Actualités : CITÉ LES PALMIERS À OUED-OUCHAYAH
«Nous aussi, nous avons droit à des logements décents»


10h30. A quelques mètres du tunnel de Oued- Ouchayah, des camions anti-émeutes et des voitures de police sont stationnés.
Plus haut, sur la petite colline, les forces de l’ordre, munies de boucliers, sont prêtes à intervenir en cas d’éventuelles manifestations. «Ils ont passé toute la nuit ici, de peur que de nouvelles émeutes se déclenchent», nous confient les habitants de la cité des Palmiers, qui ont vécu, samedi, la veille, une soirée plutôt mouvementée après que des jeunes eurent obstrué le tunnel. Des affrontements entre riverains et forces de l’ordre ont eu lieu, la cause : leur exclusion de l’opération de relogement initiée par la Wilaya d’Alger. Une situation qui rappelle celle vécue par les habitants de Diar-Echems, en octobre 2009. 11h00. Le calme entoure la cité composée de 9 blocs vétustes, aux murs lézardés, où vivent 1 000 âmes. Des montagnes d’immondices, mélangés à la boue, jonchent le sol. Des égouts à ciel ouvert font partie de ce décor qui est le quotidien des habitants. De la plus grande bâtisse dégouline une eau noirâtre, dégageant une odeur nauséabonde à couper le souffle. Neuf bâtiments délabrés, construits à l’époque coloniale et qui servaient de piaules pour les militaires français. Des studios de 20m2 où s’entassent aujourd’hui pas moins de 10 personnes et où le minimum de conditions pour une vie décente n’existe pas. Beaucoup y habitent depuis 1960. «A l’époque, ce devait être des habitations provisoires, un provisoire qui a duré 50 ans», nous dit un père de famille qui y réside depuis 1961. «Nous attendons toujours que nos gouvernants honorent leurs promesses. Il faut remettre les pendules à l’heure et préciser que les auteurs des émeutes de samedi ne sont pas les jeunes de la cité. Ce sont des jeunes venus de la Glacière et de Oued-Ouchayah. Nous souffrons depuis 50 ans pour la plupart de nous, et nous ne sommes jamais sortis dans la rue. Hier, ce qui a provoqué la colère des gens de la cité ce sont les déclarations à la Chaîne III du directeur du logement, qui était fier d’annoncer que l’opération de relogement tire à sa fin et que, donc, la cité des Palmiers n’est pas concernée.» Excédées, ce sont les femmes, les plus touchées, qui ont décidé de faire une marche pacifique pour manifester leur colère. «Cela fait 26 ans que j’habite dans ce trou à rat, nous déclare une mère de famille. J’ai convolé en justes noces ici, c’était en 1984, j’ai assisté en fait à la première opération de relogement. Le gouvernement nous avait promis que toutes les familles allaient être relogées. Il y a eu effectivement d’autres opérations de recasement en 1986, puis en 1990, où 400 familles ont bénéficié de logement, puis plus rien à ce jour». Aujourd’hui, ce sont 304 autres familles qui caressent le rêve de jouir d’un appartement. Des familles, pour qui prendre une douche relève de l’utopie. Pour qui se changer dans un espace fermé est une gageure. «C’est derrière ce rideau qui cache un placard que l’on se change», nous confie une jeune fille qui partage un réduit avec ses six frères et sœurs. «Nous dormons à tour de rôle, quant aux garçons, ils passent la nuit sur le palier, emmitouflés dans des couvertures. A la longue, mes deux grands garçons ont chopé la tuberculose », renchérit la mère. En hiver, lorsqu’il pleut, les locataires des lieux se munissent de parapluies pour rejoindre leurs taudis. «Nous nous abritons sous les parapluies même pour aller aux toilettes. Venez constater par vous- même l’état du plafond. Regardez les murs, l’eau coule de partout. Nous nous entassons comme des sardines. Cela fait plus de 20 ans que j’habite ici, je n’ai pas vu mes enfants grandir. La rue me les a