Contribution : La d�colonisation ch�re aux chouhada n�a pas eu lieu
(1re partie)


�Il est tr�s dangereux de dire ce que l�on pense, tr�s p�nible de ne pas le dire et tr�s pernicieux de dire le contraire.�
(Saint Augustin de son nom berb�re Aouregh n�Aferfan)
Par Ahc�ne Bouaouiche, psychologue � Constantine
Question � propos de cette �pigraphie, faut-il d�duire de cette grave sentence, attribu�e � l�illustre penseur berb�re, que le danger de dire la v�rit� et celui de l�entendre soient une constante de la culture universelle ou seulement une exception culturelle alg�rienne constante ?
En guise d�avant-propos
Je sais qu�� la seule lecture de l��nonc� de cet article, tous ceux qui, par conformisme ou par conviction id�ologique, ne veulent, des r�alit�s humaines complexes et nuanc�es, observer que leurs manifestations historiques apparentes, me voueront probablement aux pires g�monies. Les moins incisifs parmi eux me reprocheront s�rement de situer indistinctement et arbitrairement au m�me niveau de r�pugnance morale et de d�sapprobation politique, la malfaisance du pouvoir colonial et les errements du pouvoir national.
Composition de cette contribution
Cette contribution r�dig�e dans l�obligation de la concision comprend deux parties :
- La premi�re partie est consacr�e � une r�trospective de l�Alg�rie colonis�e et � un rappel basique de la nature du colonialisme et de ses effets n�gatifs.
- La deuxi�me partie aborde la probl�matique de la d�colonisation inachev�e de l�Alg�rie, de ses paradoxes et des effets r�gressifs qu�elle a engendr�s.
PREMI�RE PARTIE
Une analogie critique
Imaginer, m�me dans une vision positiviste, une analogie critique entre les effets n�gatifs du colonialisme et les effets r�gressifs de la d�colonisation est une repr�sentation politique � la limite des convenances sugg�r�es par une certaine lecture crisp�e de l�histoire nationale. Les censeurs scrupuleux de la raison patriotique, farouchement r�tifs � toute forme d��tudes critiques de l�histoire nationale, ne manqueront pas d�assimiler ma d�marche � une inadmissible h�r�sie id�ologique.
Approche inhabituelle et paradigmes singuliers
Sans doute, d�aucuns me suspecteront de verser subrepticement dans un grave et malencontreux m�lange des genres cat�go-riellement antinomiques. Il est vrai que la probl�matique pos�e ici, sensible du point de vue �motionnel, historique et politique, inhabituelle dans sa formulation et singuli�re de par ses paradigmes, n�est pas � l�abri de la critique.
Retour � quelques notions de base du colonialisme
Depuis son av�nement intempestive dans l�histoire moderne, tant�t glorifi� par ses supp�ts, tant�t vilipend� par les hommes d�intelligence et de progr�s, en final vaincu par les peuples, qui en p�tissaient, le colonialisme rel�ve, d�sormais, d�un pass� r�volu. Il n�est plus, de nos jours, qu�un sujet d�histoire, � propos duquel tout a �t� dit et �crit. Si, toutefois, je tiens � revisiter bri�vement les notions basiques qui le d�finissent, c�est dans le but de donner quelques r�f�rences th�oriques au d�bat engag� dans cet �crit. Bien que les manuels sp�cialis�s de valeur universitaire, traitant avec comp�tence du colonialisme, abondent dans les librairies librairies et biblioth�ques, j�ai intentionnellement orient� mes recherches bibliographiques vers les seuls lexiques encyclop�diques ; j�ai consult� ainsi quatre d�entre les plus connus : Hachette, Larousse, Quillet et Robert.
