Actualités : TRAFIC DE DROGUE À L’OUEST DU PAYS
Difficile de trouver du «kif»


De notre envoyé spécial à Oran et Sidi-Bel-Abbès, Mehdi Mehenni
Les quantités de drogue saisies cette année au niveau des différentes wilayas de l’ouest du pays, jusque-là considérées comme le fief du cannabis, sont très en deçà de celles des années précédentes. Est-ce le dispositif de lutte contre ce phénomène qui s’est avéré inefficace ou plutôt la bataille menée aux frontières marocaines pour s’attaquer au mal à sa racine qui a porté ses fruits ?
A ce stade, les interprétations peuvent être multiples et les différents responsables de la Gendarmerie nationale au niveau de cette région du pays livrent leurs opinions. La population, quant à elle, n’a pas manqué d’apporter son témoignage.

Oran, cette wilaya de l’ouest du pays dont on n’évoquait jamais le nom sans l’associer à la drogue, à une consommation inquiétante et à des quantités saisies très importantes, n’a finalement fait l’objet tout au long de cette période que d’une réputation surfaite. Durant les dix premiers mois de l’année 2010, les éléments de la gendarmerie de la wilaya d’Oran n’ont procédé qu’à la récupération de 56 kg de kif. En 2009, la quantité saisie n’était pas plus importante (408 kg), dont 400 kg rejetés par la mer. Il s’agit de quantités très minimes par rapport aux tonnes des années précédentes. La rue oranaise parle de pénurie de kif, et la plupart des jeunes consommateurs interrogés, attestent qu’il est devenu difficile d’acheter du kif. Dans cette région du pays, étiquetée depuis autant donc mettre la barre plus haut et vendre des joints à partir de 1 000 et 1 500 DA. C’est ce qu’expliquent les jeunes Oranais : «Les dealers ne prennent plus le risque pour 200 ou 250 DA. D’abord, le kif n’est plus disponible comme avant et puis avec de petits joints, il faut plus de temps pour écouler la marchandise. Les jeunes chômeurs, qui ont pris l’habitude de se droguer avec 200 DA, sont dans l’embarras. La plupart n’ont pas les moyens pour se payer un grand joint à 1500 DA.» Qu’est-ce qui explique finalement ce changement de donne ? Pour la population, il y a une seule explication : «L’autoroute Est- Ouest.» Pour eux, Oran n’a finalement été qu’une zone de transit de la drogue, et avec l’ouverture de l’autoroute Est-Ouest, les barons n’ont plus besoin de passer par El- Bahia. A leurs yeux, c’est Alger qui semble être la destination ciblée. Le commandant du que c’est plutôt dû au démantèlement des plus importants réseaux et l’arrestation des grands bonnets de la drogue au cours de cette année. Pour lui, cet état de fait est aussi et surtout dû au nouveau dispositif de lutte contre la drogue adopté au niveau des frontières algéro-marocaines. «Nous avons compris qu’il faut attaquer le mal à sa racine. Nous avons donc renforcé le dispositif au niveau des frontières pour minimiser l’accès du kif. Du coup, les grosses quantités qui arrivaient dans les wilayas de l’Ouest ont considérablement reculé. Même les barons et les dealers ne s’aventurent plus comme avant et font mille et un calculs avant d’effectuer une opération dans ce sens», a-t-il expliqué. Dans les autres wilayas limitrophes, le constat est le même. A Sidi-Bel-Abbès, les éléments de la Gendarmerie nationale n’ont saisi, depuis le début de l’année en cours, que 16 kg de kif, à Mascara 10 kg, à Aïn-Temouchent 335 kg et 10 q à Tlemcen. Ces deux dernières wilayas enregistraient particulièrement chaque année des saisies quantifiées en tonnes. Sidi-Bel-Abbès n’est pas moins réputée pour la circulation de la drogue, et située au centre des plus importantes villes de l’ouest et à proximité des frontières marocaines, néanmoins, seulement 16 kg de kif y ont été saisis durant les dix derniers mois. Le lieutenant-colonel Abdelkader Belatrache, commandant du Groupement de la Gendarmerie nationale de la wilaya de Sidi-Bel-Abbès, s’explique : «Avec ce constat, la première interprétation qui nous vient à l’esprit est qu’une fois l’autoroute Est-Ouest opérationnelle, il s’est avéré que Sidi-Bel-Abbès, comme les autres wilayas de l’ouest du pays, n’était finalement qu’une zone de passage de la drogue. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que la collaboration entre les groupements de la gendarmerie des différentes wilayas de l’Ouest y est pour beaucoup et aussi la lutte au niveau des frontières et le travail de renseignement qui a beaucoup émoussé l’audace des barons et des dealers. Vers les débuts de l’année en cours, on avait, par exemple, une information sur un individu qui transportait 10 kg de kif à partir d’une certaine wilaya et qui devait passer par Sidi-Bel-Abbès en direction d’Alger. Finalement, et à la dernière minute, il a changé d’itinéraire. Il a préféré prendre la route de Mostaganem, et grâce à notre collaboration avec le groupement de gendarmerie de cette wilaya, il a été neutralisé.» L’opération coup-de-poing menée par les éléments du lieutenant-colonel Abdelkader Belatrache entre le 11 et le 12 décembre de l’année en cours (ce samedi et dimanche), à travers tout le territoire de la wilaya, a permis de récupérer moins de 10 grammes de kif. Son adjoint, le commandant Ghorid Serradji, donne son explication : «Une fois que la drogue traverse les frontières, il devient difficile de la récupérer, car elle est aussitôt dispatchée. D’autant plus qu’elle circule d’une wilaya à une autre. Mais il faut savoir que ce ne sont plus les mêmes quantités qui rentrent, car grâce au renforcement du dispositif dans les frontières et la collaboration entre les différents groupements de wilaya, nous leur avons rendu la tâche difficile. Nous faisons actuellement un travail de suivi quotidien, et la nuit, nous repérons les véhicules suspects et nous les suivons à travers les différentes wilayas, si jamais ils changent d’itinéraire. Les barons et les dealers qui ont constaté ce fait ont quelque peu levé le pied.» Par ailleurs, le lieutenant- colonel Abdelhamid Keroud, le nouveau responsable de la cellule de communication au niveau du Commandement de la Gendarmerie nationale, pense que le travail de sensibilisation de la gendarmerie avec les associations et la radio locale n’est pas étranger au recul de la drogue dans cette région du pays. A travers ce travail de proximité, beaucoup de gens ont compris qu’ils achetaient du poison avec leur propre argent. Du coup, le suivi des parents et la prise de conscience chez certains dépendants du kif ont considérablement réduit le chiffe d’affaires des barons. De toute manière, explique-t-il, «la drogue ne circule plus comme avant».
Psychotropes, l’autre casse-tête
Si le kif ne circule plus dans l’Ouest algérien comme avant, les psychotropes, quant à eux, envahissent le «marché local». Si les éléments de la Gendarmerie nationale d’Oran ont récupéré 331 psychotropes en 2009, pour cette année, la quantité saisie a atteint 8 355 unités. Le chiffre est effarent et le lieutenant colonel Aourag Ounes l’explique par le fait de la pénurie du kif, ce qui a, en gros, poussé les jeunes à opter pour les psychotropes. D’autant plus que l’acquisition, la vente, l’achat et la consommation de ce genre de drogue représentent moins de risque que le kif. Ce phénomène destructeur de la société n’arrête pas de changer de peau et de couleur. Il faut également savoir que les barons et les dealers ont, entretemps, progressé et adopté de nouvelles techniques qui ne facilitent pas la tâche aux services de sécurité.
M. M.

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