Contribution : WikiLeaks ou l’anti-journalisme

Par Samir Hamma
Les remous et les polémiques suscités suite à la publication par le site web WikiLeaks de notes diplomatiques classées confidentielles ont révélé une évolution majeure dans la manière qu’ont les médias des démocraties dites «traditionnelles» d’appréhender et de diffuser l’information.
En effet, leur publication, certes partielles mais concertées, par les plus grands quotidiens d’information internationaux ( Le Monde, The Guardian, The Times...) ont démontré et mis en lumière plus qu’une évolution dans l’appréhension de l’information, mais une transformation profonde dans la conception même du métier de journaliste et, par conséquent, de sa déontologie, et ce, malgré le côté anecdotique et «comique» de la majorité des notes publiées. Effectivement, avec l’avènement d’internet et la multiplication de médias en tous genres (chaînes de télévision, radios, blogs, etc.), une course frénétique à l’information et au «scoop» a été lancée. Ne cessant de s’amplifier, elle prend aujourd’hui un tournant quasi dramatique. Objectif recherché ? : une exigence exagérée de transparence qui peut aisément s’assimiler aux pratiques de certains régimes tyranniques, et ce, quitte à bouleverser et à déstabiliser les relations inter-nations, et in fine, mettre en danger les grands équilibres géostratégiques. On peut, par ailleurs, légitimement s’interroger sur les objectifs recherchés par le «déballage» sur la scène publique de ces notes «diplomatiques» ; est-ce une réelle volonté d’informer et d’éclairer les citoyens du monde ? Ou est-ce une opération «téléguidée» par des gouvernements politiques et des groupes de pression visant à manipuler les opinions, avec en arrière-pensée un seul et unique objectif : faire prospérer des intérêts financiers et ainsi «protéger » une hégémonie économique, culturelle et philosophique vacillante, qui est aujourd’hui gravement menacée par l’influence internationale grandissante de grands pays émergents ? Dont le cas le plus impressionnant ou effrayant (c’est selon) reste la Chine. L’exemple de WikiLeaks est d’ailleurs frappant à ce sujet : pratiquement aucune révélation fondamentale ou particulièrement critique sur la politique menée par le gouvernement de «la terre promise » de Ben-Gourion vis-à-vis de son voisin palestinien, une mise en lumière excessive des déclarations, pour le moins maladroites, du roi Abdallah sur le «serpent» perse dont il faudrait couper la tête, pseudo-révélation sur les dérives et les pratiques «anti-démocratiques» de l’administration Bush, notamment en termes de lutte anti-terroriste (tortures, mise sous écoute d’individus, stigmatisation des musulmans, etc.) Informations qui sont notoirement connues… De quoi rester pantois ! D’ailleurs, l’émoi feint et «mollasson» de l’administration Obama, suite à la publication par «l’ange blond» Assange de ces «fuites» de notes «confidentielles» illustre parfaitement cette mise en scène outrancière et grossière qui ne peut convaincre que les «moutons de Panurge» ou les naïfs pour employer une litote. En conclusion, la «corporation» des journalistes, si souvent critiquée et décriée, doit impérativement se mobiliser, pour faire respecter, d’une part, son éthique déontologique, et d’autre part, éviter de céder aux sirènes de «la médiacratie» et de la politique spectacle, tout en continuant à assumer des opinions et des prises de position, et par conséquent, une part de subjectivité dans la transmission de l’actualité, car, comme disait Camus, «le goût de la vérité n’empêche pas de prendre partie». Donc, halte à cette «superficialisation», pour employer un néologisme de l’information, qui se produit actuellement à travers le monde, et qui débouche malheureusement sur la décrédibilisation d’une profession dans son intégralité, qui, sans le savoir (peut-être), court à sa perte, car si elle ne reprend pas son indépendance d’esprit, son obligation d’investigation, et son goût de la «véracité» des faits, c’est le fonctionnement de toutes les démocraties qui en sera altéré.
S. H.

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