D�finition du colonialisme selon les encyclop�dies
Ce que ces lexiques, usant d�une terminologie acad�mique, �crivent dans un style pond�r� � propos du colonialisme conforte enti�rement les th�ses qui lui sont hostiles. Il n�est question que de doctrines politiques tendant � l�gitimer un syst�me arbitraire d�occupation de territoires d�autrui, d�usurpation et d�exploitation des richesses naturelles des pays colonis�s au profit des pays colonisateurs, et d�asservissement des populations colonis�es. En effet, il n�est nulle part fait la moindre mention d��uvre civilisatrice ou d�effets positifs de la colonisation.
Le colonialisme : rapine, despotisme, immoralit� et corruption
A la diff�rence des d�finitions dispens�es par les encyclop�dies, la litt�rature sp�cialis�e produite par des hommes de r�elle comp�tence et de grande qualit� intellectuelle et morale, activement engag�s dans l�actualit� sociale �conomique et politique de leurs pays et du monde, consid�re le colonialisme comme ayant �t� la plus abjecte, la plus barbare et la plus raciste des aventures que les peuples colonis�s aient eu � subir et que l�histoire humaine contemporaine ait eu � conna�tre :
- l�usurpation des richesses naturelles, des biens mat�riels, et des biens culturels, est toujours et partout le motif principal de toute entreprise de conqu�te des territoires d�autrui ;
- les m�mes fins justifiant les m�mes moyens, tous les conqu�rants s�inspirent des m�mes doctrines politiques, adoptent les m�mes modes op�ratoires, fonctionnent selon les m�mes sch�mes et usent des m�mes m�thodes de r�gentation des pays et des peuples soumis ;
- pour avoir connu toutes les formes de domination politique, les Alg�riens ont appris � ne point faire de distinction entre elles ; il n�y a gu�re de dominations �trang�res plus cl�mentes que d�autres ; il n�y a que des dominations plus ou moins longues les unes par rapport � d�autres.
La subordination : principe de r�gentation coloniale
En g�n�ral, quand une petite minorit� se donne pour vocation ill�gitime de vouloir gouverner tout un peuple, elle s�oblige ipso facto � produire un mode politique d�embrigadement arbitraire en pr�conisant brutalement une implacable inversion de la hi�rarchie des valeurs morales et sociales traditionnelles et � recourir � des proc�d�s cyniques de subordination en direction de la partie corruptible de la population, qu�elle instrumentalise pour entreprendre de soumettre par la violence l�autre partie de la population qui lui est r�fractaire. En envahissant l�Alg�rie, les forces coloniales fran�aises avaient conscience qu�elles ne pouvaient ni l�occuper durablement ni l�administrer efficacement sans s�adjoindre imp�rativement de larges complicit�s indig�nes soumises. Au tout d�but de la colonisation, les Fran�ais n�ont pas eu besoin d�inventer de mod�le d�administration et de gestion de l�Alg�rie ; ils avaient trouv� sur place un mod�le idoine laiss� en d�sh�rence par les Ottomans en capitulant. Ils l�ont imm�diatement adopt� et appliqu� dans l�int�gralit� de sa conception : sch�ma organique, mode de fonctionnement et nomenclature des t�ches assign�es aux agents indig�nes (ca�d, bachagha, agha, etc.) Ils l�ont conserv� et reproduit jusqu�� l�ind�pendance de l�Alg�rie, sans rien modifier � sa structure initiale et � son usage.
DEUXI�ME PARTIE
La d�colonisation, c�est quoi au juste ?

