Actualités : SPÉCIAL 8 MARS

-Elles font des métiers d’hommes
-Bribes de vies de femmes inconnues
-Combat féministe laïque en Algérie et en Tunisie
-Joies et tristesses de femmes berbères du mont du
Chenoua, des djebels de Menaceur et de Gouraya



Combat féministe laïque en Algérie et en Tunisie

Deux militantes féministes, l’Algérienne Soad Baba-Aïssa et la Tunisienne Nadia Chaabane, toutes deux au cœur du combat pour la démocratie dans leurs pays, nous parlent chacune du combat qu’elles mènent de longue date pour le droit des femmes. Aucune révolution citoyenne, aucune démocratie ne peut se faire sans la liberté des femmes qui sont les premières victimes des régimes autoritaires. Le combat n’est pas d’aujourd’hui, il prend cependant un tournant particulier dans nos pays arabes qui vivent un tournant important qui appelle toutes les femmes à exiger que soit inscrit dans les constitutions un rempart indispensable : la séparation du religieux et du politique.

SOAD BABA AÏSSA :
«Nous voulons que nos revendications soient clairement inscrites»

Propos recueillis par Khadidja Baba-Ahmed
Soad Baba-Aïssa est membre de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie Coordination France et membre du PLD et de l’IFE, u n réseau de solidarité internationale de féministes des 27 pays de l’Europe et du pourtour méditerranéen pour faire entendre la voix des femmes afin qu’elles aient une vraie visibilité politique, sociale et pour la laïcité. Elle participait samedi à Paris, au nom de la Coordination France de la CNCD, à la marche des femmes pour l’égalité, la liberté et la dignité. Nous l’avions rencontrée la veille. Elle nous explique son combat de femme qui «ne saurait ja mais être un combat distinct de ceux que mène toute la société algérienne pour la démocratie, la liberté et la dignité.

Le Soir d’Algérie : Dans les mots d’ordre de la CNCD ne figure aucune revendication féministe explicite. Comment expliquez-vous cela ?
Soad Baba-Aïssa :
Il faut d’abord que je vous souligne que nous sommes totalement solidaires de la Coordination France de la CNCD et de toutes les actions de la Coordination en Algérie. Pour ce qui concerne notre lutte féministe, nous avons saisi l’occasion de la Journée internationale de lutte pour le droit des femmes pour faire une proposition à la CNCD en vue d’inscrire l’abrogation du code de la famille et l’officialisation de la langue amazighe et la pluralité culturelle dans la liste des revendications.
Mais elles ne figurent pas dans leurs exigences.

Elles ne figurent effectivement pas, même si elles sont sous-entendues dans les intitulés des autres revendications. Mais en ce qui nous concerne, nous voulons que ce soit clairement exprimé, et ce, pour la raison suivante : rappelez-vous, au lendemain de la guerre de notre indépendance que s’est-il passé ? Les anciennes moudjahidate, lorsqu’elles ont voulu s’impliquer dans la vie politique, on leur a dit «retournez à vos fourneaux, à vos rôles d’épouses, de mères, c’est là qu’est votre place. On va construire le socialisme, il y a des priorités». Au nom de ces priorités, on nous a sorti un statut personnel dont on connaît la teneur, un code inique. Nous n’allons donc pas se faire avoir encore une fois dans cette phase de lutte pour le changement démocratique. En 1988, par exemple, les Algériennes ont été à l’avant-garde pour faire sonner le glas de l’islamisme. Lorsque Bouteflika est arrivé au pouvoir, malgré toutes les promesses qu’il a faites sur une soi-disant abrogation – certains nous diront qu’il a parlé d’amendement des articles les plus discriminatoires — il a plutôt été à l’écoute de la frange des islamistes et fait alliance avec au lieu de prendre en compte ce à quoi aspiraient la société civile et la moitié de la population algérienne. Aujourd’hui, dans cette phase-là, nous voulons que nos revendications soient clairement inscrites.
Sur le pan de la lutte en Algérie, quelle est votre analyse du mouvement féministe algérien. Est-ce qu’il existe réellement ? Est-ce qu’il est structuré ? A-t-il une résonance au sein de la société algérienne ?

