Chronique du jour : ICI MIEUX QUE LA-BAS
La main droite


Dimanche 26 : La paume ébréchée !
Je suis allé voir l'expo Issiakhem au Mama. Sauf à répéter ce qu'on sait déjà. Personnages torturés. Divinisation de la femme. Sublimation des couleurs mises au service du signe. C'est tout cela, la griffe Issiakhem : un coup de patte à l'art qui positionne le fauve ni chez les figuratifs ni chez les abstraits. «Je suis plutôt un impressionniste», disait Issiakhem, faussement convaincu et encore plus faussement convaincant. Il est simplement inclassable. Issiakhem, c'est Issiakhem !
C'est une chouette idée d'avoir fait cette expo et de la montrer gratuitement. On devrait y emmener tous les écoliers d'Algérie. Issiakhem n'exprime pas seulement le signe de l'Algérie, mais son génie. «Le cœur sur la main quand il faut, et la main sur la figure quand c’est nécessaire», Henri Jeanson.

Lundi 27 décembre : Salut, cousin !
Ce matin, je suis allé tôt au cimetière El-Alia sur la tombe d'une personne qui m’est chère. Jusque-là rien que de privé. Il y avait du monde vers les coups de 9 heures et je me suis dit que ça devait encore être une commémoration comme celle consacrée à Ferhat Abbas l'autre jour. Mais j'étais loin de penser que c’était là aussi un signe. Il s'agissait de l’anniversaire de la mort de Boumediène. Quand j’ai vu ces gens se rendre presque en catimini sur sa tombe, je n’ai pu m’empêcher de repenser à son règne. Où sont donc tous ceux qui…? Enfin, passons… Ils ont dû changer de camp. Logique. Il paraît qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas. Le signe est que j’apprends quelques heures plus tard dans la même journée, le décès de mon cousin Bélaïd Metref que je n’ai réellement connu que depuis une dizaine d’années. Avant, j’entendais parler de lui, de loin en loin. Le personnage est hors du commun. Major de la promotion internationale de l'Académie navale de Grande-Bretagne, il a été promu, en 1965 à 22 ans, commandant d'une vedette lance-torpilles. En 1966, il a été choisi pour créer avec d’autres la direction du protocole de la présidence de la République. En 1970, son nom figurait, dans l'ordre protocolaire de la direction, en seconde position, après celui du directeur, Abdelmadjid Allahoum. Il est nommé, à 29 ans, chef des personnels militaire et civil de la Marine nationale. En 1975, le voilà de nouveau affecté à la direction du protocole de la présidence, qu’il quittera à la mort de Boumediène. En 1986, à 42 ans, il est d’office mis à la retraite. Il confiait à un journaliste de Liberté en 2003 que sa retraite avait été décidée «dans des circonstances confuses et dans la précipitation». Il était convaincu qu'il avait fait l'objet d'un règlement de comptes : «J'ai pu connaître de manière précise les véritables raisons de ma mise à la retraite prématurée : des affaires de corruption et de blanchiment d'argent, touchant la plus haute hiérarchie et dont j'avais été le principal témoin en 1978 quand j'étais à la présidence, qui commençaient au moment de ma mise à la retraite à prendre des proportions d'affaires d'Etat.» Il est décédé à 68 ans. Salut, cousin ! «Nous sommes comme des dés dans la main du bon Dieu, au creux de sa main. Et il attend peut-être encore un peu pour nous jeter sur la table», Georges Bernanos.

Mardi 28 décembre : We can !
Officiel : j’ai conduit à Alger. Depuis le temps que je n’ai pas touché un volant, je croyais me prendre le bitume au bout du bélier. Officiel aussi : la conduite est un vrai djihad chez nous. Quand on foule le goudron, il faut se dire que nous avançons vers un front où on défend une cause sacrée. Il faut s’attendre à tout à tout instant. On y voit des miracles, sur la route, comme dans un mirage divin. Toute figure relevant de la fantasmagorie, et que l’on croirait impossible, se réalise là. Un slalom entre des bagnoles qui roulent à 130 à l’heure ? We can ! Délaisser la voie de gauche pourtant libre pour te doubler à droite rien que pour t’en remontrer ? We can ! D’ailleurs, je crois que nous devrions ajouter à notre catalogue des créations originales cet art nouveau de doubler à droite. A quelque niveau de droite que tu roules, il y a toujours un petit malin qui se dégotte une droite encore plus à droite pour te doubler. Le pire est que, en gros, nous sommes fiers d’avoir les plus grands abattoirs du monde pour routes. C’est comme si le mouton se prévalait du couteau qui va l’égorger. Je t’ai dit : Yes, we can ! «On ne se rencontre qu’en se heurtant et chacun portant dans ses mains ses entrailles déchirées accuse l’autre qui ramasse les siennes», Gustave Flaubert.

Mercredi 29 décembre : L’année qui s’en va !
Comme vous tous, je reçois depuis un moment des vœux pour l’année qui vient ! Ce qui veut dire qu’il y en a une qui s’en va ! Le chapelet se corse d’un nouveau grain qui appellera celui qui bouclera la boucle. Que s’est-il passé de flamboyant en 2010 ? Il faut souhaiter la paix, la santé et… la démocratie à toutes et à tous ! «Au joug depuis longtemps, ils se sont façonnés ; ils adorent la main qui les tient enchaînés», Jean Racine.

Jeudi 30 décembre : La route du passé !
Voyage éclair à Azazga. Pas difficile de vérifier les deux hypothèses de base de la vie sociale à l’algérienne. Le bouchon est forcément un droit constitutionnel. Tout citoyen qui se déplace en bagnole y a droit à un moment ou à un autre. C’est même le seul droit que l’Etat et le citoyen s’échinent de concert à satisfaire. Si les travaux, les barrages, la mauvaise qualité des routes, le mépris du citoyen totalisent la part de l’Etat, le citoyen, lui, en rajoute par son comportement. Bref, tout le monde est mobilisé pour que nous passions tous notre quote-part de temps dans ces bouchons qui symbolisent l’Algérie contemporaine. Sans eux, nous n’existerions plus. On croirait que quelqu’un a calculé la nécessité pour tout conducteur d'être immobilisé pendant quelques heures par jour, histoire de se rabâcher que nous vivons dans un paradis. L’autre hypothèse, c’est la généralisation du doublement à droite. Enfoncer le clou ? Oui, j’en ai déjà causé, je sais. Mais c’est tellement incroyable qu’une deuxième fois ne serait pas de trop. Je propose que, tant qu’à faire, on l’autorise par le code de la route. Comme ça au moins il y aurait une chance pour que les doubleurs à droite cessent de l’être car ils ont horreur de ce qui est autorisé. Y a que ce qui est interdit qui les titille. Plus de quatre heures pour faire 150 km. Paraît encore que c’est le Smig en la matière. On a le temps de se répéter que c’est le paradis, ce pays ! «Le progrès technique est comme une hache qu’on aurait mis dans les mains d’un psychopathe», Albert Einstein.

Vendredi 31 décembre : Temps !
Plaisir de prendre un thé avec mon ami Nadjib Stambouli et de parler de la pluie et du beau temps. Il arrive qu’une année finisse aussi bien ! «Le bonheur est la plus cruelle des armes aux mains du temps», Paul Valéry.
A. M.

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