les mokh autour de lui d’en être les auteurs. On dit bien que Jacques Chirac doit son élection aux Guignols de l’info. Chadli devait aux blagues sa popularité de papa gâteau, Souk el Fellah dans une main et allocation devises dans l’autre, ce qui suffisait alors à dissimuler les aberrations et les inepties.
Atterrissez léger ! Facile à dire…
A. M.

P. S. d’ici : Même le poulpe extralucide n’y a vu que du feu. La chronique de la semaine dernière attribuait à la ministre espagnole de l’environnement… le nom d’une radio. Rien moins ! C’est rigolo mais pas tant que ça Cadena Ser n’est pas, rectifiez bien, le nom de la ministre de l’Environnement. Celle-ci s’appelle Maria Elena Espinosa Mangana mais on l’appelle communément Elena Espinosa. Cadena Ser est une chaîne de radio très populaire en Espagne. Comme il y a toujours un fautif, disons que j’ai été trompé par un site qui me semblait crédible. Mea culpa ! Mille excuses à Mme la Ministre et mille mercis à l’aimable lectrice qui m’a signalé le problème et filé la solution.

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