Oui, le mouvement existe. Il a du mal à se structurer et bute sur les mêmes difficultés que toutes les instances démocratiques qui essayent d’émerger en Algérie. L’on est face à des associations qui manquent de moyens logistiques, de subventions et lorsqu’elles en ont, elles ont des difficultés à faire émerger leurs revendications. Il faut souligner le travail fait par le Centre d’information et de documentation sur les droits de l’enfant et de la femme (Ciddef) avec Nadia Aït Zaî, Cherifa Kheddar avec l’Association des victimes du terrorisme, Cherifa Bouatta et nombre d’autres qui font beaucoup à différents endroits et différents plans… Même si, parfois, elles ont des difficultés et du mal à toujours se retrouver, elles ne lâchent pas prise. A l’époque, nous avions eu le RAFD qui a fait un très gros travail. Malheureusement, le mouvement féministe a subi, après 1988, des coups comme tous les mouvements démocratiques qui voulaient faire émerger les attentes citoyennes. Le mouvement existe cependant aujourd’hui et tente, malgré le manque de moyens, de se rendre plus visible qu’il n’est.
Le système répressif est-il pour quelque chose dans ce manque de visibilité ?

Bien sûr que oui. J’ai été étonnée à l’occasion du 8 mars l’année dernière à Alger, de voir qu’il n’y avait pas de marche. Mieux encore, l’on est en train de faire comme certains pays occidentaux qui ne parlent pas de «journée internationale de lutte pour les droits des femmes» mais de «fête des femmes» avec des concerts, des distributions de prix, de sodas… Même lorsque l’on organise des colloques sur les problématiques de liberté de la femme, l’on se retrouve malheureusement entre nous, entre personnes averties.
Justement, est-ce que cela ne procède pas d’un ciblage sur la seule femme alors que, par exemple, le code de la famille intéresse toute la société et partant devant impliquer dans la lutte le spectre le plus large pour son abrogation, femmes et hommes ?

L’abrogation du code de la famille concerne naturellement tous les citoyens, Algériens et Algériennes. Aujourd’hui, lorsque l’on exige un changement démocratique et que l’on exige des lois civiles égalitaires, l’on sait très bien qu’il faut passer par la séparation du religieux et du politique. Ce n’est pas en pactisant avec les islamo -conservateurs que l’on arrivera à l’abrogation du code.
A ce propos, vous menez un combat pour la laïcité au sein du PLD qui l’a même inscrite dans son appellation, dans son sigle d’identité. Quelle est, selon vous, la perception de cette laïcité au sein de la société algérienne, sachant que jusqu’à très récemment le terme même de «laïcité» était tabou ?
Cette idée avance. Elle est en train d’avancer notamment chez les jeunes. Jusqu’ici, l’on a toujours diabolisé la laïcité et empêché de lui donner un contenu concret. Aujourd’hui, avec internet et les réseaux sociaux, les jeunes se connectent sur le monde entier, entendent les débats sur la laïcité et se rendent compte que la laïcité est essentielle. Lorsqu’ils voient que certains autres jeunes sont emprisonnés dans le pays parce qu’ils ne font pas Ramadan, ils s’aperçoivent qu’il ne s’agit pas simplement de la liberté de culte mais bien de la liberté