Chronique du jour : ICI MIEUX QUE LA-BAS
Que deviennent les courtisans une fois le prince bouté ?


Par Arezki Metref
arezkimetref@free.fr

Dimanche 10 avril : Hachma !
Ouyahia, Belkhadem et tous ceux qui, hier encore, vous auraient traité de tous les noms si vous vous étiez déclaré opposé au «putsch» constitutionnel par lequel Bouteflika s'est payé un troisième mandat, viennent jurer aujourd'hui, la main sur le cœur, qu'il n'y aura jamais de présidence à vie ! Oui, monsieur. Excellant dans la pantalonnade, on s’y adonne ! Chorus plein pot ! Que s'est-il donc passé pour que ce virage à 180% soit possible ?
Eh bien, il suffit d'ouvrir la fenêtre, de s’y accouder et d’observer. Partout dans le monde arabe, les peuples en ont ras-le-bol de ces potentats à vie courtisés par des rampants qui les supplient de rester sur le trône ad vitam. Le hic, c'est que les courtisans en question, friands de miettes, sont les premiers à détaler, voire à se retourner contre leur idole au premier coup de feu hostile. On l'a vu à l'envi en Tunisie et en Égypte. On le verra en Algérie le moment venu. Dès l'instant où, quelle que soit la raison, le président cessera d'être président, les courtisans s'égailleront comme une volée de piafs. C'est la règle. Nul ne peut y déroger. Mais on n'en est pas là. Après nous avoir bassiné ad nauseum que hors immortalisation du président à sa présidence, point de salut — ça dépend pour qui —, on ne reconnaît toujours pas l'erreur passée qui permettrait d’accréditer les thèses actuelles. Lesquelles ? Eh bien, celles qui consisteraient à revenir... à la Constitution de 1996 qui limitait les mandats. Il est clair que le revirement des séides n'est pas la conséquence d'une irruption de lucidité démocratique. Forts de l’expérience des autres, ils se harnachent, refusant d’être balayés par la vague, comme l’ont été leurs homologues tunisiens et égyptiens. Alors ceux-là mêmes qui clamaient à la cantonade haut et fort, comme Belkhadem, que le troisième mandat est une revendication populaire et que – ahurissant ! — «le président est le seul à être victime d'un déficit de démocratie», étant en quelque sorte pris en otage par le peuple qui l’assignerait à résidence, le contraignant à continuer d’exercer ses fonctions, ceux-là revoient leur copie sous peine d'être exclus. J’entends d’ici un vent de boulet sifflant à leurs oreilles. Je vous le dis : il y a de la rigolade dans l’air ! Observez-les s’empêtrer ! C’est tout aussi mal commode à enfiler qu’à porter une veste retournée ! Quant à l’allure…
Lundi 11 : Kadhafi dur dure
Une délégation de médiateurs de l'Union africaine composée des présidents Jacob Zuma (Afrique du Sud), Amadou Toumani Touré (Mali), Mohamed Ould Abdel Aziz (Mauritanie) et Denis Sassou Nguesso (Congo), ainsi que du ministre ougandais des Affaires étrangères, Henry Oryem Okello, a rencontré Kadhafi. But défini par Zuco : «Un appel sera lancé à l'Otan pour qu'il cesse ses bombardements afin de donner une chance à un cessez- le-feu.» Kadhafi semble avoir accepté les conditions posées par la délégation. Le plan comprend un cessez-le-feu immédiat, l'ouverture des voies pour permettre l'acheminement de l'aide humanitaire, la protection des étrangers en Libye et des négociations entre les rebelles et le gouvernement libyen. Kadhafi est heureux : l'Afrique se porte à son secours car, à l'évidence, il ne veut pas quitter le pouvoir. Mais la rébellion rejette tout compromis qui impliquerait le maintien de Kadhafi ou de ses fils. De l'autre côté, l'Otan commence à réaliser que quelques frappes chirurgicales, pour reprendre la formule consacrée, ne suffisent pas à venir à bout de Kadhafi. Des militaires américains commencent à se demander si la guerre ne va pas durer au moins six mois et s'il ne sera pas indispensable de débarquer des troupes au sol. Scénario parfait pour un embourbement ! En attendant, quelle que soit l’issue, chacun des protagonistes produit et subit des surprises, y compris la météo. La surprise avec Kadhafi ? C’est qu’il n’y a pas de surprise ! Il dure !
