Actualités : EVOCATION
COMMÉMORATION DES ÉVÈNEMENTS DU 8 MAI 1945 À SÉTIF
Massacre à grande échelle


Le jour même où la France est libérée, elle réaffirme dans le sang sa domination coloniale en Algérie : 45 000 morts à Sétif, Guelma, Kherrata et dans tout le Constantinois...
«Agression à main armée dans la région de Sétif» titrait la presse coloniale de l’époque. D’un massacre à grande échelle, les évènements du 8 Mai 1945 ont été considérés comme un simple fait divers. Mais la réalité et l’histoire sont tout autres… Les manifestations du 8 Mai 1945 par lesquelles on voulait rendre hommage aux Algériens morts durant la guerre anti-hitlérienne ne provoquèrent que haine, violence et répression coloniale. A Guelma, Kherrata et dans bien d’autres régions, le peuple manifesta son espoir, à la liberté, à la libération. La lutte anti-hitlérienne à laquelle avaient participé des milliers d’Algériens (150 000 Algériens s’étaient engagés dans l’armée française aux côtés de De Gaulle) était une lutte pour la libération nationale. L’histoire de notre peuple est jalonnée de luttes héroïques depuis les temps les plus reculés. En réécrivant l’histoire fabuleuse du peuple et des masses, on rend hommage à des millions de martyrs. Les 45 000 martyrs du 8 Mai 1945 ont écrit l’une des plus belles pages de l’Histoire.
Le mardi noir