de conscience. Ils se rendent compte aussi que le discours qui leur a été tenu sur le fait que la laïcité était l’athéisme, le communisme, était un mensonge et qu’il s’agit bien de la liberté de conscience de chacun. Au PLD, nous expliquons que l’on peut être musulman et laïc , catholique et laïc, athée et laïc, agnostique et laïc et que la laïcité est le fait de séparer le religieux du politique et que c’est la liberté de conscience pour chacun, quelles que soient ses croyances, ses non-croyances et ses convictions. Au PLD, nous avons créé une association nationale pour la laïcité en Algérie. L’on est en train de se rendre compte que les jeunes sont très demandeurs et prennent conscience que sans laïcité, il ne peut pas y avoir d’égalité effective des droits et surtout de citoyenneté à part entière.
Aujourd’hui en France, où vous vivez, le débat engagé par la droite sur la laïcité ne vous met-il pas mal à l’aise parce que vous luttez pour cette laïcité mais que manifestement ce débat cache en même temps l’exclusion de tout ce qui est autre, musulman, arabe, maghrébin, émigré… ?
C’est vrai qu’aujourd’hui, nous les féministes laïques, quelle que soit notre naissance cultuelle, nous avons toutes les mêmes problèmes. Nous sommes confrontées à deux fronts et nous nous trouvons au milieu. On a le fait des extrémistes religieux mais aussi l’extrémisme de droite qui est en train de se saisir de la laïcité à des fins xénophobes. L’on nous dit aujourd’hui que l’héritage culturel de la France est un héritage chrétien. Je veux bien sauf qu’il faut peut-être rappeler que la loi sur la laïcité date de 1905 alors que la France était un pays colonisateur – Algérie, Maroc, Tunisie —, mais que dans ces pays elle n’a jamais appliqué cette loi dans ses colonies. L’indigène a toujours été renvoyé et maintenu à son statut de musulman. D’un autre côté, il y a le front de la gauche qui aurait dû s’emparer de la question de la laïcité à des fins d’égalité de citoyenneté et qui se mure dans le silence, dans la complicité et la complaisance de peur d’être taxé de raciste. Cette attitude fait, bien sûr, la part belle à tous les extrémistes et notamment aux islamistes. Ce que je reproche à cette gauche, c’est que pour moi, par exemple, qui suis française mais de naissance musulmane, elle n’arrive pas à me situer et veut obligatoirement me ranger dans une case, une identité cultuelle – musulmane — avant d’être citoyenne française. Nous sommes, nous féministes laïques au milieu de ces deux fronts et là est notre combat. Jusqu’ici, nous avons été tour à tour taxées de racistes, d’occidentalisées. Or, avec les révolutions tunisienne, égyptienne, les révoltes iraniennes qu’est-ce qui se fait entendre ? Les femmes parlent dans ces pays de laïcité, de séparation du religieux de la politique et partant, elles donnent une véritable claque à tout ces discours qui voulaient faire de nous des occidentalisées. Que l’on vive en Algérie, à Kaboul, à Tunis ou au Caire, toutes ces femmes veulent vivre comme toutes les citoyennes du monde, elles aspirent à la démocratie, à la liberté et à l’égalité des droits et ce sont ces principes- là que nous défendons et pour lesquels nous luttons.
K. B.-A.