Cette question peut para�tre, � double titre, sp�cieuse et saugrenue. D�abord, parce qu�elle est pos�e presque un demi-si�cle apr�s la proclamation de l�ind�pendance, autrement dit un demi-si�cle apr�s la d�colonisation de l�Alg�rie, ensuite parce que le terme d�colonisation exprime par lui m�me l�action qu�il implique, � savoir le d�passement et/ou la n�gation de la colonisation. Les historiens, les sociologues, les philosophes et les politiques engag�s ont t�moign�, en toute v�rit�, que le peuple alg�rien avait endur� la colonisation comme on endure une odieuse injustice de l�histoire. Par cons�quent, la d�colonisation pour laquelle les Alg�riens ont consenti d�incommensurables sacrifices doit logiquement leur restituer la dignit�, la justice et les droits essentiels dont les avait syst�matiquement frustr�s le colonialisme. Consid�r�e dans cette perspective, la question pos�e s�av�re ni sp�cieuse ni saugrenue. Car il s�agit moins de savoir ce qu�est le colonialisme, que de savoir si apr�s un demi-si�cle d�ind�pendance nationale, la d�colonisation a ou non r�pondu aux aspirations l�gitimes des alg�riens. Somme toute, il faut exister dans une bulle scrupuleusement aseptis�e, haut plac�e au-dessus des lois des hommes, tr�s �loign�e des r�alit�s de la quotidiennet� alg�rienne, pour ignorer les al�as et les avanies de tout genre, qui sans r�pit, assaillent les citoyens : injustice sociale, tracasseries administratives, vexations bureaucratiques, humiliations au moindre contact avec les services publics, pratiques �hont�es de passe-droit, m�pris affect� sans vergogne � l�endroit des citoyens sans d�fense, et j�en passe ; tous des fl�aux et vices sociaux et moraux oppressifs, qu�on disait n�appartenir en propre qu�au syst�me politico-administratif colonialiste. Comment, diable, sans user de d�magogie politicienne et sans malhonn�tet� intellectuelle, qualifier un pouvoir politique qui reproduit et cultive toutes ces vilenies d�un pass� colonial, qu�on croyait avoir � jamais bannies, au prix de l�immense sacrifice humain, dont tout le monde en a t�moign� ? A ce niveau d�analyse, il convient d�observer que pour un esprit avis�, les actes syst�matiquement r�pr�hensibles perp�tr�s par le pouvoir colonial ne doivent en aucun cas, par le jeu dangereux d�une quelconque duplicit� intellectuelle, absoudre les actes condamnables que commet le pouvoir national.
D�colonisation : concept universel, significations divergentes
D�finitions des encyclop�dies
Les lexiques encyclop�diques, usant comme � l�accoutum�e de formulations lapidaires et sobres, d�finissent la d�colonisation en ces termes : - Action d�accorder l�ind�pendance � un pays colonis�.
- Voies et processus par lesquels un pays colonis� acc�de � l�ind�pendance.
- Mesures politiques et juridiques conf�rant � un �tat colonis� le statut d�un �tat libre. Cette conception id�ologiquement neutre a l�inconv�nient de consid�rer que les aspects conventionnels et la phase ultime de la d�colonisation. Elle occulte totalement les processus historiques qui l�ont longuement anim�e et in fine impos�e � l�histoire g�n�rale.
La d�colonisation, les Am�ricains, les Alg�riens et De Gaulle
L�id�e de d�colonisation, en tant que concept g�opolitique a �t�, pour la premi�re fois, �nonc�e par les Etats-Unis d�Am�rique vers la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cependant, bien avant que cette id�e bienvenue ne vint heurter la conscience politique universelle, et particuli�rement la mauvaise conscience coloniale europ�enne ab�m�e par l�aventure fasciste, le peuple alg�rien menait depuis d�j� plus de cent quinze ann�es un combat rude, constant et solitaire contre un colonialisme fran�ais des plus farouches. L�id�e de d�colonisation venue d�Am�rique fut diversement per�ue par les Europ�ens. Par rapport, tout particuli�rement � l�Alg�rie, consid�r�e trois d�partements fran�ais d�outre mer, la classe politique fran�aise, dans son ensemble, r�cusa cette id�e avec v�h�mence. Max Gallo �crivait, cependant, que le g�n�ral de Gaulle n��tait pas, quant � lui, tout � fait hostile � une certaine id�e de d�colonisation. L�histoire nous apprendra que sur cette question, De Gaulle avait une id�e bien � lui, dont n�avaient la confidence que ses tr�s proches. C��tait � Constantine, en 1944, que De Gaulle �voqua, pour la premi�re fois, l�avenir de l�Alg�rie et aborda le th�me de l��mancipation de l�homme et le droit des peuples � disposer d�eux-m�mes. En ce temps-l�, la France �tait encore sous domination allemande. C��tait s�rement le sort de la France occup�e, qui, le plus, pr�occupait le g�n�ral.