C’était un mardi, jour de marché, un soleil de printemps se levait sur une ville très animée où, depuis la veille, il n’était question que de la manifestation prévue le matin. La victoire des Alliés a permis aux musulmans d’organiser un défilé pour déposer une gerbe de fleurs au monument aux morts. Le sacrifice des Algériens morts dans la guerre contre le fascisme devait apporter à l’Algérie plus de liberté et de démocratie. Tel était l’esprit qui animait la population ce jour-là à Sétif. 8h30, à la mosquée du faubourg de la Gare, militants, paysans et citadins commencent à y affluer. C’était le point de rendez-vous. Les organisateurs avaient demandé aux paysans venus des villages de déposer tout ce qui pouvait être considéré comme une arme (couteau, hâche, faux...) afin d’éviter tout risque de provocation et toute apparence à une démonstration violente. Et le cortège se formait, en tête les Scouts musulmans algériens, en uniforme, derrière eux trois militants portaient une gerbe de fleurs qui devait être déposée au niveau du monument aux morts. Un cortège de 15 000 personnes environ s’ébranle, entouré de groupes d’enfants, de la rue Jean-Jaurès (avenue du 1er Novembre actuellement), puis la rue Clémenceau (avenue du 8- Mai-1945). Sur les trottoirs, était massée la foule musulmane encadrée par des militants. L’enthousiasme populaire montait peu à peu. Les youyous des femmes se faisaient entendre. En cette matinée de la victoire, il semblait que la liberté était là, toute proche, le peuple, unanime, pacifique, avait confiance, l’Algérie renaissait. Aujourd’hui, c’est la victoire des Alliés, c’est donc la victoire du peuple algérien, animé d’un immense espoir, l’espoir de voir son droit reconnu. 9 heures. Soudain, c’est le drame, le cortège arrive à hauteur du café de «France 1». Un jeune militant, en l’occurrence Saâl Bouzid, âgé à l’époque de vingt deux ans, déploya l’emblème national, interdit jusque-là. A ce moment-là, l’inspecteur Ollivieri, de la police judiciaire, s’approcha du jeune Saal Bouzid et voulu lui arracher le drapeau algérien, mais Bouzid n’abdiqua pas et tint bon. Le policier usa alors de son arme et fit feu, tuant le jeune Saal Bouzid, premier martyr de ces évènements sanglants. En entendant le coup de feu, plusieurs policiers surgirent en tirant sur la foule. Le cortège se dispersa sous les arbres, sous les arcades, dans les rues voisines. Les dirigeants restent sur le terrain, entourant les porteurs de gerbes et, tandis que les morts et les blessés sont enlevés, le cortège se reforme dans le calme, un peu plus loin, à hauteur de la rue Sillegue (avenue Ben Boulaïd). La minute de silence sera observée au niveau du monument aux morts, puis les dirigeants exhortent la population au calme, à ne pas céder à la provocation. Mais l’épreuve de force est à peine entamée. Autour du monument aux morts, gendarmes et gardes mobiles font irruption. Les balles sifflent, quelques blessés tombent. A la faveur de la panique provoquée par la fusillade, les Vichystes épurés ont pris leur revanche. Le maire de la ville Deluca est tué. Cependant, à 13 heures, à Sétif, la ville est calme et déserte. Les rues sont martelées par le pas des patrouilles militaires. Le préfet Lestrade Carbonnel arrive de Constantine. Il prend contact avec les autorités civiles et militaires. L’appareil répressif est mis en marche. Le colonel Bourdillat, assisté du commandant Biraben, prend les opérations en main. A Alger, Chataigneau annonce les mesures d’ordre prises par la France. Le 9 mai, le général Duval, commandant de la division de Constantine, engage ses troupes. Le même jour, à Sétif, ce sont 35 Algériens qui ont été abattus parce qu’ils ne savaient pas qu’un couvre-feu avait été établi. Le rapport du commissaire divisionnaire, M. Bergé, expliquait que chaque mouvement jugé suspect provoquait le tir : «Les musulmans ne peuvent circuler sauf s’ils portent un brassard blanc délivré par les autorités et une justifications d’un emploi dans un service public.» Suite aux assassinats d’Algériens à Sétif et à Guelma, des groupes de musulmans avaient, dans leur repli, riposté en tuant des Européens. S’en suit une répression extrêmement violente dans les rues et les quartiers de ces deux villes importantes, alors que la presse française parle abusivement de terrorisme algérien. Pendant une semaine, l’armée française, renforcée par des avions et des chars, se déchaîne sur les populations de la région et tue sans distinction. À la colère légitime des Algériens, la réponse du gouvernement français ne s’est, en tout cas, pas fait attendre en mobilisant toutes les forces de police, de gendarmerie, de l’armée, en envoyant des renforts de CRS et de parachutistes, et même en recrutant des miliciens, qui ne se gênent pas pour fusiller des Algériens de tout âge et sans défense. La légion étrangère patrouille à Sétif. Les légionnaires commencent le ratissage et la destruction des mechtas. Les douars de la région de Périgoville (Aïn-Kebira), Kherrata, Amoucha, Chevreul (Beni-Aziz) sont bombardés au canon et à l’aviation. En même temps, les milices avancées des colons passent à l’action. Dans tout le Constantinois, des groupes de miliciens sillonnant la campagne en voiture font la «chasse à l’Arabe». A Sétif, ce sont les hommes de la bande Grima, avec Fonteneau, Carbonnel, Colombo, Barral, Page, Filon, Mezucca… Dans les localités environnantes à Sétif, Ras El Ma, Beni Aziz, El Eulma, des douars entiers furent décimés, des villages incendiés, des dechras et des familles brûlées vives. On raconte le martyre de la famille Kacem. Korrichi, son fils Mohamed et son frère Nouari furent torturés et tués à bout portant... Les légionnaires prenaient les nourrissons par les pieds, les faisaient tournoyer et les jetaient contre les parois de pierre où leur chair s’éparpillaient sur les rochers... Bilan de ces évènements qui ont duré plusieurs jours : 45 000 morts et des centaines de personnes emprisonnées côté algérien, et 102 Européens ou militaires français tués. Aussi, des centaines de mechtas fumantes, en ruines, des fosses communes, et dans les gorges de Kherrata, encore gravée sur un rocher, une simple inscription : légion étrangère 8 Mai 1945.
Imed Sellami

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