NADIA CHAÂBANE, MILITANTE FÉMINISTE TUNISIENNE :
«Nous nous sommes battues pour la liberté et la dignité»

Elle est membre du Collectif national pour les droits des femmes depuis sa création. Elle a, lorsqu’elle faisait ses études à Paris, rejoint l’Union générale des étudiants tunisiens, et milite aujourd’hui dans des associations de l’immigration ainsi que les associations de l’opposition tunisienne de gauche en France.

Le Soir d’Algérie : L’idée généralement admise est que la femme tunisienne est la femme la plus libérée du Maghreb. Cela est-il vrai dans les faits et si c’est le cas, comment pouvait-elle exercer cette liberté dans un Etat aussi répressif que celui que dirigeait Ben Ali ?
Nadia Chaâbane :
Il faut d’abord préciser que la femme tunisienne a subi sous le régime de Ben Ali la même répression subie par l’homme tunisien. Les femmes tunisiennes jouissent effectivement d’un statut indéniablement plus avancé que le reste du Maghreb et plus globalement du monde arabe. C’est la promulgation du statut personnel qui date de 1956 qui a donné effectivement une tonalité un peu plus courageuse par rapport à l’époque. Il se trouve que depuis, ont émergé des revendications de femmes qui n’ont été entendues ni par le régime de Bourguiba, ni par celui de Ben Ali. Les femmes demandent la consécration de l’égalité et la séparation du religieux d’avec le politique parce que les entraves à l’égalité pour les femmes tunisiennes résident dans une assignation à l’identité religieuse puisque les interdits tournent autour des questions d’appartenance. Il se trouve que vous ne pouvez pas épouser un non-musulman si vous êtes tunisienne musulmane ; qu’une femme non musulmane mariée à un Tunisien musulman n’hérite pas de lui : l’on se retrouve finalement avec trois catégories de citoyens : l’homme musulman qui jouit de droits universels ; les Tunisiennes qui ont un peu moins de droits et celles qui ne sont pas musulmanes et qui en ont encore moins que les deux premiers. Pour mettre fin à cette discrimination flagrante et à ces inégalités, il n’y a qu’une solution : séparer les deux sphères du religieux et du politique de manière à pouvoir consacrer l’égalité et aller vers quelque chose d’égalitaire en termes de droits. Ces revendications ne datent pas d’aujourd’hui. Il y a deux associations qui, depuis les années 1980, reviennent sur cet aspect : l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) et l’Association des femmes tunisiennes pour la recherche et le développement (AFTURD) et elles avaient du mal à se faire entendre notamment sur les questions d’égalité en matière d’héritage, la part d’héritage pour la femme étant la moitié de ce que perçoit l’homme. Ces associations avaient du mal à se faire entendre dans le sens où elles étaient réprimées de la même manière que le reste de la société civile, que la Ligue des droits de l’Homme. Ces deux associations faisaient partie du bastion de résistance au pouvoir en Tunisie alors que ce pouvoir accaparait y compris le discours féministe. C’était pratiquement la seule vitrine que la Tunisie avait à offrir, et Ben Ali brandissait systématiquement le statut des femmes tunisiennes comme étant un des acquis de la modernité de la Tunisie et confisquait ainsi l’expression des féministes. Il y a eu donc une instrumentalisation par le pouvoir des revendications féministes. L’enjeu d’aujourd’hui, alors que nous sommes en train de bâtir la démocratie, de construire un nouvel Etat bâti sur de nouvelles valeurs est de remettre en débat les revendications féministes, de les poser comme préalable car ce pourquoi nous nous sommes battues c’est, faut-il le rappeler, la dignité et la liberté. Qui dit liberté et dignité entend égalité des citoyens devant la loi. Nous sommes aujourd’hui face à un grand défi où cette préoccupation doit être reprise par toute la société.
Le nouveau Premier ministre tunisien, Beji Caid Essebsi, a confirmé qu’il y aura, comme exigé par les Tunisiens, une constituante le mois de juillet prochain. En même temps et pour l’instant, il parle de rétablir la sécurité, comme étant la priorité aujourd’hui. Comment comptez-vous agir et faire que la nouvelle Constitution tunisienne consacre toute la liberté et l’égalité de droits et son corollaire, la laïcité que vous revendiquez ?
Ce n’est pas au Premier ministre actuel de dicter le reste. Nous attendons effectivement de lui aujourd’hui qu’il règle les problèmes de sécurité. Sa tâche est de faciliter et d’organiser le quotidien et de préparer les élections de juillet. Nous n’attendons pas de lui qu’il insuffle du contenu et on ne veut certainement pas d’un ancien du Destour qu’il nous dicte le contenu de la nouvelle Constitution. Son rôle aujourd’hui est d’assurer la sécurité dans la mesure où la police n’est pas dans la rue et que l’armée ne peut pas gérer toute seule cette situation, d’autant que nous sommes aujourd’hui face à un afflux de plus de 100 000 réfugiés qui viennent de Libye et qu’il faut organiser tout cela. Le Premier ministre est juste là pour régler des problèmes techniques. Quant à nous, il va falloir peser sur le débat.
Quel débat ?

Nous posons comme préalable à ce débat, que l’on ne confisque pas notre révolution parce que cette révolution nous y avons participé, nous les femmes, au même degré, au même niveau que tous les citoyens et que nous sommes engagées dans toutes les formes de résistance qui existaient et existent encore dans la société. Il n’y a aucune raison que nous soyons les dindons de la farce.
Et votre combat, ici en France, puisque vous y vivez ?

Nous ne sommes pas loin de 600 000 Tunisiens en France, nous avons aussi une parole à faire entendre et des revendications spécifiques à porter. Nous constituons 10% de la population tunisienne à l’étranger et l’on ne peut rester en dehors du débat. Il faut que des mécanismes soient trouvés pour que cette population participe au débat sur la future Constitution et que l’on travaille sur notre représentation au sein du futur Parlement tunisien. Depuis des décennies, nous revendiquons d’être représentées au Parlement et donc de participer aux législatives.
Cela n’a jamais été le cas ?

