Chronique du jour : KIOSQUE ARABE
La �bo�te noire� de Heykal


Par Ahmed Halli
halliahmed@hotmail.com

Nombre de confr�res �gyptiens se m�fient de leur v�t�ran, Mohamed Hassane�n Heykal, et mettent en doute ses t�moignages sur ses d�cennies de d�ambulations dans les all�es du pouvoir. L'ancien proche conseiller de Nasser et, � ce titre, r�dacteur en chef du quotidien Al-Ahram, raconte l'Histoire avec une facilit� et une r�gularit� d�concertantes. Ce n'est pas par hasard que la cha�ne Al Jazeera en a fait depuis plusieurs ann�es son conteur pr�f�r�.
Depuis plusieurs ann�es, M. H. Heykal revisite l'Histoire, une histoire dans laquelle il jour le r�le de guide et de protagoniste d�cisif et incontournable. Dans ces exercices de narration tr�s personnalis�s, il a d'autant moins de m�rite qu'il ne risque pas d'�tre d�menti. Presque tous les acteurs de ses r�cits ont eu, en effet, le bon go�t de d�c�der, lui �vitant ainsi toute r�action contraire. � 87 ans pass�s, et au vu de ses performances actuelles, Heykal a encore des chances d'enterrer nombre de ses contradicteurs et de ses fans. Des d�tracteurs malvenus ont h�tivement attribu� ses omissions et ses oublis � la maladie d'Alzheimer, mais il est �vident qu'il y est r�fractaire. Dans ses interventions anciennes, ou plus r�centes, il donne surtout l'impression de recourir � une m�moire s�lective et auto-glorificatrice, ce qui est normal pour �L'unique t�moin du si�cle� . En r�sum�, il ne faut pas faire une confiance totale � cet homme lorsqu'il vous parle du pass�, de son pass�, et que les seules personnes susceptibles de lui clouer le bec se sont tues � jamais. Voil� pour Heykal, l'homme d'un pass� recompos� et quelque peu enrob� de mythomanie. Cependant, il y a un autre Mohamed Hassane�n Heykal que les t�l�spectateurs et contemplateurs d'Al Jazeera ne connaissent sans doute pas, et ce Heykal-l�, pardon, on en redemande ! Quand il parle du pr�sent et de l'avenir, ce n'est plus le m�me homme ni les m�mes v�rit�s, le doigt� et le tact sont l� certes, mais l'impact est retentissant. La semaine derni�re, le journaliste et �crivain �gyptien �tait interrog� par l'acteur Amr Ouaked(1) sur la cha�ne One T.V. C'est l� que j'ai enfin retrouv� le Heykal qui s'�tait oppos� � Sadate, l'auteur de L'automne de la col�re, qui d�fendait envers et contre tous la m�moire de Nasser, alors autopsi� par des �m�decins l�gistes� sans scrupules. Dans cette interview originale(2) o� un acteur questionne un journaliste, Heykal d�plore d'abord que les jeunes artisans de la r�volution se soient content�s de si peu, � ce stade. �Le 25 janvier, vous avez fait quelque chose d'extraordinaire. Les portes se sont ouvertes. Mais j'ai l'impression qu'une fois que les gens ont cass� les portes, et qu'ils ont regard� dehors, ils sont rest�s muets, comme s'ils avaient peur de ce qu'ils avaient vu. L'attitude actuelle des r�volutionnaires me rappelle celle de cet homme qui est parvenu sur la lune, et lorsqu'on lui a demand� ce qu'il voulait, il s'est content� de r�clamer un kilogramme de boulettes de viande.� Il se dit perplexe devant cette cet �tat de fait : �Nous avons l� une jeunesse qui a fait une r�volution, et nous nous acheminons vers des �lections l�gislatives, mais cette jeunesse aura beaucoup de chance si elle r�ussit � obtenir trois si�ges. Cette jeunesse n'est repr�sent�e nulle part.