Actualités : UN JEUNE MORT À BOU-ISMAÏL
Qui a tué Abdelfateh ?


Au quartier El- Louz, la tension était perceptible. La mort dans des circonstances inconnues d’Akriche Abdelfateh a attisé la colère de la population. Agé de 32 ans, ce jeune exerçait en tant qu’agent de sécurité à Naftal.
Irane Belkhedim-Alger (Le Soir) - Cela s’est passé vendredi soir aux environs de 22h. Des affrontements ont éclaté dans la ville de Bou-Ismaïl, du côté du marché, rue des Arabes, entre jeunes et forces de l’ordre. «Nous avions entendu des coups de feu dehors, nous nous sommes inquiétés. Abdelfateh allait se coucher quand je lui ai demandé d’aller chercher son frère âgé de 20 ans», raconte sa sœur Ilham, les larmes aux yeux. Abdelfateh n’est plus revenu. Grièvement blessé, il a été évacué à l’hôpital. «Des voisins nous ont appelés pour nous annoncer la nouvelle. Je suis sortie voir, pieds nus», raconte son autre sœur, les yeux gonflés, pour avoir pleuré toute la nuit. «Abdelfateh est mort sur le coup et ils n’ont pas voulu nous informer. Les autorités ont voulu étouffer l’affaire. Il a été tué par balles, il a reçu une balle dans l’œil et des témoins l’ont vu», ajoute Ilham. D’autres jeunes rapportent une version différente. «Abdelfateh a reçu une balle dans la tête. J’ai vu le corps, il avait l’épaule entachée de sang. Il est resté plus d’une heure sur le sol, avant d’être évacué», confie un jeune. Pour l’heure, la famille n’a pas été autorisée à voir le corps et à le récupérer. «Un gendarme est venu ce matin accompagné d’un imam et du chef de daïra pour chercher mon père. Une enquête a été ouverte. Nous voulons récupérer le corps de Abdelfateh et l’enterrer. Nous voulons faire notre deuil», lâche la sœur aînée, venue à notre rencontre dès qu’elle a appris que nous étions sur place. La famille de la victime habite au quartier El-Louz. Ses amis, voisins et parents, sont venus assister aux funérailles, présenter leurs condoléances et en guise de solidarité. «Mon fils est sorti et n’est plus revenu mon Dieu ! Il me manque ! Ils mentent quand ils disent qu’il est parti piller les biens de l’Etat ! Ce n’est pas vrai ! Nous lui avons demandé d’aller ramener son frère, il était là, chez lui !», crie sa mère, une femme âgée d’une soixantaine d’années. Ses yeux paraissent épuisés car elle n’a pas fermé l’œil de la nuit. La douleur la ronge comme tout le reste de la famille. «Mon fils est mort et vous me demandez comment je me porte ! Je ne pardonnerai jamais à ceux qui l’ont tué ! Que les autorités viennent à notre rencontre, qu’elles nous disent la vérité. Mon fils est mort, ce n’est pas un chien qui est mort !», dit-elle, tout en hurlant sa douleur. Une jeune fille s’approche d’elle et la serre dans ses bras puis les deux femmes s’effondrent en larmes. «Ma mère est malade. Elle suit des séances d’hémodialyse en plus d’être diabétique et hypertendue. C’est trop pour elle. Nous souhaitons récupérer le corps de Abdelfateh pour l’enterrer. Que l’on ne nous dise pas que ce n’est pas possible !», ajoute Ilham. La tristesse s’est mêlée à la peur et à la colère. Des femmes en larmes viennent à notre rencontre. «Les jeunes n’ont rien fait et ils leur ont tiré dessus ! Ce n’est pas possible ! Mon fils a vu Abdelfateh mourir, le sang giclait de ses yeux, de sa bouche et de son nez. Le corps de mon fils était tâché de son sang. Ici, les policiers abusent de leur pouvoir», affirme sa tante. «Les jeunes n’ont rien cassé. Pourquoi les ont-ils attaqués ! Les policiers sont injustes», ajoute-t-elle.
I. B.

 

LES BRIGADES ASSIÈGENT LES QUARTIERS DE BOU-ISMAÏL
«Nous en avons ras-le-bol de survivre»

Hier en début d’après-midi, des véhicules antiémeutes ont encerclé les quartiers populaires de Bou- Ismaïl. Un semblant de calme après une nuit agitée.

Juste à l’entrée du quartier de «L’abattoir», les traces des affrontements sont encore visibles. Des pierres et des ordures jonchent le sol. Les gaz lacrymogènes a rendu l’atmosphère irrespirable. La tension reste vive. Ça risque «d’éclater» à tout moment. La nouvelle de la mort de Abdelfateh a fait le tour de la ville. Les brigades antiémeutes, prêtes à donner l’assaut, ont encerclé les quartiers à risque. A quelques mètres, des groupes de jeunes se sont constitués. Après une nuit agitée, le calme est revenu dans la matinée. Un semblant de calme après une nuit agitée. «Nous vivons entre un abattoir et un cimetière, c’est une tombe ! Le quartier porte bien son nom», lâche un jeune, avec ironie. La colère et la tristesse se lisent dans les yeux de tous ceux que nous abordons. Jeunes et moins jeunes sont blasés et ne cachent pas leur désespoir. «Il y a un mort et un blessé», dit-on. Les constructions du quartier sont collées les unes aux autres. La plupart sont inachevées, sans peinture, elles exhalent marginalisation et misère. «Ce n’est pas seulement l’augmentation des prix qui est derrière ces évènements. C’est le ras-le-bol général ! Nous en avons marre ! Nous survivons, ici !» «Ce sont les forces antiémeutes qui nous provoquent, notre réaction est une réponse à leurs provocations. » Ils parlent tous en même temps. Chômage, portes fermées de l’administration, exclusion, absence de l’Etat, silence des officiels, corruption. La liste est interminable. «Les jeunes sont découragés, ils en ont assez ! Ni travail, ni logement, aucun avenir en perspective », lâche un père de famille. «La semaine passée, j’ai été à la mairie pour retirer mon extrait de naissance. La préposée au guichet m’a dit de revenir dans trois jours ! Que je n’avais pas de chance, car mon extrait n’était pas prêt ! Je n’ai quand même pas demandé un visa !» raconte un autre écœuré. «Les Chinois ont été ramenés pour travailler ici et touchent des salaires plus importants que les nôtres !»
I. B.

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