Jamais. On nous a fait un pseudo conseil, des gens qui parlaient en notre nom mais que nous n’avions pas élus et qui ne nous représentaient pas. Il faut souligner que le 3e PIB de la Tunisie provient quant même de l’argent des émigrés. Certaines régions de Tunisie ne survivent que grâce à l’argent de l’émigration et celle-ci contribue à ce que cette population ne sombre pas dans la misère la plus totale. Notre revendication porte aussi sur les conventions internationales signées et qui nous concernent. Il est hors de question que la France et la Tunisie continuent à statuer sur nos sorts sans qu’à un moment ou à un autre nous soyons associés à ces consultations. Et cela est valable pour tous les pays où résident des immigrés tunisiens : Italie, Libye ou ailleurs. La France étant le pays où la communauté immigrée tunisienne est la plus importante, la plus ancienne et la mieux organisée, nous les femmes, nous vivons une situation des plus catastrophiques en terme de statut
Par exemple ?
Il y a des centaines de femmes tunisiennes mariées à des non-musulmans qui se retrouvent avec des mariages non reconnus en Tunisie. Que fait-on avec ces femmes ? Aux yeux de la Tunisie, les enfants de ces couples sont des enfants naturels, non reconnus et en terme d’héritage, ils ne peuvent hériter de leur père et n’ont pas les mêmes droits qu’un enfant «légitime». Lorsque l’on vit en France et que l’on a tous ses biens en France, cela est réglé par la loi française, mais lorsque l’on est à cheval entre les deux pays, ce qui est le cas d’une grande majorité de l’émigration, l’on se trouve sous le coup de deux législations avec des droits différents et des citoyens de seconde zone dès que l’on tombe sous la législation tunisienne. Nous continuerons donc à porter notre voix en tant que femmes tunisiennes vivant à l’étranger, ces problèmes nous concernent autant que nos copines qui sont sur place. Notre engagement se doit d’être à la hauteur de l’enjeu historique.
Avec le retour en Tunisie des islamistes d’Ennahda, ne craignez-vous pas que votre combat ne soit confisqué au bénéfice d’une réconciliation, comme on l’a vu ailleurs sous d’autres cieux ?

Le problème ne se pose pas en terme de réconciliation en Tunisie : l’embrouille, si je peux dire, était entre le pouvoir et les islamistes et n’était pas entre la population et les islamistes. Il n’y avait pas de guerre civile comme en Algérie. Les Tunisiens se sont tous exprimés, collectivement et unanimement, sur le fait qu’Ennahda est une des composantes du paysage politique tunisien. Ceci dit, nous les femmes, même si nous ne sommes pas à vouloir interdire Ennahda, nous exigeons des garanties pour nos acquis. Notre combat aujourd’hui est d’interpeller tous les partis pour se prononcer sur cette question. On n’arrête pas de nous dire qu’ils ne toucheront pas aux acquis des femmes tunisiennes. Mais aujourd’hui, nous n’en sommes plus là. Les acquis de la Tunisienne ce sont ceux de ma grand-mère et de ma mère. Entre autres, il y a d’autres revendications et nous luttons pour leur satisfaction. Ce que nous voulons, c’est l’égalité, point final. Nos acquis, nous les avons eus en 1956, résultats des luttes des femmes de l’époque. Ce que nous voulons aujourd’hui, c’est l‘élargissement de ces acquis à l’égalité. Ce n’est pas une amélioration, un replâtrage, c’est quelque chose qui n’est pas négociable et qui s’appelle la consécration constitutionnelle de l’égalité. Donc à partir de là, Ennahdha ne nous préoccupe pas particulièrement, sachant qu’il n’est pas en capacité de prendre le pouvoir en Tunisie. On l’a vu sur un certain nombre de faits. Ils sont une des composantes de la Tunisie mais pas la plus influente. Les citoyens ne se sont pas exposés aux balles pour faire tomber une dictature et se mettre finalement sous un régime théocratique. La rue tunisienne n’en veut pas. Ennahdha joue sur une forme de reconversion démocratique et un discours qui se veut rassurant, mais personne, surtout pas les femmes, n’est dupe et c’est pourquoi nous restons très vigilantes.
K. B.-A.

ELLES FONT DES MÉTIERS D’HOMMES
Le «je» au féminin parfait

Elles sont policières, pompiers, facteurs, chauffeurs de bus, plombiers... Eh oui, elles exercent un métier dit d’«hommes». Et pourtant, elles ont réussi le pari de changer la donne et de vivre de l’emploi de leur rêve.

