Culture : EN LIBRAIRIE
LE CHAÂBI DANS LA LANGUE DE VOLTAIRE, DE RACHID MESSAOUDI
Rendre au peuple ce qui lui appartient


«Alors qu’ils méritent d’êtres étudiés au lycée, voire au collège, certains textes de notre patrimoine restent séquestrés par certains chanteurs qui ne veulent en aucun cas être à l’écoute de la démarche intellectuelle».
«L’insomnie gagne mes nuits par l’absence de celui que J’aime dans mes tréfonds et qui déserte mon cœur Que dois-je faire mes amis, l’amour m’a anéanti et son Poids est au-dessus de ma patience. Aucun remède ne soulage ma tristesse et aucun guérisseur N’est venu annoncer son retour…» Ceci est le début du poème Ezzine el fassi (la beauté de Fès) de Mohamed Benslimane, traduit en français par le Dr Rachid Messaoudi dans son très intéressant ouvrage intitulé Le chaâbi dans la langue de Voltaire. «Pour avoir baigné dans l’atmosphère chaâbi depuis ma plus tendre enfance et continuant à apprécier ce chant fabuleux qui parfume nos fêtes familiales et religieuses, je me suis lancé le défi de traduire des textes mille fois écoutés et souvent peu déchiffrés aussi bien par les chanteurs appelés prématurément «chiakhs» que par le public», explique l’auteur du livre paru chez Thala Editions. Le lecteur trouvera ainsi des traductions des poèmes comme El ghourri fe eddounia (le leurré en ce monde) et Ess’aki (l’échanson) de Mohamed Bnslimane, Ecchemaâ de cheikh Mohamed Benseghir, Ettarchoune (le faucon) de Mohamed Benali, Ghaddar kassek ya ndim(le soleil couchant) d’Andjar et Ettaïya de Sidi Kaddour el Alamy. Les poèmes en arabe et leur traduction en français sont accompagnés d’une courte biographie de leurs auteurs. Rachid Messaoudi nous rappelle que le chaâbi n’est qu’un volet du melhoun, en donnant comme exemple Cheikh Hammada et El Hadj Mohamed Tahar El Fergani qui «mettent en musique, dans des genres différents, des textes à partir de poésie populaire melhoun». Aussi, l’ouvrage comporte un «Historique du melhoun». «Le chaâbi s’apprécie comme le jazz puisqu’il est ouvert à l’improvisation », écrit encore R. Messaoudi. Dans ce domaine, Amar Ezzahi est, certainement, le plus doué. Ainsi, un chapitre est consacré à ce maître qui «habille le chaâbi d’élégance» et à cette «braise ardente du chaâbi». On ne peut pas parler de ce genre musical traditionnel sans parler d’El-Anka. «Le genre El-Anka est et restera séduisant par la richesse des improvisations mélodieuses, les fantaisies et la force du ton de notre cheikh (…) El Hadj M’hamed El Anka restera une idole et sans le sacraliser, il serait souhaitable d’emprunter la voie essentielle qu’il a tracée et surtout sortir par des chemins heureux à la conquête du talent», liton à la page 20 du livre. Dans la partie intitulée «Entre les chebs et les chiakhs», il est question, naturellement, de la «rivalité» qui oppose les adeptes du chaâbi à ceux du raï. «Chaâbi» veut dire «populaire», mais pour le Dr Rachid Messaoudi, il est «plus qu’urgent» de, vraiment, populariser ce genre musical considéré à tort comme spécifiquement algérois. «La dimension actuelle donnée à cette riche poésie est indigne d’elle. Elle peut rivaliser et même surpasser les autres poésies car la langue arabe est un océan de mots, d’expressions imagées, d’amour de hautes vagues de maximes.» Les poèmes du chaâbi datant parfois de plusieurs siècles ne sont pas toujours (bien) compris par ceux qui les écoutent et plus grave encore par ceux qui les chantent. «Cette contradiction entre la dévotion aveugle des fervents et la méconnaissance flagrante de la richesse poétique du chaâbi peut trouver des explications. Je le dis sans détours : les chiakhs sont les premiers coupables. Les intellectuels du chaâbi le sont tout autant» (page 17). L’auteur estime que les linguistes, les musicologues, les mélomanes et les gens de culture en général doivent se préoccuper un peu plus de cette musique et de ces textes du patrimoine. «Alors qu’ils méritent d’êtres étudiés au lycée, voire au collège, certains textes de notre patrimoine restent séquestrés par certains chanteurs qui ne veulent en aucun cas être à l’écoute de la démarche intellectuelle (…) Sans vouloir brader le chaâbi, il nous reste à lui redonner un sens véritablement populaire. Ce ne serait que justice rendue à notre patrimoine », écrit Rachid Messaoudi. Le livre Le chaâbi dans la langue de Voltaire est accompagné d’un CD.
K. B.
Le chaâbi dans la langue de Voltaire(livre + CD) de Rachid Messaoudi (Thala Editions). 107 pages. Année 2010.

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