� M. H. Heykal s'�tonne, � cet �gard, de voir si peu de jeunes s'investir dans l'action politique, et de constater que les deux candidats aux pr�sidentielles les plus connus ont d�pass� les soixante-dix ans(3). �Ils ont presque le m�me �ge que moi�, a ajout� Heykal, sugg�rant par l� qu'� ce tarif, il aurait pu lui-m�me �tre candidat. Plus s�rieusement, il a affirm� que c'est le moment pour les �gyptiens d'ouvrir la �Bo�te noire� qui contient les non-dits, les v�rit�s qui ne sont pas bonnes � dire et les engagements politiques et �conomiques du pays, ces trente derni�res ann�es. �C'est le moment id�al pour regarder de pr�s nos malheurs, pour choisir le bon chemin. Si on n'ouvre pas cette bo�te maintenant, dit-il, le prochain pr�sident la maintiendra ferm�e, et celui qui viendra apr�s lui en fera de m�me. La vie politique en �gypte a �t� syst�matiquement d�vast�e, d�sertifi�e, et le pays s'est retrouv� dans la situation d'une mer ass�ch�e. Il faut rendre la vie � ce d�sert, autrement ce serait semer sur de la roche�, a-t-il ajout�. Puis Heykal aborde la d�licate question de l'article 2 de la Constitution �gyptienne disposant que l'Islam est la religion de l'�tat et que la Charia est l'unique source de la l�gislation. D'abord, il affirme qu'il ne croit pas que le chemin de l'avenir commence et finit avec cet article controvers�, puis il encha�ne en rappelant la participation de la jeunesse copte � la r�volution. �La Constitution, note-t-il, est ce texte qui organise la vie en commun des citoyens. Il ne doit pas y avoir de r�f�rences � une majorit� et � une minorit�. Je me revendique personnellement de ma culture musulmane, mais ceci n'exclut pas les autres composantes de la population. Et toute r�f�rence � une minorit� conduirait celle-ci � la scission.� Cette Constitution d�cri�e est �galement la pr�occupation du sociologue Sa�deddine Ibrahim, directeur fondateur de l'Institut Ibn- Khaldoun du Caire. Lui s'insurge contre les amendements qui interdisent � certains �gyptiens de se porter candidats � l'�lection pr�sidentielle. Ainsi, dit-il, Wael Ghone�m, l'une des figures de proue de la r�volution du 25 janvier, est in�ligible au regard de la Constitution. Simplement parce qu'il est mari� � une �trang�re, tout comme des milliers d'autres citoyens �gyptiens exil�s. Sa�deddine Ibrahim met en cause l'objectivit� de Tarek Al-Bishari, le pr�sident de la commission de r�forme de la commission. �Cet ancien marxiste qui a fini islamiste, pr�cise-t-il, a introduit un amendement interdisant � Wael Ghoneim et � plusieurs millions d'�gyptiens de briguer la pr�sidence de leur pays. Il faut noter, ajoute-t-il qu'entre Wael Ghone�m et Tarek Al-Bishari, il y a une diff�rence d'�ge de cinquante ans. Le second pourrait �tre le grand-p�re du premier. C'est ainsi que la r�volution r�ussie par les petits-enfants a �t� r�cup�r�e et d�tourn�e par les grands-parents.� Ce sont toujours les m�mes qui verrouillent les constitutions, qui emp�chent l'ouverture de la �Bo�te noire� de Heykal, tout comme ils bloquent la r�ouverture des portes de l'ijtihad scell�es par leurs soins.
A. H.

(1) En �gypte, il arrive souvent que des acteurs jouent au journaliste, avec un certain bonheur, et que des journalistes fassent du cin�ma, mais sans succ�s probants. Quant � l'artiste Omar Ouaked, il est, je crois, le premier de sa corporation a avoir rejoint la r�volution dont il est devenu l'un des principaux animateurs.
(2) Pour ceux que le sujet int�resse, l'interview compl�te est disponible sur �Youtube �, ou sur le site du quotidien �gyptien Al-Chourouk(http://www.shorouknews.com/).
(3) Il s'agit de l'actuel secr�taire g�n�ral de la Ligue arabe, Amr Moussa, et de Mohamed Al-Barada�, ancien directeur de l'Agence internationale de l'�nergie. Le premier est d�j� en campagne : apr�s avoir mis le Qatar et Al Jazeera dans sa poche en b�nissant l'intervention occidentale en Libye, il se rebiffe en critiquant les exc�s et les objectifs de la coalition. Le second a �t� accueilli � coups de pierres par des manifestants le 19 mars alors qu'il allait voter.

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