Meriem Ouyahia - Alger (Le Soir) - Dans la société algérienne, les femmes ont pendant longtemps dû puiser dans une panoplie d’emploi à choix restreints : secrétaire, infirmière, maîtresse d’école ou encore médecin. Aujourd’hui, malgré le fait que la société reste à certains égards conservatrice, beaucoup d’entre elles ont choisi d’exercer le métier de leur rêve et d’assumer pleinement leur vocation. Elles bravent, en quelque sorte, l’interdit.
L’emploi a un sexe
L’emploi que vous exercez vous représente ! Partant de ce constat, une femme qui exerce un métier «masculin» est perçue comme ayant un caractère bien trempé, une grosse tête et même avec une voix rauque. Pourtant loin est de cette image, cette femme taxi, desservant place 1er Mai-Alger. La quarantaine, ne desserrant les dents que pour dire quelques mots, elle est loin de ressembler aux autres chauffeurs de taxi de la place. Maquillée légèrement, les cheveux blonds, cette femme taxi, qui n’a pas voulu révéler son prénom, est entrée de plain-pied dans la corporation des chauffeurs de taxis urbains d’Alger. Et elle est loin de passer inaperçue. «La première fois que je suis montée dans son véhicule, cela m’a fait tout drôle. Cela m’a même impressionnée. A cette époque, rares encore étaient les femmes qui conduisaient», raconte Meriem, jeune étudiante. Et d’ajouter : «Franchement, en la voyant, je me suis dit que tout est à ma portée.» Une façon de combattre les complexes. Même si certains hommes refusent de compter parmi ses clients, la femme taxi d’Alger est très sollicitée par les couples et la gent féminine. Autant faire jouer la solidarité féminine ! Aujourd’hui, outre femme taxi, conductrice d’autobus au sein de l’Entreprise de transport urbain d’Alger (Etusa), la femme algérienne fait dans le transport de marchandise, notamment l’agroalimentaire. Et pas seulement, elles sont techniciennes de la navigation aérienne d’Air Algérie, «foreur» au sein de l’Entreprise nationale des travaux aux puits (ENTP). Elles ont réussi le pari de changer les mentalités et d’aller de l’avant. Rares sont les hommes qui en diront autant. Jusqu’à aujourd’hui, aucun homme n’est assistant maternel dans une crèche, par exemple. Et les Algériennes n’en restent pas là, elles activent même dans l’informel !
Les femmes dans l’informel
Ces dernières années, de plus en plus de femmes exercent en tant que chauffeurs de taxi clandestins. Bravant tabous et dangers, elles prennent le risque d’être agressées et pénalisées. «Je ne me voyais pas femme de ménage. Cela m’était insupportable. Je me suis endettée pour m’acheter cette petite voiture et j’ai décidé de gagner ma vie ainsi ; et avec tous les risques que cela comporte», explique une jeune chauffeur clandestine. Cette dernière prend l’initiative de s’arrêter devant chaque potentielle cliente. Et d’ajouter : «Je ne prends que les femmes. C’est une forme de protection même si je m’arme aussi d’un gros gourdin au cas où.» Durant la courte course, elle raconte, tout en gardant l’anonymat, qu’elle a fait un choix assumé : «C’est la seule façon de gagner de l’argent honnêtement pour pouvoir nourrir une famille à charge.» D’autres femmes chauffeurs de taxi clandestins prennent plus de risques et rôdent, comme leurs collègues masculins, autour des stations de taxis «régulières». Manque d’expérience professionnelle, veuvage, divorce, cherté de la vie, famille à charge autant de facteurs qui poussent les femmes à recourir à ce genre de travail illégal. «La dislocation de la famille pousse beaucoup de mamans à prendre de tels risques. Elles s’endettent pour acheter un petit véhicule et espèrent ainsi gagner honnêtement de l’argent pour subvenir aux besoins de leurs enfants», explique une maman chauffeur de taxi qui voudrait se spécialiser dans le transport des enfants et des femmes uniquement. «J’aimerais, par la suite, être le chauffeur d’une famille donnée. C’est plus sûr», explique-t-elle. Ainsi, ces femmes aventurières se sont procuré un véhicule dans le but de nourrir leur famille, et c’est ce qui a amené la plupart d’entre elles à embrasser ce métier. Et ce malgré les risques d’agressions inhérents à ce métier. Mais, comme le dit si bien un passant : «Il ne faut pas se leurrer, cela choque beaucoup de personnes.» D’autres femmes ont carrément mis une table de cigarettes et de chemma, comme cette vieille femme pas loin du tunnel des Facultés. Tout le monde la connaît. Par la force des choses, elle fait partie du paysage et sa vue ne choque pas.
M. O.

TIPASA
Joies et tristesses des femmes berbères du mont Chenoua, des djebels de Menaceur et de Gouraya

Ces femmes ont subi les affres du colonialisme violent, brutal et méprisant. Elles ont souffert le martyre de l’exode forcé, que leur a imposé la décennie noire avec son lot de violences aveugles et sauvages.