Les �v�nements de mai 1945 et leurs r�percussions politiques
Au mois de mai 1945, au moment m�me o� le peuple fran�ais c�l�brait dans une grandiose jubilation populaire �la France lib�r�e�, le peuple alg�rien endurait, de la part des autorit�s coloniales fran�aises, l�une des plus sanglantes r�pressions de son histoire. De Gaulle et ses compagnons du Comit� fran�ais de lib�ration nationale (CFLN) �taient alors aux commandes de la France lib�r�e. Peu apr�s ces �v�nements tragiques de mai 1945, les soubresauts d�une situation politique fran�aise chaotique et impr�visible oblig�rent De Gaulle � prendre ses distances par rapport aux affaires courantes de l�Etat. Mais persuad� d�incarner seul la grandeur de la France, il n�avait, � vrai dire, jamais d�sert� les hautes sph�res de souverainet� o� se m�ditaient s�rieusement les grandes orientations de la France. De Colombey-les deux Eglises, le petit bourg o� il s��tait retir� en 1947, le g�n�ral de Gaulle suivait avec un int�r�t particulier, disait-on, l��volution politique, sociale et s�curitaire de l�Alg�rie. Il avait acquis l�intuition que cette colonie fran�aise, � la fois trop proche et tr�s lointaine, allait bouleverser le devenir de la France et d�cider de son propre destin politique. Esprit avis� et homme de grandes exp�riences De Gaulle pressentait que la brutalit� particuli�rement f�roce avec laquelle les manifestations de mai 1945 furent r�prim�es, ne pouvait qu�exacerber significativement les sentiments anticolonialistes des alg�riens, radicaliser dangereusement leur volont� ind�pendantiste et les d�terminer � forger des modes d�organisation, des formes et des moyens de lutte in�dits, de force � mettre en grave p�ril l��quilibre politique et social de la France, et contaminer ses relations avec ses colonies africaines, �quilibre d�j� sensiblement inqui�t� par l�effet de d�labrement moral de la caste politique parisienne et de l�aveuglement suicidaire du puissant colonat pied-noir d�Alger.
Juguler le PPA/MTLD : premi�re priorit� de De Gaulle
Les gardiens du temple r�publicain fran�ais et � leur t�te le g�n�ral De Gaulle, alors en r�serve de la r�publique, ne pouvaient se r�soudre � laisser la France sombrer, � cause de l�Alg�rie, dans un d�sordre historique fatal. Conjurer le danger repr�sent� par les ind�pendantistes alg�riens fut l�une des t�ches engag�es en priorit� par le g�n�ral De Gaulle et son compagnon de la r�sistance Roger Wibot, alors tout puissant patron de la Direction de la surveillance du territoire (DST). L�objectif strat�gique arr�t� n��tait pas tant d��radiquer totalement du paysage politique le PPA/MTLD, porteur radical et exclusif de l�id�al ind�pendantiste alg�rien, que de l�infl�chir � la vision gaullienne d�une �d�colonisation� aux couleurs de la France gaulliste. La mission d�infl�chissement du mouvement nationaliste alg�rien fut confi�e � un service de police expert en manipulations, lequel n�avait pas la r�putation de faire dans la dentelle et pour qui �la fin justifie tous les moyens� : le recours aux mensonges, aux d�nigrements, aux chantages, aux harc�lements administratifs, aux trafics d�influence. Tout �tait permis, rien n��tait proscrit ; l�essentiel �tait de parvenir � infiltrer les rangs du PPA/MTLD, y d�ployer des actions sourdes de sape visant ses �lites, ses instances d�encadrement et ses meilleurs militants. La finalit� politique recherch�e �tait de d�biliter le mouvement nationaliste alg�rien de le vider s�v�rement de toutes ses ressources vivifiantes afin de le mettre en dissonance flagrante, par rapport � son propre id�al politique. Dans l�histoire du mouvement national alg�rien, les cas de manipulation polici�re ont �t�, certes, nombreux, n�anmoins, je n�en citerai que les deux qui, � mon avis, lui ont �t� les plus pr�judiciables et qui dans la dur�e se sont av�r�s les plus nocifs � la nation alg�rienne.
