Actualités : Les jours d’après : réinventer le politique

Pr Abdelmadjid Merdaci
Le samedi 12 février entrera-t-il dans l’histoire algérienne comme une journée de dupes ? Quels qu’en puissent être l’ampleur et le déroulement, la marche aura à souffrir précisément de la comparaison que beaucoup appellent de leurs vœux avec les mouvements protestataires de Tunisie et d’Égypte.
 Il leur faudra se résigner au fait que ni l’effet de contagion espéré ou attendu – notamment par les observateurs étrangers si longtemps complaisants qui ont eu tant de difficultés à désigner les dictatures par leur nom–, ni le mimétisme primaire ne pourront, comme par magie, lever les si lourdes hypothèques du régime autoritaire algérien d’une part, ni celles, d’autre part, d’oppositions résignées aux marginalités lucratives ou obsessionnelles et ayant renoncé, toutes raisons mises en avant égales par ailleurs, à l’ancrage de leurs valeurs au sein de la société
1- L’arasement du champ politique national
La responsabilité du régime issu de la crise de l’été 1962 et du primat de la violence comme source du pouvoir, est historiquement engagée dans l’arasement du champ politique national et la figuration autocratique imposée depuis 1999 a conduit à la déliquescence de l’état-nation, où le religieux prime les héritages du nationalisme et le tribalisme subvertit l’idée de citoyenneté. L’incompétence, la versatilité politique au plus haut niveau de l’Etat ont fait le lit de la corruption généralisée, des clientélismes, du népotisme et de l’impunité. A l’heure des bilans de cette décennie – qui viendra forcément —, la lutte antiterroriste et les impératifs dits sécuritaires ne seront pas suffisants pour exonérer les institutions et les hommes qui les ont incarnées de leurs responsabilités dans la préservation des institutions de l’Etat. Ceux-là ont, à tout le moins, laissé faire qui devront aussi se déterminer par rapport à ce qui peut se passer aujourd’hui et qui pour pouvoir être différé un temps demeure inscrit dans l’ordre de la nécessité du délitement objectif du régime en place. Pour autant que la marche et ses ombres portées – c'est-à-dire sa lecture et ses usages par ceux qui, dans la même opacité, continuent de faire les décisions — puissent produire des effets de décantation et d’accélération des processus de rupture encore en germe dans la société les jours les plus incertains et les plus difficiles seront nécessairement les jours d’après. Le scénario d’une jonction entre la rue et l’armée dont la mémoire algérienne a inscrit la mythologie élémentaire à son fronton – le célèbre : Djeïch ma’a Echaab…» — pour être espéré, craint ou peut être même discrètement envisagé par les chancelleries étrangères – la presse n’a t-elle pas évoqué des conseils américains insistants – est l’une des voies étroites d’une possible transition et rien n’indique qu’il soit déjà à l’ordre du jour algérien.
2- Les mythes populistes
Cette hypothèse doit être pourtant prise en compte qui doit se libérer des légendes des héritages de l’ALN ou de la lutte antiterroriste et prendre en compte le fait que l’institution militaire est aussi au fondement du régime et même si cela ne se crie pas sur les toits, il n’existe pas de raison politique pour que seules les expressions les plus apparentes du régime, les plus civiles donc, soient les seules à répondre de l’état du pays. Ne s’y trompent ceux qui, au cœur de la marche, ont inscrit des mots d’ordre interpellant le «DRS» réputé bras séculier du régime autoritaire. Relayant et amplifiant les images venues de Tunis puis du Caire, la rue fait illusion et reconvoque les mythes populistes du peuple en marche forçant au prix du martyr son destin. Là encore la lucidité commande la prudence sinon la réserve et l’histoire enseigne que les révolutions partent de loin, des profondeurs de la société, s’inscrivent dans un long cours et ont finalement peu à voir avec les mouvements actuels labellisés par la chronique médiatique. A Tunis, l’odeur de l’improbable jasmin s’est suffisamment dissipée pour ne laisser que le bruit des bottes et au Caire le pouvoir qui s’apprête à changer de figure changera peu de mains. Les analystes se sont perdus en conjectures sur les émeutes du début janvier et il ne fait pourtant pas de doute qu’elles sont tenues – notamment par les organisateurs de la marche du 12 février — comme l’embrayeur possible d’une nouvelle étape et les annonces relatives à la levée prochaine de l’état d’urgence paraissent s’inscrire en résonance moins avec des demandes directement portées par les acteurs émeutiers de janvier qu’avec le climat politique qui en a sanctionné le mouvement.
3- Un scénario écrit nulle part
Le scénario algérien pour n’être pour l’heure écrit nulle part, fait d’ores et déjà de la rue – longtemps, injustement et illégalement censurée, interdite – le premier support de la visibilité du rejet du régime en place et de la mise en image — c’est aussi désormais une partie des enjeux — de ressources politiques alternatives. L’inconnue demeure le choix de la gestion de la marche et partant de la crise politique par le régime et les décisions d’interdiction et de mobilisation exceptionnelle des forces de sécurité dans et autour de la capitale indiquent que l’argument sécuritaire avancé reste suffisamment court pour couvrir des tentations aventurières. En tout état de cause, la marche du 12 février constituera un test significatif de l’état des lieux en Algérie et quel qu’en sera le déroulement effectif, elle aura plus la vertu pédagogique de poser publiquement les problèmes décisifs du destin collectif national que d’y apporter des réponses ou du moins toutes les réponses. Les voix s’élèvent désormais qui appellent à une transition démocratique et pacifique – ironie de l’histoire, c’était déjà en partie les termes de l’appel du PAGS de janvier 1966 — qui, fût-ce en creux, marquent le risque réel du recours à la violence et en l’espèce et selon ce qui semble constituer une manière de socle républicain algérien sont appelés à se déterminer «les patriotes qui n’ont pas perdu le sens national où qu’ils soient»(1) et est-ce bien ceux qui participent du régime qui sont ciblés. La quadrature du cercle algérien tient d’une part en une certitude qui, au fil des jours, prend de la consistance, quant au caractère désormais politiquement intenable de l’achèvement du mandat en cours de l’actuel chef de l’Etat ; d’autre part, de l’absence d’offres alternatives construites, crédibles et de nature à refonder l’Etat-nation sur une base de droit.
4- Réinventer le politique
L’urgence ainsi est-elle, à bien y regarder, de réinventer le politique et l’obstacle peut ne pas tenir exclusivement aux pesanteurs de près d’un demi-siècle d’oppression ou à la fragmentation des oppositions formelles. L’allégeance renouvelée de divers secteurs de l’opinion aux différentes figures que le régime avait pu se donner informe que l’avènement de la citoyenneté est un combat de long cours. Ce combat ne date pas d’hier ni d’aujourd’hui et seul le rappel de toutes les blessures, de toutes les résistances pourra contribuer à redonner sens à la mobilisation en faveur de «la libération nationale et des libertés» portée par la proclamation du 1er Novembre 1954.
A. M. (1) Appel pour une transition démocratique.

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