Ces femmes ont vu leur mari et leurs enfants se faire égorger, décapiter, racketter et torturer au nom d'un nouvel ordre et d'une nouvelle pensée. Ce sont elles qui se sont retrouvées face à une surprenante réalité algérienne, brutalement et soudainement démunies, appauvries, contraintes à la mendicité ou à la servitude. Ce sont les femmes rurales des djebels Bou Maad, des monts Béni Mileuk, Zatima, de Ghardous, de Menaceur et du mont Chenoua. De l’autre versant de l’immense territoire de la wilaya de Tipasa, précisément du côté du mont Chenoua, région qui a donné naissance à des femmes célèbres, telles Assia Djebbar, surnommée la Françoise Sagan algérienne, du fait de ses célèbres œuvres (La soif- 1956 ; Les impatients-1958 ; Les enfants du nouveau monde, Les alouettes naïves, L’amour, La fantasia, La nouba des femmes du mont Chenoua). Mais aussi des célébrités à l'instar d'une excellente gastronome, primée dans le sud de l’Italie par une distinction de taille : le deuxième prix mondial du meilleur plat culinaire, lors de la biennale de Turin et du Festival mondial du couscous (1999). Cette gastronome, Rabéa Nedjar, est aussi originaire du Chenoua. Nous la retrouvons en 2011 à Ghardaïa en compagnie de la délégation chenouie qui y était présente en force pour présenter les traditions, la culture et le savoir du Chenoua. Cette gastronome renouvelle les gestes du passé en cuisinant les plats du Chenoua authentique. En cette circonstance, elle nous a déclaré que «la cuisine chenouie est caractérisée par l’utilisation des plantes locales et des produits marins (poissons, algues, fruits de mer). Cette culture culinaire se transmet de génération en génération, depuis la nuit des temps». Elle a ajouté que «les femmes chenouies ont appris depuis les âges à inventorier les plantes comestibles aromatiques, médicales et à marier certaines d’entre elles à l’origine de plats succulents, d’une parfaite valeur nutritive, et que, actuellement, «une femme chenouie sur dix continue à observer ces traditions gastronomiques. On doit sauver cet héritage afin de le transmettre intact aux générations futures». A l'instar de ces merveilleuses femmes algériennes, nous évoquons l'inlassable œuvre fournie par une autre dame originaire de la région de Tipasa, présidente d'une association de statut français, appelée «Cœur d'Algérie». Cette association caritative est présidée par une jeune Française d’origine algérienne, Anissa Dahmani. Cette dernière ne se lasse pas d'effectuer d'incessants allers-retours entre la France et l'Algérie, au profit de pouponnières (de Hadjout, de Palm- Beach, de la crèche et la pouponnière de Boukhalfa), du collège de Cherchell. Cette association distribue gratuitement du matériel pour pouponnière acheté en France et du matériel donné par des commerçants parisiens (biberons, mixeurs, serviettes, draps, housses, tétines, shampoing, jouets d’éveil, etc.) Plusieurs commodes de rangement pour enfants ont été achetées et distribuées gratuitement au profit de pouponnières algériennes. C'est ainsi qu'au niveau de la pouponnière de Palm-Beach, il a été procédé à la distribution de petit matériel, vêtements, aérosol, tapis d’éveil, jouets, matériel d’animation et livres. Quant à la crèche et la pouponnière de Boukhalfa, elles ont été dotées gratuitement de matériel médical, de déambulateurs, stérilisateurs, aérosols, thermomètres, biberons, jouets d’éveil, jouets traditionnels, ainsi que des livres et des cartables au profit des enfants scolarisés et des enfants de la crèche.
Larbi Houari

BRIBES DE VIES DE FEMMES INCONNUES
Exceptionnelles de par leur courage

Il y a des femmes qui, par la force des choses, finissent par imposer le respect. Elles ont par leur caractère, par leur vécu et surtout par leur courage, réalisé un parcours qui peut paraître banal, mais tel n’est pas le cas. Un hommage est rendu à ces femmes humbles que nous rencontrons au quotidien et qui forcent le respect. Des bribes de vies que nous vous livrons...

