Contribution : La «harga» par la télé

Par Mohamed Ghriss
Pourquoi la Télévision nationale est-elle toujours absente ou en retard sur les évènements cruciaux du pays ? Ces trois dernières journées, alors que l'on s'attendait à ce que les échos relatifs aux violentes émeutes à travers le territoire national soient rapportés et cernés de près par la Télévision nationale, – suite aux récentes promesses officielles de réforme de l'institution, – ce fut comme d'habitude aux TV satellitaires et à la toile du Web qu'échut ce rôle d'information tous azimuts.
Avec naturellement le libre cours donné aux interprétations de tous bords. Mais comment n'en serait-il pas ainsi tant que notre unique média public lourd persiste à fermer les portes aux débats contradictoires et clarificateurs. Exactement comme du temps de la pensée unilatérale, totalitaire qui, en bloquant toutes voies possibles de dialogues publics, ne permet aucunement de canaliser les forces d'expressions bâillonnées du menu peuple des cités urbaines constamment en proie à des problèmes de toutes sortes. Pourquoi persister dans cet aveuglement consistant à priver de liberté d'expression les parties déshéritées de la société civile et laisser leur colère déferler en saccageant tout et dont les légitimes contestations ne sont pas sans être l'objet d'exploitation par des «tierces» occultes... et ce, en l'absence, évidemment, d'une stratégie nationale de communication saine conviant les représentants de la société civile, les partis et autres animateurs de la société civile, à débattre librement et concrètement des problématiques majeures qui rongent notre société. Aussi afin d'éviter que le menu peuple soit le seul à payer la facture des politiques sociales défaillantes, il est grand temps – on ne le répétera jamais assez – d'ouvrir résolument les voies du dialogue et de la concertation démocratiques. Cette situation de blocage informations et du béni-oui-ouisme des autres – désapprouvée, en fait, par beaucoup de travailleurs de l'ENTV, apprend-on – n'a que trop causé de préjudices à la réputation du pays jusqu'ici : les médias étrangers n'en profitent-ils pas pour fustiger férocement «l'un des rares pays au monde qui ne dispose que d'une seule chaîne de télévision à l'écoute exclusive des directives de ses apparatchicks» ? N'est-ce pas pareille désolante situation de mise en hors jeu du libre droit d'expression des représentants de la société civile que met à profit, par exemple, l'ex-numéro 1 du parti extrémiste dissous pour resurgir à la surface en appelant les jeunes émeutiers algériens, depuis une chaîne satellitaire, au calme et à la sagesse... lui qui durant la sombre décennie rouge n'a pas osé appeler à la cessation de la violence islamiste ?... Naturellement, on n'en a pas fini de souper des paradoxes tant que les décideurs des hautes sphères du pays persistent dans leur système d'autarcie et d'atermoiements ne contrecarrant que davantage cet espoir d'un processus de démocratisation pluraliste nationale tendant à l'émergence d'un Etat de droit. Un Etat démocratique et une justice indépendante souveraine dont l'avènement des institutions escomptées ne pourrait absolument pas se concevoir sans l'entreprise d'une politique claire d'information et de communication transparente. A défaut, le manque de concertations démocratiques et le blocage continu des voies de libres expressions, via le canal de la Télévision nationale surtout, ne ferait qu'amplifier le mécontentement populaire dont la grogne, en l'absence d'issues de dialogue, donc, ne peut que violemment se manifester, tôt ou tard, avec toutes les conséquences négatives que cela puisse supposer. Et c'est ce qui est arrivé dernièrement dans notre pays, les chaînes étrangères se saisissant de l'évènement pour le présenter sous différentes facettes, colportant le vrai, le faux, le préfabriqué, etc. Et comme il fallait s'y attendre en l'absence d'images tôt diffusées par l'Unique, ce sont ces chaînes satellitaires-là qui tiennent lieu de «chaînes nationales» pourrait-on dire, pour paraphraser un spécialiste en la matière. Ce qui n'est pas sans discréditer gravement l'ENTV et pas seulement elle. Et si les responsables concernés avancent comme excuses dans la presse nationale qu'il n'est pas facile de voir dans l'obscurité, sachant que dans la nuit tous les chats sont gris, alors pourquoi continuer à permettre à ces faits déplorables de se manifester en se privant continuellement des moyens de clarté susceptibles d'en estomper les contours obscurs ? En commençant par ouvrir franchement au dialogue et à la transparence, par exemple, le canal lourd de l'ENTV qui est devenu vraiment trop lourd avec le temps, et pire encore, en flirtant avec l'information trompeuse qui ne pourrait toujours tromper les téléspectateurs algériens. Ces derniers en sont venus, aujourd'hui, à zapper massivement sur les chaînes satelittaires comme d'autres prennent la voie de la «harga», ne pouvant tenir davantage (ou imiter la majorité qui résiste) dans un social devenu «suffocant» (exception faite, bien sûr, des privilégiés du système, des champions du commerce informel, des trafiquants de toutes sortes, leurs acolytes- adeptes de la «chkara », etc., etc.). Bref, il est inutile de dire qu'aux grands maux il faut les grands remèdes, et plutôt cela serait entrepris mieux cela vaudrait. Et si cet avis relève comme tant d'autres avis citoyens d'un vœu pieux et que l'enfermement télévisuel morose persistera toujours, de grâce, qu'on ne nous assène pas continuellement que les responsabilités des dérives sociales intervenant de temps à autre sont toujours imputables aux seuls émeutiers dont on n'a pas su comment prévenir la colère et les saccages, pas moins condamnables que les pratiques politiciennes et faux calculs de ceux qui en ont été, directement ou indirectement, à l'origine.
M. G.

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