Culture : Danseur professionnel, les coulisses d’un métier pas comme les autres

Petits, ils avaient d’autres rêves. Pendant que leurs camarades se projetaient dans le futur en tant que médecins, architectes, vétérinaires ou journalistes, eux se voyaient bien en danseurs. Des années plus tard, le rêve s’est réalisé. Ces jeunes filles et garçons font partie du Ballet des arts populaires (ONCI).
Représentant notre pays dans des manifestations et festivités en Algérie et à l’étranger, nous les avons rencontrés au sein de leur école, en pleine répétition. Ils nous parlent de leur passion, certes, mais aussi de leur malaise vis-à-vis d’une société qui voit encore d’un mauvais œil le fait de faire de la danse son gagne-pain. Farandole de danses
Si vous passez par la rue Daguerre (à proximité du boulevard Mohammed V), peut-être entendrez-vous le son d’une ghaïta, d’un bendir ou d’une flûte, sinon les trois à la fois. Un mariage ? Mais non ! Une circoncision ? Vous n’y êtes pas ! Une école de danse ? Exactement ! Une école créée en 1996 par l’Office national de la culture et de l’information dont le plancher vibre quotidiennement sous les petons des jeunes danseurs de l’ensemble des arts populaires. On croirait une fourmilière. Pas le temps de rêvasser ni de papoter. Les douze garçons et les douze filles que compte ce ballet ont du pain sur la planche. Il faut mouiller les collants. Dans quelques jours, la troupe s’envole en Inde pour une tournée. C’est dire qu’il n’y a pas une minute à perdre. Le spectacle doit être rodé. Abderrahmane, le percussionniste, donne le la ; Mohamed, lui, emboîte le pas en soufflant tantôt dans sa ghaïta, tantôt dans sa cornemuse. Les jeunes danseurs s’élancent sur la piste avec souplesse, grâce et élégance. Danse chaoui, kabyle, allaoui, karkabou, zendali, naïli, touareg… les danses folkloriques s’enchaînent sous l’œil attentif de Abdelkader Khimda, le responsable de ce ballet. «Allez les jeunes, du tonus !» encourage-t-il. 10 minutes de pause. Nous en profitons pour tailler une bavette avec les chorégraphes. Des jeunes qui ont embrassé ce métier par amour. «Toute petite déjà, je me sentais attirée par la danse, nous confie Dihiya (28 ans). Pour moi, c’est un privilège de faire partie de ce ballet qui m’a permis de voir d’autres pays et de m’épanouir».
Chatahine chaya’tine
Pourtant, tout est loin d’être rose dans ce microcosme. «On se heurte constamment aux mentalités obtuses, lâche Nabil (31 ans). Dans notre société, c’est mal vu de travailler comme danseur. Pour nous, les hommes, c’est pire ! On nous taxe de «chatahine de cabaret» aux mœurs légères. Même nos familles ont eu des a priori au début». Et d’ajouter : «Notre vie affective est parsemée d’embûches, du moins en tant qu’homme. Chaque fois que je rencontrais une fille, elle prenait la poudre d’escampette en découvrant mon métier. On m’a même refusé la main d’une jeune fille dont j’étais amoureux, au motif que je n’avais pas un boulot normal. Depuis, j’ai retenu la leçon. Je me marie bientôt mais mes beaux-parents ignorent tout de mon travail. Ils pensent que je fais du théâtre.» Mohamed (autre danseur de la troupe) avoue lui aussi ne piper mot au sujet de son boulot. «Mis à part mes proches, nul ne sait ce que je fais dans la vie. A chaque fois, j’invente un bobard. Voir un gars danser en collant et ballerine, c’est risible et presque honteux. Côté public, nous avons à maintes reprises été victimes d’insultes et d’humiliations. Lors d’un spectacle à Oum-El-Bouaghi, on nous a carrément balancé des projectiles sur scène, nous obligeant à annuler le spectacle. Je pense que les mentalités ont encore du chemin à faire», regrette-t-il.
Les ambassadeurs de l’Algérie
Hormis ces petits couacs, les 24 danseurs et danseuses du Ballet des arts populaires de l’ONCI vivent pleinement leur passion. «En dansant tous les jours, j’entretiens ma ligne, mon moral et une jeunesse éternelle», s’exclame Mounira (29 ans) qui, en plus d’un travail stable, a rencontré l’amour sur les planches du ballet. «Je suis arrivée il y a 6 ans comme célibataire et me voici la bague au doigt», confie-t-elle en éclatant de rire. Après le Liban, la Jordanie, la Syrie, l’Egypte, la France, l’Italie, l’Espagne… ce ballet prépare ses valises. Destination : l’Inde pour faire découvrir notre riche patrimoine culturel à travers des danses chatoyantes et hautes en couleur. Le public du pays de Ghandi appréciera certainement.
SabrinaL–Lesoir@yahoo.fr

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