- Le complot dit �berb�riste� 1949/1950
Les historiens enclins aux raccourcis et � l�amalgame ont attribu� ce soi-disant complot � l�antagonisme �berb�re-arabe� sur fond d�un irr�dentisme amazigh r�current en Kabylie. Dans ses M�moires d�un combattant, livre paru en 2009, aux �ditions Barzakh, Hocine A�t Ahmed, acteur et t�moin vivant de cet �pisode, donne une version authentique et �difiante des faits. Rien � l��poque ne pr�sageait d�un tel complot ; il n�y avait au sein du PPA/MTLD aucune raison objective, aucune exigence id�ologique, aucune n�cessit� organique partisane, aucune urgence politique � d�battre, encore moins � s�affronter, � propos d�un sujet purement th�orique et tellement �tranger aux devoirs du moment. Il n�est pas n�cessaire de chercher ailleurs les vrais motifs de ce pseudo complot : les instigateurs aux ordres des services de renseignements du gouvernement g�n�ral d�Alg�rie, command�s par le colonel Schoen, sp�cialiste des op�rations de manipulation des partis politiques, avaient pour mission prioritaire de d�membrer le PPA/MTLD et d�affaiblir principalement le courant ind�pendantiste radical. En l�occurrence, ils visaient tout particuli�rement � neutraliser en l�isolant et en la diabolisant une r�gion sensible fortement engag�e dans la lutte de lib�ration nationale. De cet �pisode tragique de faux complots berb�ristes et de r�elles intrigues polici�res, on ne retient plus, aujourd�hui, que les noms de quelques militants braves et valeureux, tous issus de la toute premi�re origine du nationalisme alg�rien, accus�s � tort d�une �instigation ethnique� dont en v�rit� ils n��taient eux-m�mes que d�innocentes victimes.
- La scission du PPA/MTLD de 1953/54
Cette scission survenue en 1953 entre les fid�les � Messali Hadj et les partisans du comit� central du parti (messalistes et centralistes) avait, � l��poque, provoqu� un v�ritable s�isme politique en Alg�rie et en France �galement. Ce d�saccord d�opinions � propos du leadership n�avait aucun caract�re exceptionnel de r�el gravit� id�ologique, organique et/ou strat�gique de nature � exposer � un danger fatal et irr�m�diable l�existence d�un parti glorieux, solidement ancr� dans le pays et tr�s largement populaire. Cette diff�rence de points de vue, ordinaire s�il en �tait, n�aurait probablement jamais d�g�n�r� en conflits fratricides jusqu�� conduire le parti � son implosion int�grale � politique et organique � sans les intrusions corrosives sournoisement men�es par la police politique coloniale plac�e sous l�autorit� de Jean Vaujour, directeur des renseignements g�n�raux d�Alger. Les incidences politiques engendr�es par cette crise furent ind�niablement les plus nuisibles et les plus tenaces de l�histoire du nationalisme alg�rien.