Mardi 12 avril : Même le fils…
Quand les étudiants bougent, c'est que le Rubicon est franchi. C'est ce à quoi on assiste en ce moment. L'oued en crue se voit enjambé à tirelarigot. Jamais les manifs estudiantines n'ont revêtu une telle ampleur. Tout semble se passer comme si le conglomérat des grèves et des protestations, naturelles à l'université, auxquelles les étudiants pour des raisons diverses ont dû renoncer, surgissait d'un coup d’un seul. Un geyser de protestation ! Le rassemblement pacifique devant la présidence de la République qui a fait suite à l’échec des négociations avec le ministère de l’Enseignement a tourné au cauchemar. Les pandores ont chargé. Des dizaines de blessés. Tous les témoignages recueillis par les journalistes sont unanimes quant à la sauvagerie de la répression. Un étudiant raconte : «Trois agents antiémeutes m’ont matraqué sans aucune pitié. L’un d’eux m’a même dit que si son fils était là, il l’aurait tabassé sans hésiter.» Si ce n’est pas là ce que l’on nomme sens du devoir, et un peu plus, on se demande ce que c’est. Du zèle ! En attendant, peu de revendications, pourtant raisonnables, des étudiants sont satisfaites ou seulement entendues. Ah ! la politique du kalouz si longtemps pratiquée par Moubarak, Ben Ali, Kadhafi !
Mercredi 13 avril : Crise cardiaque !
Moubarak and son doivent répondre devant la justice de la mort de manifestants sur la place Tahrir. Justice immanente, on a toujours quelque chose au bout de la mort qu’on ordonne ! Mais comme son voisin du Nord, Ben Ali, Moubarak a une réaction symptomatique : la crise cardiaque ! Oui, si le cœur des dictateurs est fragile dès qu’ils perdent le pouvoir, il en devient carrément défaillant lorsqu’il s’agit de rendre des comptes. Du reste, s’agissant de l’Égypte comme de la Tunisie, dont les ex-potentats ont la faiblesse de laisser défaillir leur cœur, on peut à présent se demander ce que deviennent les révolutions qui ont fait tant de bruit il y a quelques semaines. Pour l’Égypte, un internaute vient d’être condamné à trois ans de taule, ce qui ne plaît pas beaucoup aux Amerlocks. Pourtant, un commentateur français déclarait l’autre jour sur une radio : «Ça avance dans le sang mais ça avance.» Contre quoi ? Contre l’armée qui, une fois le prince bouté, empêche que la révolution aboutisse. Interdiction de l’expression, jusque sur internet. Quant à la révolution du Jasmin, on n’en voit que les milliers de jeunes qui ont libéré le pays pour le quitter sur des pateras. Peut-être que le mot révolution a été lâché trop vite.
Jeudi 14 avril : Ben !
Beau portrait de l’ami Benmohamed dans El Watan par Hamid Tahri. L’auteur de Avava Inouvaest le modèle même du poète anti-prince, c'est-à-dire du poète tout court. Son parcours, raconté avec l’humilité qu’il incarne, couvre cinquante ans d’histoire culturelle indépendante, libre, rebelle et exigeante. Issiakhem disait de lui qu’il est notre «poète national» et Kateb Yacine, qui a collaboré avec lui sur plusieurs projets, appréciait son talent. Ben est justement de cette famille-là, celle qui réunit le talent et l’authenticité, la vérité et l’irrédentisme !
Vendredi 15 avril : La dent creuse !
Rebelote. Les étudiants ressortent dans la rue. Ça prouve deux choses. Un : la répression encourage au lieu de dissuader. Ce qui règle les problèmes, ce n’est pas le bâton mais la parole. Deux : le mal est si profond qu’on ne sera tranquille qu’une fois la dent arrachée. Ils auront beau taper, ceinturer, envoyer des gaz lacrymogènes, rien n’y fera ! Le debouz n’a jamais rien conclu. Ils devraient le savoir. Ils ne le savent pas.
A. M.

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