pris. Quand votre garçon de 10 ans vous parle de poudre (drogue) et de kif, c’est que j’ai tout raté dans ma vie», nous dira une jeune maman en sanglots. Des femmes, au bord de l’hystérie, s’égosillent pour nous conter leur malheur, leurs déboires, leur désarroi et leur désespoir. «L’ancien wali délégué d’El- Harrach, qui est actuellement secrétaire général du wali d’Alger, nous a promis que fin octobre 2010 nous serons relogés. Une nouvelle qui nous a fait renaître. Nous avons commencé à emballer nos effets. Nous avons poussé des youyous de joie, certaines mères ont entamé des demandes en mariage pour leurs vieux garçons. Nous nous sommes dit, cette fois c’est la bonne. Nous avons vite déchanté, suite à la déclaration du directeur du logement. Maintenant, nous sommes décidés à ne plus nous taire, on nous a parqués dans ce ghetto et on nous a oubliés. Vous avez vu, nous sommes envahis par des montagnes de boue et d’ordures, sans que les services de nettoiement viennent les enlever. Nous n’existons pas pour nos gouvernants, un point c’est tout. Alors il est temps de leur montrer qu’on est là, que nous vivons dans la saleté, la misère. Nous sommes algériens et nous méritons, nous aussi, des logements décents.» «Mon fils a 55 ans, il n’est toujours pas marié. Lui a refusé, comme certains de la cité, de construire des baraques comme vous l’avez vu dans la cour de la cité, ou de transformer les caves en logements. Je les comprends, ils n’ont pas d’autre choix. Sinon, ils ne se marieront jamais. Difficile de s’extirper de ces nombreuses femmes dépitées qui, chacune d’elles, nous supplient de visiter leurs maisons, qui en fait se ressemblent toutes. Des pièces humides, des murs qui suintent, des plafonds qui menacent de s'effondrer, une odeur étouffante, c’est dans ce décor lugubre que vivent ces laissés-pour-compte. C’est un droit au logement qu’ils revendiquent. Une promesse, évoquée du temps de Belayat, ministre de l’Habitat dans les années 1980, et qui revient dans toutes les bouches. Mourad, 65 ans, un homme élancé, à la longue barbe, se dirige vers nous et d’un ton solennel déclare : «Je voudrais savoir si l’on a un gouvernement. Si oui, qu’il vienne voir dans quelles conditions vivent des citoyens algériens, jetés dans des gourbis, et qu’on a vite oubliés. Les promesses de relogement datent du temps de Belayat. Il a fait du bon travail, il était sincère ; la preuve, beaucoup ont bénéficié de logements. Malheureusement, il n’est pas resté pour continuer sa tâche. D’autres ministres sont passés, il y a eu d’autres opérations de recasement, mais depuis 1990 plus rien. Aujourd’hui, nous demandons à nos gouvernants de nous honorer en tant qu’Algériens dignes de ce nom, qui ont le droit à un logement. Nous sommes des honnêtes gens, nos enfants ne sont pas des voyous. Des bacheliers sont sortis de cette cité. Des enfants qui, la nuit tombée, grelottant sous une couverture, sortent sur le palier, à la lueur d’une bougie, réviser leurs cours. Tout le mérite leur revient. Eux aussi ont le droit à la vie.» Il sera applaudi par de nombreux habitants qui ont vite formé un cercle autour de lui, tout ouïe. Dans l’après-midi, une délégation a été reçue par le wali délégué d’El-Harrach, qui, après des discussions ayant duré toute la matinée, a promis que la cité des Palmiers allait faire partie d’une opération de recasement sans donner néanmoins une date précise. Une réponse laconique qui n’a pas été du goût des riverains. Ces derniers ne comptent pas baisser les bras. Ils ne croient plus aux promesses. Ils veulent du concret. «Nous continuerons à manifester notre colère, tant que, à l'instar d’autres quartiers de la capitale, nous ne serons pas relogés. »
Naïma Yachir

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