WASSILA B., JEUNE CHEF D’ENTREPRISE :
«J’ai le droit au bonheur !»
Pétillante, Wassila B. est une femme qui croque la vie à pleines dents. Issue d’une famille de sept enfants et d’un quartier populaire de Belouizdad (ex-Belcourt), orpheline très jeune, son mariage n’a pu tenir plus d’un an. Divorcé avec un enfant à charge, elle avait le choix entre se lamenter sur son sort ou se ressaisir et mener l’initiative. Une expérience maritale douloureuse, certes, non sans laisser des stigmates mais qui ne l’empêchera pas de prendre son destin en main et d’aller de l’avant. Ayant perdu tous ses biens après son divorce par kholaâ (quand c’est la femme qui demande le divorce, elle ne peut prétendre à la pension), elle a dû repartir à zéro. S’armant de patience et de courage, elle décidera de se lancer dans l’entreprenariat en fabricant des gâteaux traditionnels. «Au lieu de rester à la maison et pleurer sur mon sort, je décidai de prendre les choses en main. Cela a été difficile au départ d’affronter mes frères et surtout la société », raconte Wassila. «La première chose que j’ai faite, poursuit-elle, a été de louer un petit local et de me lancer dans la fabrication de gâteaux de mariages. Au fur et à mesure, j’ai pu me constituer une bonne réputation et suis parvenue à me lancer en tant que traiteur». Et de confier : «Même à Alger, les mentalités n’ont pas changé. Une femme divorcée est synonyme de dévergondée. Alors, je dois faire encore plus attention.» La tête pleine de projets, elle ne s’arrête que pour prendre du plaisir à partager des moments de bonheur avec son fils. Cette jeune maman d’une trentaine d’années a décidé de prendre sa revanche sur la vie. «Durant toute mon enfance, j’ai été éduquée de telle sorte que je croyais ne trouver mon bonheur que dans le mariage. Cela s’est révélé faux. Alors, j’ai décidé de prendre ma revanche sur la vie.» La preuve, elle a rejoint plusieurs associations et en a créé une. «Ma plus grande fierté est de reprendre mes études supérieures», dit-elle. Pour Wassila, son périple devrait servir d’exemple à d’autres femmes : «Toutes nous avons le droit au bonheur, même divorcées !»

GHANIA L. :
«Donner du courage aux générations futures»
Cheveux grisonnants, l’air jovial, Ghania est une grandmère dynamique. Entre fourneau et courses, elle met un point d’honneur à être présente dans la vie de ses petits-enfants. «Ils sont pour moi une source de bonheur», dit-elle souriante. Sa vie a été faite de moments de bonheur alternés de passages moins heureux. Ce n’est pas faire exception à ses concitoyennes de la même génération de dire qu’elle s’est mariée très jeune, à peine à la fin du lycée. Pourtant, elle aurait pu prétendre à une destinée meilleure, n’étaient les us de l’époque, de moins en moins persistantes certes, voulant que la femme se doit d’être d’abord le valet de son époux. Les femmes de cette génération durent se rendre à l’amère réalité qu’elles devaient mettre leurs ambitions personnelles entre parenthèses. Des parenthèses qui durent le temps de voir ses enfants grandir. Pour peu que la descendance soit reconnaissante, c’est, pour Ghania et d’autres, une forme de revanche sur le destin. « J’ai fait en sorte que mes filles soient autonomes et instruites même après leur mariage, je voudrais qu’elles le soient financièrement d’abord. Mine de rien, c’est important. » Commerciale, journaliste, pharmacienne et avocate, cette jeune grand-mère a de quoi bomber le torse de fierté. Malgré cela, le sentiment d’un petit arrière-goût lui reste. «J’ai dû interrompre mes études malgré moi pour mon mariage. Il me reste un goût d’inachevé.» Et pour cela, elle s’est battue pour être présidente bénévole d’une association œuvrant pour l’apprentissage des femmes au cœur de la Casbah. Le peu que je savais de la couture et de la cuisine, je l’ai partagé car ces jeunes femmes me renvoyaient ma propre image», conclut-elle.

EL HADJA FATIHA :
«Lire et écrire est un pur bonheur»
Avec sa petite-fille de cinq ans, El Hadja Fatiha prend du plaisir à lire. Elle sait lire et écrire. A pratiquement 70 ans, elle retrouve les bancs de l’école. «Mon défunt mari a de tout temps refusé que j’apprenne à lire et à écrire. La seule chose qu’il m’a permise a été de savoir compter jusqu’à dix pour pouvoir connaître l’heure», raconte-t-elle émue. «Après sa mort, ma première décision a été de m’inscrire dans l’association Iqraa. Faire réciter mes petits-enfants est un pur bonheur.» El Hadja a, elle aussi, pris une revanche sur la vie : «Mes enfants, notamment les garçons, m’ont aidée dans cette entreprise et je les en remercie.» Trois générations, un seul combat : s’assumer pour aller de l’avant.
M. O.

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