De Gaulle ne change pas de th�orie, il change de fusil d��paule
En un laps d�une d�cennie, de 1945 � 1955, De Gaulle reconsid�rera sensiblement sa vision et ses vis�es � propos de la probl�matique alg�rienne et de la nature des rapports que la France se devra de d�velopper avec l�Alg�rie. De sa conduite et des discours politiques essentiels d�coule la certitude que De Gaulle n�a jamais �t� un convaincu f�ru de l�Alg�rie fran�aise. Esprit conservateur, tr�s vieille France, il �tait oppos� au m�tissage culturel. Par rapport � l�Alg�rie, il craignait, par-dessus tout, qu�avec la conjonction des produits certains de la d�mographie et des effets pervers du temps, la France par la v�rit� du nombre, ne devienne inexorablement alg�rienne. En fait, De Gaulle ne tol�rait la diversit� et les diff�rences culturelles que dans la fiction et la d�magogie de la rh�torique, jamais dans leurs r�alit�s sociales v�cues, faites de proximit� et d�intimit�. De son exil d�Alger, le g�n�ral a, entre autre, retenu qu�on ne pouvait ind�finiment jouir de l�Alg�rie, de ses ressources naturelles, de son ciel bleu, des contrastes saisissants de ses paysages, tout en ignorant impun�ment ses hommes, sa culture et ses traditions.
La guerre de lib�ration : ultime duel Alg�rie-De Gaulle
Revenu aux commandes effectives de la France en mai 1958, intimement et secr�tement convaincu de l�in�luctabilit� historique de l�ind�pendance de l�Alg�rie, De Gaulle n�avait plus vraiment pour dessein de maintenir l�Alg�rie dans le giron de la France, ni m�me de persister � vouloir infl�chir les Alg�riens � sa conception de la d�colonisation d�clar�e aux couleurs de la France. Il savait, d�sormais, ces deux missions impossibles, rendues toutes deux anachroniques par l��volution acc�l�r�e et irr�versible de l�histoire des peuples. Quarante-deux mois apr�s le d�clenchement de la lutte arm�e de Lib�ration nationale, il ne restait au g�n�ral De Gaulle, d�tenteur l�gal de l�ensemble des pouvoirs civils et militaires, qu�autant de mois pour mener � terme le programme engag� d�s apr�s les �v�nements sanglants de mai 1945 � savoir l�an�antissement syst�matique des �lites du mouvement ind�pendantiste alg�rien : - il se devait, le temps pressant, d�intensifier la guerre d�j� �pre et tenace contre les maquisards de l�int�rieur, avec la ferme d�termination d�exterminer les chefs charismatiques de la lutte arm�e de Lib�ration nationale ; - le prestige et l�autorit� morale incontestable, dont ces combattants jouissaient aupr�s des populations alg�riennes, pouvaient, en effet, contrarier les intentions politiques inavou�es de De Gaulle. Cette ultime mission anim�e par le ressentiment et le d�pit, inspir�e par des motifs politiques d�une grande indignit� morale, De Gaulle et les siens la consacr�rent � an�antir rigoureusement les forces vives du peuple alg�rien d�j� �prouv� par une longue histoire coloniale et une guerre impitoyable, et � ensemencer les ferments de la discorde dont la finalit� n��tait rien moins que de vouer fatalement l�Alg�rie ainsi affaiblie et gravement �t�t�e � une gouvernance d�grad�e, � un chaos g�n�ralis� et aux ordres occultes d�une certaine France.
