Monde : LIBYE
Les Européens vont devoir hausser le rythme de leurs opérations


S’ils font un effort, les Européens ont une puissance de feu aérienne suffisante pour bombarder les forces libyennes de Mouammar Kadhafi, sans participation directe des Etats-Unis à ces frappes, estime-t-on à l’Otan.
L’Otan a pris en main les opérations libyennes jeudi, et Washington, qui avait prévu de retirer ses avions de combat et ses missiles Tomahawk du théâtre des opérations dès samedi, a accepté de les maintenir jusqu’à lundi soir, «en raison du mauvais temps». Jusque-là, les Américains effectuaient «en moyenne 50% des quelque 70» sorties quotidiennes de bombardement, a indiqué à l’AFP un responsable militaire. «Donc, pour compenser les moyens américains qui vont manquer, les pays concernés vont devoir notablement multiplier les sorties et déstocker plus de munitions», a-t-il résumé. Selon un communiqué de son Commandement à Naples (sud de l’Italie), entre le 31 mars 8h GMT et le 3 avril 22h GMT, l’opération Protecteur unifiée a effectué quelque 276 sorties de bombardement — qui incluent des raids destinés à identifier les cibles potentielles et n’occasionnent en réalité qu’un nombre bien inférieur de frappes. «La mission de l’Otan, qui est notamment de protéger les civils, reste inchangée, quelle que soit l’implication de tel ou tel allié, aussi important soit-il», a souligné de son côté un diplomate. Les avions américains comme le tueur de tanks A 10 Thunderbolt et la canonnière des airs AC-130 qui opèrent à basse altitude ne pouvaient de toute façon guère être utilisés en Libye «en raison de la menace antiaérienne persistante des missiles SA-8 et SA-24» libyens, selon lui. Quant aux installations fixes de l’armée libyenne, elles ont été anéanties par les centaines de Tomahawks tirés par les Américains dans les premiers jours de l’opération multinationale conduite par une coalition ad hoc, du 20 au 30 mars, a-t-il souligné. Maintenant, face aux objectifs mobiles que sont des troupes en marche, l’Alliance atlantique ne se retrouve pas démunie, pouvant compter sur un peu moins de 100 avions de combat en ligne. Les Français et les Britanniques – avec respectivement une trentaine et une douzaine de chasseurs-bombardiers — vont devoir assumer le gros du travail. L’aviation française «effectue 20 à 25% des sorties quotidiennes, la britannique un peu moins de 10%», selon la même source. Les cinq autres pays (Belgique, Canada, Danemark, Italie, Norvège) qui ont accepté de participer aux frappes au sol, utilisent une trentaine d’avions au total. «Tous les alliés, en particulier ceux qui participent aujourd’hui peu aux frappes, vont devoir hausser le rythme», a estimé ce responsable militaire. Pour soulager ces derniers, les avions des pays qui comme l’Espagne, les Pays-Bas, le Qatar et la Suède, n’ont pas mandat de leurs autorités nationales pour tirer sur des cibles au sol, peuvent se concentrer sur la zone d’interdiction aérienne sur la Libye prévue par la résolution 1973 de l’ONU. Les Américains vont contribuer à la sécurité des opérations avec des avions chargés de missions de surveillance et de reconnaissance électroniques. Plus décisifs, sans doute, des drones américains Global Hawks, dont l’utilité pour un ciblage précis des objectifs est précieuse, continuent d’être déployés. Enfin, si jamais les alliés se retrouvaient ponctuellement dans l’incapacité de barrer la route aux soldats libyens, il est convenu qu’ils puissent «demander de l’aide aux Etats-Unis, au cas par cas», a-ton confirmé de plusieurs sources.

Les rebelles buttent sur Brega
Les rebelles libyens se chamaillent, rigolent, discutent sur la route à quelques kilomètres de Bréga. Soudain trois obus de mortier s’écrasent tout près, dans le sable.
Les forces de Tripoli sont toujours là. Hier matin, comme la veille, ils ont avancé à bord de leurs pick-up en direction de ce terminal pétrolier de l’est de la Libye, à 190 km de Benghazi. Ils en occupent depuis plusieurs jours la partie est mais face à un adversaire mieux armé, mieux organisé, qui ne cède pas de terrain malgré des frappes de l’Otan, les insurgés ne peuvent que battre en retraite et attendre. Au volant d’un gros Toyota Land Cruiser, le sourire d’Aïd Mabadi apparaît sous sa cagoule de laine noire. Il est content de son coup. «Hier soir, pendant que les soldats de Kadhafi dormaient, on s’est approchés, on leur a tiré dessus », dit-il. «Ils ont eu peur et ont filé en laissant le Toyota. On l’a récupéré.» Son co-pilote est penché sur de grandes photos satellites de Bréga, ultra-précises. Datées de 2004, elles étaient dans le 4x4. Les sièges passagers ont été enlevés pour faire de la place pour cinq roues de secours et du ravitaillement. Toute la cabine est renforcée d’un arceau intérieur. Aïd porte sur la poitrine un talkie-walkie. «Mais à l’autre bout, il n’y a qu’un de mes potes... Et ça ne porte qu’à un kilomètre (...) Il nous faudrait des lunettes de vision nocturne, des radios, des jumelles. Eux, ils ont tout ça». A ce jeu d’avancées-reculades aux portes de Bréga, les rebelles commencent à comprendre qu’ils ont affaire à des forces professionnelles qui ne lâcheront pas la partie aisément. Sans un soutien aérien massif, ils sont bloqués là. «Quand ils entendent les avions, les hommes de Kadhafi se terrent, dans les maisons ou des bâtiments», explique Saïd Bohlega, 27 ans, technicien dans le pétrole avant de rejoindre l’insurrection. «Quand c’est silencieux, ils nous attaquent.» Selon lui, ils creusent des trous d’hommes, des postes de tir à partir desquels ils prennent pour cible les convois rebelles, qui défilent sur l’unique route côtière. Les insurgés redoutent aussi les mines qu’ils pourraient placer, même si pour l’instant aucune victime de ces blessures caractéristiques n’a été déplorée. En milieu de matinée, à une vingtaine de kilomètres de Bréga, des volontaires battent les fourrés. La traque au franc-tireur ne rapporte que deux treillis tachés. «Brûlonsles », dit l’un d’eux. «Non, gardons- les pour les mettre», répond un autre. Ils les brûlent. Dans un pays où la coutume veut qu’on ne se lève pas tôt, c’est en fin de matinée que l’artillerie se réveille. Avant, les points de contrôle sont vides, la route ouverte et les combattants embrumés. Avec sa barbe grisonnante, son chapeau de brousse et son embonpoint, Muftah, 53 ans, a assez d’autorité pour donner des ordres. Il scrute à la jumelle un rideau d’arbres, montre du doigt. «Y’a des voitures, là...» «On a envoyé des éclaireurs voir si c’est bon plus loin», dit-il. «On se méfie des embuscades.» Un lance-roquettes multiples est pointé d’un côté, une mitrailleuse de l’autre. Plus près de Bréga, un quadragénaire excédé tente de donner des consignes. «Vous, là, sur le pickup, allez aider à fouiller l’université !» Le servant de l’arme, à l’arrière, lui crie : «Qu’est-ce que tu veux que je fasse dans l’université avec une 14,5 ?» Le 4x4 s’éloigne. Mais il revient peu après, à toute allure, phares allumés. Les détonations sourdes se rapprochent. La colonne rebelle fait demi-tour en désordre et fonce vers le désert.

Nombre de lectures :

Format imprimable  Format imprimable

  Options

Format imprimable  Format imprimable