Culture : L’ÎLE LETTRÉE A FERMÉ SES PORTES
Vie et mort d’un café littéraire algérois


L’année 2010 avait vu l’ouverture et la rapide fermeture du premier café littéraire à Alger. L’initiative est venue de l’éditeur et libraire Sid-Ali Sekheri, un homme du domaine donc.
L’île lettrée (c’est le nom du café) était bien situé, tout près de la Radio et du lycée Omar-Racim à la rue Ahmed-Zabana. Beaucoup pensaient que les artistes, les écrivains et les intellectuels en général avaient, enfin, trouvé un espace où se rencontrer, se réunir et discuter tranquillement arts et lettres. Avant que cette initiative ne fasse long feu, elle avait accueilli plusieurs auteurs dont Hamid Grine venu présenter son dernier roman intitulé Il ne fera pas long feu. Mais l’auteur de la Dernière Prièren’a rien à voir avec la fermeture volontaire de ce café littéraire. La première fois que nous sommes allés à L’île lettrée, nous avons eu une bonne impression qui s’est vite dissipée, contrairement à la fumée des cigarettes qui étouffait les non-fumeurs présents dans la salle. Le problème ne vient pas du «maître de cérémonie » Sekheri, mais de certains habitués des lieux. On avait l’impression que beaucoup d’entre eux étaient venus juste pour faire l’intéressant. La salle, en outre, était plein de «gros pollueurs» et de femmes qui pensaient que l’émancipation féminine et l’égalité des sexes passent par le tabagisme, le cancer du poumon et l’infarctus du myocarde. Mohamed Rebah a terminé la présentation de son livre Des chemins et des hommes sur la guerre de Libération nationale. C’est l’heure des débats. La première question posée à l’auteur est, à peu près ainsi : «Vous avez dit “je remercie Dieu de m’avoir permis d’écrire ce livre“. Est-ce que vous vous sentez toujours communiste ? Les communistes ne disent jamais qu’ils remercient Dieu.» L’intervention in extremis de Sid-Ali Sekheri, pour calmer le jeu, évita aux débats de dégénérer. Invité à présenter son essai «Le Grand Moyen- Orient : Guerre ou paix ?», Hocine Bellaloufi fera lui aussi face aux «provocations» et aux questions bêtes des quasi mêmes personnes (ils vont hanter les lieux jusqu'à la fin). Qui sont ces personnes ? Elles ont toutes un point commun : elles sont toutes âgées. Mais pour le reste, elles sont (apparemment) différentes. Certains sont, on dirait, sortis tout droit d’un quelconque musée des antiquités idéologiques. D’autres affichent un incroyable mélange de «convictions politiques» contradictoires. Il y a ainsi le plus bavard, celui qui à chaque rencontre étale son «nationalo-universalisme anti-assimilationniste démocrate», sans que personne le lui demande. A peine moins bavard est ce vieux «Boumediéniste libéral». Il y a aussi des «féministes conservateurs», des «francophones» francophobes et des «arabophones anti-Arabes». Tout aussi casse-pieds sont ces gens «apolitiques » mais qui, à chaque fois, sont là, présents juste pour contredire le conférencier ou lui couper la parole, donc l’empêcher de se concentrer et de développer ses idées. L’humeur de Sid- Ali Sekheri changeait à vue d’œil. L’enthousiasme du début fait place à un calme contenu. Un «incident » avec un écrivain dont il avait édité un ouvrage sera la goutte qui a fait déborder le vase. Le charme est manifestement rompu. Le café littéraire qui abritait des rencontres quasi quotidiennes devint un café tout court avant le baisser de rideau définitif, par la faute de ceux qui ont confondu «L’île lettrée» et …«l’illettré» ! Sekheri avait dit un jour : «La littérature en Algérie est une secte et nous voudrions qu’elle devienne une religion.» Mais, apparemment, nul n’est prophète en son pays.
K. B.

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