Les crises du PPA/MTLD : croissance ou nuisance
Les crises nuisibles v�cues par le PPA/MTLD ne sont pas de celles �voqu�es par la th�orie qui professe que les crises, en g�n�ral, conditionnent, rythment et jalonnent la croissance et l��volution naturelles des hommes et des peuples. Le fait que le mouvement nationaliste alg�rien n�ait pas, en d�pit de ces nuisances, d�vi� de sa trajectoire ind�pendantiste, jusqu�� l�ind�pendance arrach�e, ne prouve absolument pas l�innocuit� ou l�inop�rance de ces crises ; il atteste, tout au plus, de la volont� puissante du peuple alg�rien � se lib�rer du joug colonial. En r�alit�, toutes les crises politiques ayant affect�, d�une fa�on critique, le mouvement nationaliste alg�rien et particuli�rement le PPA/MTLD, ne pr�sentaient aucun caract�re de n�cessit� objective de croissance ou d��volution, elles furent, � chaque fois, artificieusement foment�es dans l�unique intention de nuire profond�ment et durablement. Comme il est impossible de d�tourner l�histoire de la perspective qu�elle a d�cid� de prendre, De Gaulle et ses acolytes se sont alors engag�s dans une politique meurtri�re d��limination physique s�lective des �lites fondatrices de l�histoire alg�rienne moderne. Les Alg�riens qui, aux temps de ces crises majeures n�avaient pas encore atteint l��ge de raison, ne pourront jamais deviner la grande qualit� morale, l�ind�niable valeur intellectuelle, l�incroyable courage et l�ind�fectible patriotisme des �lites et des militants nationalistes de l��poque. Tous des braves � jamais disqualifi�s ou disparus, victimes innocentes, tout � la fois, de l�ambition suicidaire de certains de leurs propres compagnons de lutte et des conspirations ourdies par les agents de l�administration coloniale. Les stigmates de ces crises concoct�es, il y a de cela plus d�une soixantaine d�ann�es, r�vis�es continuellement au gr� des conjonctures, entachent toujours notre destin national. Dieu seul sait, combien de temps encore nous aurons � subir leurs n�fastes incidences ! Certes, la liquidation violente de tous ces hommes d�exception, anonymes et/ou connus, a laiss� un immense espace compl�tement �rod� et particuli�rement propice au surgissement fr�n�tique d��tres insolites p�tris de m�diocrit�, d�immoralit�, d�arrogance et agit�s par une inimaginable propension � la pr�dation. Il me pla�t de me poser la question, d�sormais, vaine, je le sais, de savoir ce qu�aurait �t�, aujourd�hui, l��tat de la nation alg�rienne si ce mouvement nationaliste alg�rien n�avait pas subi toutes ces crises assassines, et si le pouvoir gaulliste n�avait pas dix-sept ans durant pratiqu� sa sinistre politique de liquidation physique ciblant sp�cialement les patriotes alg�riens poss�dant indubitablement l�envergure et les qualit�s d�hommes d�Etat.
La d�colonisation inachev�e
Certains ind�pendantistes r�duisaient la d�colonisation � un simple programme de renversement formel du pouvoir politique colonialiste. En fait, ils ambitionnaient secr�tement de d�coloniser l�Alg�rie en pr�servant et en conservant intacte et op�rationnelle l�architecture politico-administrative coloniale : son organisation, son style et r�gles de fonctionnement, expurg�e seulement des hommes, des symboles et de la rh�torique � r�sonance colonialiste. De l�Alg�rie ind�pendante, ces militants de la d�colonisation artificieuse ne visaient qu�� investir les hauts lieux du pouvoir et des honneurs et s�emparer des fortunes mirifiques d�sert�es par leurs poss�dants, victimes expiatoires des lois de l�histoire. Je pr�sume que c�est � leur sujet que Larbi Ben M�hidi, dans un document dat� de f�vrier 1957, �crivait : �J�ai la hantise de voir se r�aliser mon plus cher d�sir ; lorsque nous serons libres, il se passera des choses terribles, on oubliera toutes les souffrances de notre peuple pour se disputer des places ; ce sera la lutte pour le pouvoir. Nous sommes en pleine guerre et certains y pensent d�j� et les clans d�j� se forment.� De son c�t�, le colonel Lotfi, chef de la Wilaya V historique, se confiant � Ferhat Abbas, pr�sident du GPRA, en termes indign�s mais combien pr�monitoires, disait : �Certains chefs r�vent d��tre des sultans au pouvoir absolu. Ils n�ont aucune notion de la d�mocratie, de la libert� et de l��galit� entre les citoyens. Que deviendra l�Alg�rie entre leurs mains ?� Obnubil�s par l�exaltation effr�n�e de leurs r�ves insens�s, ayant perdu toute lucidit� politique, ces hommes refusaient farouchement d�entendre raison et d�admettre qu�une d�colonisation inaccomplie, qui plus est, d�vi�e de sa trajectoire morale et politique, encourait le risque inexorable de s�av�rer aussi n�faste et aussi cruellement injuste que le colonialisme.
A. B.
(A suivre)

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