Chronique du jour : CE MONDE QUI BOUGE
Libye, hypocrisie et incohérences


Par Hassane Zerrouky
Posture inconfortable. L’Algérie a mis quatre jours pour reconnaître – le mot est un peu fort — les nouvelles autorités tunisiennes. Quant au changement intervenu en Égypte, le ministère des Affaires étrangères s’est borné à rappeler qu’«en cette période cruciale que traverse l'Égypte sœur, l'Algérie réaffirme avec force son attachement aux liens historiques et de fraternité qui unissent les deux peuples algérien et égyptien». Et depuis, plus rien ! Sur la Libye, l’embarras est évident.
Dimanche, lors de la réunion de la Ligue arabe, Mourad Medelci assurait que l'instauration d'une zone d'exclusion aérienne en Libye était «du seul ressort du Conseil de sécurité et ne saura en aucune manière être prise en dehors de ce cadre et conformément aux mécanismes et mesures de la Charte des Nations unies». Une position que le ministère des Affaires étrangères a de nouveau réitérée mardi. Or, dans la déclaration finale adoptée par les ministres arabes des Affaires étrangères, que chacun peut lire sur le site des affaires étrangères de n’importe quel pays arabe, seule la Syrie a émis des réserves. Il n’est nullement mentionné que l’Algérie s’y soit opposée. Le plus remarquable, après que des médias nationaux et étrangers eurent rapporté ces réserves algériennes, Alger n’a pas réagi de façon claire. Elle a même entretenu une savante ambiguïté avant de se livrer à des démentis qui se contredisaient. En réalité, comme un enfant pris la main dans le sac, l’Algérie refuse d’assumer publiquement son choix au sein de la Ligue arabe et préfère tenir un autre discours, à usage interne. Afin de rassurer ces milieux islamo-conservateurs effrayés de voir Kadhafi subir le même sort que Ben Ali et Moubarak ? Et que la chute de l’autocrate libyen n’aggrave la pression sur le pouvoir algérien qui dès lors risque de se retrouver bien seul dans une Afrique du Nord démocratisée ? Hypocrisie. Tout le monde se félicite de la position adoptée par la Ligue arabe à l’égard de Kadhafi. Mais s’est-on interrogé sur le fait qu’hormis la Tunisie et l’Égypte, les autres Etats membres de la Ligue arabe sont des régimes autoritaires ? Le régime yéménite d’Abdallah Saleh, qui tire sur son propre peuple, s’est prononcé pour une zone d’exclusion aérienne en Libye ! On rêve ! La monarchie de Bahreïn, confrontée à une forte opposition, est dans le même cas. Pire, moins de quarante-huit heures après le vote de la Ligue arabe, l’Arabie saoudite, de concert avec les Emirats arabes unis, intervient militairement à Bahreïn pour sauver la monarchie locale ! L’Arabie saoudite ? Le régime wahhabite, premier à avoir pointé son flingue sur le régime libyen, a déjà averti qu’il ne tolérerait aucune contestation ! A Oman, le ministre des Affaires étrangères s’est livré à une leçon de choses à l’issue de la réunion de la Ligue arabe pour expliquer la position adoptée à l’égard de la Libye ! Or, le sultanat d’Oman, où les partis politiques sont interdits, est également le théâtre d’une contestation populaire de nature sociale et démocratique ! Ajoutons que Washington, si prompt à froncer des sourcils à l’égard de certains pays, a fermé pieusement les yeux sur ses alliés arabes. Incohérences. La France est le pays le plus résolu à voir Kadhafi quitter le pouvoir. Mieux, elle milite pour une zone d’exclusion aérienne, voire pour une intervention militaire en Libye pour sauver le peuple libyen des griffes du régime. Là également, après avoir raté le train démocratique tunisien – Paris a soutenu jusqu’au bout son ami Ben Ali – puis égyptien – Moubarak co-présidait avec Sarkozy l’Union pour la Méditerranée (UPM) – la France de Sarkozy veut se rattraper et met un point d’honneur pour faire oublier qu’elle a déroulé le tapis rouge à Kadhafi lors de son séjour parisien. «J’envoie des signaux à la rue arabe», se félicitait alors Nicolas Sarkozy (in le Figaro du 13/12/07). Mieux, Nicolas Sarkozy comptait lui vendre quelques avions Rafales, missiles et autres armes ! En tout état de cause, n’oublions pas ces dizaines de milliers de jeunes Libyens se battant pour la liberté et pour lesquels notre diplomatie n’a pas eu un mot. Si Kadhafi l’emporte, on sait ce qui les attend !
H. Z.

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