Chronique du jour : LETTRE DE PROVINCE
Salon du livre : les boutiquiers et l�acad�micienne
Par Boubakeur Hamidechi
hamidechiboubakeur@yahoo.fr


Dans moins de deux semaines se tiendra le Salon international du livre d�Alger. Un rendez-vous majeur et pr�cieux de ces derni�res ann�es au cours duquel le microcosme culturel est invit� � faire son march�. Mais pas que cela, cependant, pour peu que les organisateurs lui donnent l�occasion de d�battre de l��tat des lieux de la culture et de faire cet examen sans concession. C�est-�-dire pouvoir mettre � la lumi�re la grande mis�re qui l�affecte.
Car, � moins de d�mentir un diagnostic �tabli 40 ann�es plus t�t (colloque sur ce th�me en 1968 d�j� !) et de continuer � romancer sur notre �g�nie cr�atif�, ce malaise- l� est bien r�el. Le sentiment que rien ne va dans ce domaine et que les rapports avec les savoirs et l�inventivit� artistique ou litt�raire ne sont plus conformes � ce que l�on y a cru ou, pire, ce que l�on nous a dict�, signe gravement notre d�clin actuel. La crise politique et identitaire, � l�origine des questionnements pr�sents, ne postule-t-elle pas � de nouvelles r�ponses en rupture avec les vieilles orthodoxies id�ologiques ? Il s�agit, d�sormais, de cesser de recourir � l�incantation trompeuse dont on ne mesure jamais assez les ravages qu�elle a occasionn�s. De nos jours, la possibilit� est non seulement ouverte, mais correspond �galement � une n�cessit�. Et celle-ci est d�autant plus de l�ordre de l�urgence que nous avons v�cu une longue p�riode o� il nous semblait plus confortable de cultiver les conformismes officiels et s�interdire de penser autrement. Dans le domaine litt�raire notamment, la perte de r�f�rences ou, plus exactement, leur d�voiement n�a-t-il pas contribu� � la marginalisation de tout ce qui ne s�exprime pas dans la graphie officielle m�me lorsque ces �crits parlent avec talent du pays r�el et t�moignent artistiquement de sa permanence ? Autant dire qu�un salon du livre, se tenant en Alg�rie, ne saurait justifier pleinement sa vocation tant qu�il persistera � faire l��conomie de ce genre de d�bat en se r�fugiant dans une sorte d�ostracisme rampant � l�encontre de certaines voix litt�raires encore capables de r�fl�chir � nos ambigu�t�s linguistiques en les posant sans tabous. Car, enfin, comment et pourquoi s�est-on jusque-l� autoris� � ne pas inviter celle dont le nom est r�guli�rement cit� � la veille de chaque saison du Nobel litt�raire et qui, de surcro�t, est alg�rienne ? C�l�br�e en France et en Belgique (elle est �galement membre de l�Acad�mie royale de ce pays), appr�ci�e dans les universit�s am�ricaines o� elle enseigna, la romanci�re, essayiste et documentariste Assia Djebbar est �tonnamment ignor�e, voire boycott�e, dans son pays. Pourquoi ? La question est troublante parce qu�il n�y a aucune certitude sur les raisons exactes. Certaines suppositions accr�ditent la th�se du lobby anti-francophone qui n�aurait pas appr�ci� qu�elle ait sollicit� son admission � l�Acad�mie fran�aise, il y a cinq ans de cela, et qu�elle ait �t� �lue. A contrario, comment interpr�ter �l�indiff�rence � d�lib�r�e de la critique litt�raire d�expression fran�aise � son �gard ? En effet, si les faiseurs d�opinion de culture arabe peuvent objectivement se pr�valoir d�un tel boycott, ce n�est certainement pas le cas des universitaires travaillant sur le versant fran�ais de la litt�rature alg�rienne. Autrement dit, il leur incombait la t�che de r�examiner l�ensemble de son corpus litt�raire et de structurer une nouvelle critique de son �uvre � la lumi�re de sa nouvelle notori�t�. En somme, la place de Assia Djebbar dans le mouvement litt�raire national attend d��tre fix�e par l�autorit� acad�mique mais aussi par les animateurs techniques de l��dition � travers les salons. En se gardant frileusement de d�battre avec cette �immortelle � acad�micienne dans le cadre grand public d�une telle manifestation, les organisateurs se privent d�une opportunit� exceptionnelle. En effet, qui mieux que cette auteure pouvait �susciter la r�flexion, sinon le d�bat et la controverse � cause de ses positions par rapport � la litt�rature maghr�bine et au bilinguisme ?�, �crivait Jean Dejeux en 1973(1). C�est � elle que l�on doit, d�s 1969, la sentence sur cette dualit� linguistique. Elle est, �crit-elle, �le signe le plus �vident du heurt, non pas tant entre deux expressions qu�entre deux mani�res d��tre : entrechoc d�un monde ancien et d�un monde nouveau, voici l�exp�rience la plus ordinaire, la plus quotidienne et la plus fondamentale � laquelle renvoie d�abord le tangage constant entre Fran�ais et Arabe ou Berb�re ou peulh�(2). Or, si d�s le lendemain de l�ind�pendance, elle a pu consid�rer ce concubinage linguistique moins �comme un enrichissement mais bien davantage comme un d�chirement �(3), l�on demeure dans l�ignorance de ce qu�elle pense de nos jours une fois que beaucoup de mythes se soient l�zard�s � l��preuve de l�usage. Indissociable de l�identit�, la langue de �l�autre� n�est pourtant pas toujours consid�r�e comme une menace par d�autres voix po�tiques du monde arabe. Parmi elles, celle du �porteur de feu�, le Libanais Salah Stetie, r�cuse le danger qui alimente une mauvaise querelle. �Tant que la langue fran�aise �tait langue du colonisateur, �crit-il, cette ombre �tait lourde et opaque. La colonisation ayant reflu� pour faire place � une complicit�, cette ombre est d�sormais transparente. Cela dit, si la langue est plus forte que l�identit�, l�autochtone risque de n�aller que l� o� l�on n�a pas n�cessairement besoin de lui. Si au contraire, les racines sont plus fortes, plus pr�gnantes d�identit�, alors il transportera cette identit� dans la langue de l�autre, la d�finissant peut-�tre mieux gr�ce � ce regard d�gag� : � la fois int�rieur et ext�rieur, complice et libre.� Assia Djebbar ne porte-telle dor�navant en elle, ce �regard d�gag� qui manque tant � la culture de ce pays ? Aussi n�aurait-elle pas m�rit� d��tre l�h�te primordiale d�un salon du livre ? A moins de lui pr�f�rer les prosa�ques d�bats de boutiquiers !
B. H.
(1) In Litt�rature Maghr�bine de langue fran�aise de Jean Dejeux. �ditions Na�man (Ottawa) 1973. (2, 3) : Extraits d�un essai publi� par Alg�rie Actualit� en avril 1969 et cit� par Jean Dejeux.

Nombre de lectures :

Format imprimable  Format imprimable

  Options

Format imprimable  Format imprimable