Chronique du jour : A FONDS PERDUS
Les locomotives de la croissance


Par Ammar Berlhimer
Ambelhimer@hotmail.com

40% des ressources du plan quinquennal 2010- 2014 sont réservés au développement des infrastructures de base et à l’amélioration du secteur public. Plus précisément, 3 100 milliards de dinars sont destinés au secteur des travaux publics, pour poursuivre l’extension et la modernisation du réseau routier et l’augmentation des capacités portuaires. A elle seule, l’autoroute Est-Ouest, devant être réalisée dans des délais records – prévue pour 40 mois, de mai 2007 à juillet 2010 – aura coûté pas moins de 11 milliards de dollars.
Ce à quoi il convient d’ajouter, toujours au titre du plan quinquennal, l’affectation de 2 800 milliards de dinars au secteur des transports, plus particulièrement au chemin de fer, au transport urbain (tramways à travers 14 villes d’Algérie) et aux infrastructures aéroportuaires. L’ampleur des investissements publics en suscite parfois des marques d’hostilité ou de scepticisme quant à leur utilité ou leur capacité à générer l’effet d’entraînement escompté sur la croissance. Hostilité et scepticisme sont nourris par les réévaluations et les surcoûts provoqués par de tels projets, souvent interminables et budgétivores, d’une part, et leur réalisation par des entreprises étrangères (et conséquemment l’exclusion de l’outil national de réalisation par manque de performance), d’autre part. Le tronçon Est, long de 399 km, est revenu au consortium japonais Cojaal ; les lots Centre (169 km) et Ouest (359 km) au chinois Citic/CRCC. Composé de six entreprises, le groupement japonais Cojaal a décroché la réalisation du tronçon Ouest pour plus de 376 milliards de dinars (près de 5,2 milliards de dollars). Pour le lot Centre, le groupement chinois Citic/CRCC a eu le marché pour plus de 192 milliards de dinars (environ 2,6 milliards de dollars). Le même groupement a décroché la partie Est pour une offre financière de plus de 258 milliards de dinars (près de 3,6 milliards de dollars). Audelà du confort que de tels investissements procurent à l’usager, leur impact économique n’est pas des moindres. Le Fonds monétaire international qui a longtemps figuré au rang des adversaires de la dépense publique, semble modérer ses positions(*). Dans une récente étude d’experts, il reformule la question dans les termes suivants : «Il est plus important de savoir non pas si un pays peut augmenter ses investissements publics en infrastructures, mais s’il devrait le faire. La clé du débat est la productivité, c’est-à-dire la question de savoir si l’investissement public contribue à la croissance. » Longtemps jugés improductifs, ces investissements sont vus différemment depuis peu : «Des travaux récents — par exemple de la Banque mondiale (2007) — concluent que les dépenses publiques d’infrastructures, d’éducation et de santé ont un effet positif sur la croissance. Selon le rapport de la Commission sur la croissance et le développement (2008), les pays en expansion rapide ont un niveau élevé d’investissement public, c’est-à-dire égal ou supérieur à 7 % du PIB», admet le FMI. C’est un virage à marquer d’une pierre blanche dans la politique des institutions financières internationales. La nouvelle expertise du FMI établie à partir d’estimations du montant total, ou stock, de capital public (ponts, autoroutes, etc.), évalue son impact sur la croissance économique de 48 économies avancées ou en développement de 1960 à 2001, pour arriver à la conclusion révolutionnaire nouvelle qu’il a effectivement un effet bénéfique. Le rapport investissements publics et croissance exprime trois grandes difficultés :
1. L’amortissement est un paramètre incontournable : il faut rentrer dans ses frais.
Ainsi, l’investissement public d’une année donnée peut être insuffisant pour remplacer le stock amorti — c’est-à-dire la fraction usée, par exemple par la circulation d’automobiles et de camions sur une autoroute ou un pont.
2. On ne peut isoler les effets de l’un sur l’autre (l’investissement public influe sur la croissance et vice-versa).
• La contrainte budgétaire et ses implications fiscales et autres (en termes de priorités dans l’affectation des ressources) ne sont pas à négliger. Ces observations, à caractère théorique, voire ésotérique, n’en demeurent pas moins pertinentes.
L’impact (sur la croissance) des investissements publics consentis au profit des infrastructures de base est établi : «De 1960 à 2000, le PIB a augmenté en moyenne de 3,4% dans les économies avancées et de 4,4% — un point de plus — dans les pays en développement. Malgré cette différence, leur taux moyen d’investissement public a été analogue pendant cette période. L’investissement public a représenté en moyenne respectivement 3,6% et 3,9% du PIB. Malgré cette similitude, le stock de capital lui-même a augmenté près de deux fois plus vite dans les économies en développement que dans les économies avancées de 1960 à 2000, car, dans ces dernières, l’essentiel de l’investissement a servi à remplacer un stock de capital usé. Cette différence d’accumulation du stock de capital explique largement l’écart de croissance à long terme.» Les effets d’accumulation et d’entraînement sont ressentis à plus long terme et, vu la lourdeur des investissements, il faut compter, au bas mot, cinq ans pour apprécier leur rendement direct et indirect. Le paramètre demeure toutefois un indice probant de la capacité de projection d’une économie : dans les pays en développement, l’incidence du capital public sur la croissance augmente avec le temps et se manifeste avec force dans des intervalles de cinq ans. Dans tous les cas de figure si, conformément au vieux schéma keynésien de la relance, dans les économies avancées l’investissement public intervient souvent comme outil de gestion de la demande – pour réguler les cycles conjoncturels – il en est différemment dans les pays émergents et en développement où il sert davantage à stimuler la croissance à long terme. Dans le cas algérien, le projet autoroutier Est-Ouest — d'une longueur de 1 216 km assurera la liaison entre Annaba et Tlemcen, avec la desserte des principaux pôles en touchant directement 24 wilayas – les retombées sont multiples et non négligeables. L’effet est immédiat sur l’emploi, avec la création de 100 000 postes de travail directs en phase de travaux. L’objectif pour l’usager est connu : réduire les temps de parcours à 4 heures pour Alger- Oran et 4 heures 30 pour Alger- Constantine. La réduction du temps de parcours entre les villes permettra des gains importants à l’économie du pays : le transport de marchandise se fera plus rapidement, l’usure des voitures plus lentement, le confort de l’autoroute réduira aussi les accidents de la circulation de l’ordre du tiers. Les accidents de la route pèsent lourd et leur facture sociale annuelle est évaluée à 40 milliards de dinars. Une étude économique financée par la Banque mondiale a démontré que l'autoroute Est-Ouest est un projet rentable. Le taux de rentabilité interne atteint 20%. Plus fondamentalement, c’est de l’argent en moins pour les fuites de capitaux.
A. B.
(*) Serkan Arslanalp, Fabian Bornhorst et Sanjeev Gupta, Investir dans la croissance, Les investissements publics en infrastructures sont-ils utiles ? Finances & Développement, mars 2011, pp. 34-38.

Nombre de lectures :

Format imprimable  Format imprimable

  Options

Format imprimable  Format imprimable