Actualités : L’avenir, sans vous

J’ai laissé une mer(e) et franchi l’autre. J’ai laissé mes sœurs et agrippé mes filles. J’ai laissé mes frères et accroché mon fils. J’ai abandonné ma terre et ses cimetières. J’ai fui ma défaite et mis genoux à terre.
Je n’ai enterré ni mère ni père ; j’ai enfoui mes illusions. Je n’ai enterré ni frères ni sœur ; j’ai fait le deuil de mes rêves et endossé les tourments. J’ai laissé… Et vous ? Vous avez pris nos corps et les avez flagellés. Vos avez pris nos mains et les avez entravées. Vous avez pris nos jambes et les avez ligotées. Vous avez pris nos bouches et les avez bâillonnées. Vous avez pris nos cœurs et les avez essorés. Vous avez pris nos ventres pour y creuser des gouffres. Vous avez pris nos vies et joué de nos envies. Vous avez pris nos aspirations et les avez broyées. Vous avez pris notre air et l’avez pollué. Vous avez pris nos mots et les avez pervertis. Vous avez arraché notre verbe et soufflé la haine dans nos veines. Vous avez épouvanté les faibles et terrorisé les poètes. Vous avez pris… Que reste-t-il ? Il reste vos mensonges comme autant de plaies à saigner. Il reste vos mythes dans nos mémoires comme autant de dagues plantées. Il reste les cicatrices que vous nous avez infligées. Il reste vos morsures dans nos dos endoloris. Il reste la souillure que vous avez ensemencée. Il reste les sanglots dans les gorges trahies. Il reste… Et l’avenir ? Il n’est ni à vous ni à moi. Il n’est ni à écrire ni à réinventer. Il est le leur, ils le font. Avec rage et colère, ils crient, hurlent et éructent. De Bab-el-Oued à Rouissat, de M’dina J’dida à Aouinet-el-Foul, ils disent la hogra et s’improvisent harraga. Ils veulent mordre dans la vie car ils sont jeunes et veulent vivre. Vivre libres et dignes, sans vous, ni votre prétendue légitimité. Sans crocs, les vôtres. L’avenir…, sans vous !
Yahia Belaskri, écrivain

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