Contribution : À PROPOS DE LA GUERRE CIVILE EN LIBYE
De Léon Blum à Nicolas Sarkozy


Par Zineddine Sekfali, ancien ministre
Le jeudi 10 mars 2011, résonnant comme un coup de tonnerre dans le ciel des diplomaties timorées et desdites realpolitiks cyniques, le président français, qui est issu comme on le sait de la droite, a pris deux décisions qu’il a aussitôt mises en œuvre : d’abord, recevoir officiellement et publiquement des «rebelles libyens», ensuite reconnaître leur «Conseil national de transition». Last but not least, il a parlé d’éventuelles «frappes aériennes ciblées» contres les armes et les forces répressives de Kadhafi…
Les chancelleries à l’ambiance ronronnant se sont subitement animées et les diplomates, dont un célèbre écrivain ambassadeur aimait à rappeler «la douce incompétence », se sont affolés invoquant toutes sortes d’arguments pour que, en définitive, rien ne bouge et rien ne change. Mais que ne se rappellent-ils ce qu’il advint du Front populaire et de la République espagnols, abandonnés sans secours ni assistance, et livrés aux «nationalistes», au nom d’un principe de «non-intervention » inventé pour les besoins de la cause pour excuser leur non-assistance à une démocratie naissante. Pendant presque trois ans, ce fut alors «le temps des sanguinaires : pas de grâce, pas de quartier !», pour reprendre des mots de V. Hugo. La répression fut tellement sauvage que la dictature perdura jusqu’à la mort du dictateur en 1975. Il y a, en effet, soixante-quinze ans de cela, précisément en août 1936, le général Franco, qui était en garnison au Maroc, débarquait en Espagne à la tête de nombreuses troupes coloniales «Los Terceros» et «Los Mauros», pour donner la chasse aux Républicains et renverser la République proclamée cinq ans auparavant. Des milliers d’Espagnols se réfugièrent en Algérie, notamment à l’ouest du pays ; les gens de mon âge ont en connu quelques-uns dans les années 1950 et ne les oublient pas. Or, il y avait en France à cette année 1936, une République, un Front populaire, et à la tête du gouvernement, un socialiste : Léon Blum. L’histoire a retenu que c’est lui qui a inventé sinon invoqué le fameux «principe de non-intervention», l’a défendu bec et ongles devant ses amis de gauche qui n’en voulaient pas et l’a ensuite transformé en «pacte» qu’il fit signer à une vingtaine de pays démocratiques, qu’ils fussent des républiques ou des monarchies, comme le Royaume-Uni. Trois Etats européens refusèrent de signer cet engagement ; c’était en l’occurrence : l’Allemagne de Hitler, l’Italie de Mussolini et le Portugal de Salazar. Ces dictateurs fournirent à leur collègue espagnol armes, munitions, troupes aguerries et même des appuis aériens. Les dictateurs faisaient donc corps entre eux, pendant que les démocraties, pour un principe préfabriqué sans apparemment en avoir calculé ses conséquences, étaient en train de s’affaiblir ou en tout cas, en train d’afficher au grand jour toutes leurs faiblesses et défaillances. L’honneur fut cependant, sauf grâce à quelques hommes, brillants intellectuels et patriotes épris de liberté ; je citerai parmi les plus emblématiques, deux d’entre eux : André Malraux et Jean Moulin, que l’on remarquera plus tard encore, portés par le cours de l’Histoire de leur pays. Demain ou après-demain, vont se réunir plusieurs aréopages, comme la Ligue arabe, l’Union européenne, l’Otan et le Conseil de sécurité des Nations Unies, qui a défaut d’être des cénacles de sages, sont des conférences internationales, lieux de conflits feutrés mais féroces, de compromis plus ou moins équilibrés, de compromissions peu avouables, à l’occasion desquelles les intérêts étatiques priment souvent sur l’intérêt général, les droits nationaux sur le droit international, le pétrole et les affaires sur les droits de l’homme et sur sa dignité. Est-ce que cette affaire libyenne qui a rallumé les espoirs légitimes de la «rue arabe» et laissé quasiment aphasiques les politiques arabes pourtant amoureux de l’art oratoire, va changer la donne dans ces aréopages, comme elle a déjà réussi à le faire grâce à l’opiniâtreté du peuple libyen et à son amour de la liberté et de la démocratie, dans les opinions publiques du monde entier ? Ou est-ce que la bestiale sauvagerie d’un fou du pouvoir et les extravagances de sa progéniture vont finir par l’emporter sur la morale et le droit ? Nous le saurons bientôt.
Z. S.

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